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« En arrivant à Toulouse en 1987 pour prendre mon poste au conservatoire, j'ai été immédiatement conquis par ce coté village où tout le monde se parle et se salue », raconte Michel Brun. Dans la bouche de ce flûtiste fou de Bach et de musique baroque, la convivialité, ce n'est pas du pipeau. Pédagogue hors pair, ce diable d'homme a un don certain pour partager ses passions.
Désormais retraité mais toujours hyper-actif, le fondateur de l'ensemble baroque de Toulouse entraîne chaque printemps les Toulousains à écouter son musicien fétiche dans les endroits les plus insolites, accommodé à toutes les sauces depuis 2008 : Bach en jazz, en flamenco, en cirque ou en slam. A Toulouse, « Passe Ton Bach d'abord » est à la musique ce que le Marathon des Mots est à la littérature : un « must » à ne rater sous aucun prétexte. Professionnels ou amateurs, musiciens et chanteurs se succèdent au programme pendant deux folles journées, dans un mix de concerts gratuits ou à petits prix.
Le chef de l'ensemble baroque a aussi lancé avec ses musiciens l'improbable pari d'interpréter l'intégralité des 200 cantates du compositeur allemand « en live », généralement à l'église Saint-Exupère. « Le public vient comme s'il assistait à nos répétitions », explique Michel Brun en toute simplicité. A mi-parcours de cet autre marathon lancé en 2007 prévu pour s'étendre sur 25 ans, le très baroque ensemble de ce musicien si peu conventionnel s'est offert la Halle aux Grains. « On a fait le plein », se réjouit le chef d'un orchestre sans véritable domicile fixe depuis sa création en 1998. « Au départ, c'était juste une bande de copains. La première répétition a débuté dans le salon d'une maison en chantier, assis sur des pots de peinture », se souvient Michel Brun. Le groupe a finalement intégré l'église du Gésu, ancienne chapelle désaffectée des Jésuites dans le quartier du Salin, qui abrite aussi le siège de quatre autres associations musicales. Il était donc naturel de débuter cette pérégrination dans la Toulouse de Michel Brun dans cet édifice religieux peu connu, car généralement fermé au public.
« L'église a été ébranlée par l'explosion d'AZF, elle a probablement été sauvée d'une fermeture définitive par son orgue remarquable », raconte le musicien. Un deuxième orgue, numérique, étale ses tuyaux devant l'autel qui a été retiré. L'acoustique de l'église se prête mal à d'autres instruments. « Dès qu'on essaie de jouer à plusieurs, c'est de la bouillie pour les oreilles ». Le musicien sort toutefois sa précieuse flûte en bois, réplique d'un instrument ancien, de sa trousse. « Avec un seul instrument, les sons ne se mélangent pas ». Des écrans phoniques en plexiglas sont parfois déployés dans l'église pour former une sorte de « cloche » sonore sous la nef.
Le flûtiste nous entraîne ensuite sous le kiosque à musique du Grand Rond, où il conduisait parfois ses élèves du conservatoire pour des mini-concerts improvisés. Le kiosque est le point de départ rituel de Passe ton Bach d'Abord. « Cela permet de capter un public qui ne fait que passer. Le jardin isole bien du bruit de la circulation. La ville arrête le jet d'eau voisin pendant les concerts ».
Autre étape incontournable, la cour de l'Hôtel d'Assézat où le festival inventé par Michel Brun se produit chaque année. « On joue souvent dans les cours des hôtels particuliers, mais cela devient de plus en plus compliqué d'obtenir l'accord des propriétaires. Nous devons aussi composer avec la météo. L'avantage de l'hôtel d'Assézat, c'est qu'il peut offrir une solution de repli en cas de pluie ».
Dans le calme du cloître des Jacobins, le musicien se souvient d'un mémorable « raté » de son festival : « on avait prévu de faire déambuler le public entre plusieurs formations musicales. Le clou du spectacle devait être l'apparition de musiciens jouant aux fenêtres du lycée Fermat », raconte Michel Brun en montrant l'illustre établissement scolaire qui jouxte le cloître. Mais le gardien du lycée les a laissé à la porte. Ce sont finalement des élèves « collés » de Fermat qui ont fini par montrer leur nez aux fenêtres.
Cette déambulation dans le « Bach office » du flûtiste se termine sous les peintures qui ornent intégralement la voûte et les murs de la chapelle des Carmélites. L'édifice, dont la construction a débuté en 1622, est le dernier vestige de l'ancien couvent qui occupait l'emplacement actuel de la bibliothèque du Patrimoine, rue du Périgord. Attribuée à l'université de Toulouse en 1908, cette discrète chapelle, retirée derrière son porche monumental, est désormais la propriété de la ville. Sa porte est à nouveau ouverte au public après un lourd chantier de rénovation. Michel Brun, qui n'a pas manqué de se lier d'amitié avec le gardien, rapporte que la chapelle fut le théâtre d'un acte de vandalisme : les tableaux ont été lacérés par un individu qui se serait volontairement laissé enfermé pour la nuit au siècle dernier.
Fermée au public en 1975, la chapelle des Carmélites a commencé à entre-bailler sa porte en 1993 pour quelques concerts. Elle est désormais ouverte tous les jours. Avec le retour du printemps, une guinguette installée dans la courette à l'entrée propose des boissons et quelques plats à grignoter dans le délicieux jardinet attenant. L'accès à ce micro-espace vert méconnu à deux pas de Saint-Sernin était jusqu'à présent réservé aux invités VIP du Marathon des Mots.