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Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

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Billet de blog 3 mai 2012

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Nucléaire : Trois principes d'écologie politique pour Hollande et Sarkozy

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En réaction à l'inanité du débat Sarkozy-Hollande sur le nucléaire, rappel de quelques questions de fond sur le mode de production capitaliste, productiviste et technicien. Une occasion de redécouvrir quelques idées des fondateurs de l'écologie politique...

« Plus n'est pas mieux, au contraire »

André Gorz – sous le nom de Michel Bosquet – a été le premier à faire connaître en France au début des années 1970 (dans Le Nouvel Observateur puis Le Sauvage) les idées de l'intellectuel mexicain, ancien Jésuite, Ivan Illich. Parmi celles-ci, la mise en avant d'effets de seuil pour toutes les techniques et les institutions, pour le système de croissance capitaliste lui-même. L'idée est simple : à partir d'une certaine taille, techniques et institutions deviennent contre-productives. On peut l'imaginer simplement dans le cas de l'automobile : si je suis seul dans la rue, je peux circuler rapidement ; quand tout le monde a une voiture, je suis bloqué par les embouteillages. « Si, à moins, d'un bouleversement total des institutions, des techniques, et des comportements actuels, la croissance apportait non pas le « mieux » qu'elle promet mais des frustrations de plus en plus insupportables et des nuisances, et des contraintes de plus en plus formidables ? »1. Prenons l'exemple du nucléaire. Il y a un certain pourcentage de risque d'accident nucléaire. S'il n'y a que 1% de risque, pour une seule centrale, j'ai peu de chance de le voir dans ma vie. Mais s'il y a des

milliers de centrales dans le monde, j'ai bien plus de chance de le subir. D'autant, que les nuages radioactifs circulent. Les écosocialistes marxistes l'expriment par une autre formule : les forces potentiellement productives se transforment en forces effectivement destructrices2.

« Les écologistes s'attachent aux paradoxes »

Dans un livre paru au lendemain des élections législatives de 1977 qui voit les premiers « cartons » des écologistes aux municipales, le psycho-sociologue et fondateur des Amis de la terre, Serge Moscovici participe à un livre collectif : « Pourquoi les écologistes font-ils de la politique ?3 ». Il y explique ce qui pour lui fait la différence entre les perspectives libérales, socialistes et écologistes. Elles sont éclairantes dans le cas du nucléaire et de l'énergie.

La perspective libérale ne relève dans notre société que des erreurs qu'on peut résoudre sans changer la société, mais en les corrigeant. Les corrections sont possibles en s'appuyant sur la croissance sans limite de la consommation et de la production. Par exemple dans le cas du nucléaire, il y a des erreurs de sécurité à corriger mais la libre concurrence permettra aux centrales les plus sûres – les françaises, bien sûr ! - de supplanter la camelote américaine ou coréenne.

De son côté, la perspective socialiste s'intéresse aux contradictions du système (par exemple, le développement du marché porte en lui la planification) : il suffit de faire accoucher les solutions qui sont déjà là. Ainsi pour le nucléaire, le problème n'est pas la technique, mais au Japon comme aux Etats-Unis, la contradiction entre propriété privée et production de l'énergie. Il suffit donc que le nucléaire soit public (… comme à Tchernobyl et au Blayais !).

Pour Serge Moscovici, la perspective écologiste est autre : elle s'intéresse « à la découverte des cercles vicieux ou des paradoxes de la société »4. Ainsi en est-il pour l'énergie, exemple qu'il cite. Face à la crise de l'énergie, on cherche des énergies plus puissantes, on veut multiplier les ressources. « On entre alors dans un cercle vicieux : plus on en a, plus on en gaspille, et plus on en gaspille, plus on en a besoin »5. La mise en avant de ce paradoxe oblige à changer de question : au lieu de se demander, comme point de départ et point d'arrivée, « combien d'énergie consommons-nous ? », il faut se demander, « comment et pourquoi mieux consommer les énergies existantes ? ». « Cela implique qu'il faut modifier fondamentalement le système social, en ce qui concerne la production, la distribution du travail, le mode de consommation, la taille des communautés, etc.6 ». Pour Moscovici, « l'intérêt de ces paradoxes tient, en ce que, du point de vue logique, ils ne peuvent trouver de solution qu'en dehors du système intellectuel et pratique qui leur donne naissance : on ne sort du paradoxe, du cercle vicieux qu'il définit, qu'en élaborant une solution qui soit vraiment neuve, inattendue et qui transforme tout le système, considéré dans son ensemble comme vicieux »7.

« On ne discute pas avec la pénicilline ».

Pendant la crise de Fukushima, souvenez-vous, quel a été le premier argument invoqué pour bloquer le débat sur le nucléaire ? Il a été moral : ne pas être « indécent ». Etonnant ? Non, car le nucléaire est un exemple emblématique de ce qu'un autre des pères fondateurs de l'écologie, le juriste et théologien protestant Jacques Ellul, a appelé le système technicien, qui est justement système en ce qu'il produit aussi une morale, la morale indiscutable du « on n'arrête pas le progrés ». Pour Ellul, la morale bourgeoise est un ennemi dépassé : dès 1949, il estime avec optimisme qu’elle est « périmée depuis un demi-siècle et que personne ne la défend en Europe »8. Il dénonce l'existentialisme comme un immoralisme facile. Pour lui, le véritable danger est la morale technicienne dont il décrit les prédicats : la technique est une valeur en soi ; la morale technicienne érige le Fait en critère de vérité ; le Normal tend à remplacer le moral ; le Bien suprême est la Réussite ; le travail est un des contenus de cette morale technicienne ; le futur est sans limite ; l’étalon de la conduite humaine est objectif et ne relève plus de l’appréciation subjective de la conscience des hommes. Il écrit dans un de ses ouvrages de théologie, Présence au monde moderne : « Ce fait que la technique se justifie elle-même a une racine théologique qu’il convient d’indiquer en passant : c’est l’évidence. » Et il poursuit par la citation d'un verset de l'Ancien Testament : « La femme vit que l’arbre était bon à manger, agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence… » (Genèse 3,6). L’évidence est, dans ce récit mythique, le moyen qu'utilise Satan pour décider l’homme à agir sans l’avoir convaincu. Et Ellul d'ajouter : « On ne discute pas avec l’évidence, on ne discute pas avec un avion qui dépasse 1000 km à l’heure, ou avec la pénicilline 9 ». Qui n'a pas fait l'expérience de ces discussions où la mise en cause de la technique débouche sur l'argument massue de l'interlocuteur : « Mais tu n'es quand même pas contre l'IRM qui a permis de sauver ma grand-mère en lui détectant une maladie grave !? ». Non, bien sûr, vive ta grand-mère... Et les grands-mères japonaises...

1André Gorz, Michel Boquet, Ecologie et politique, Paris, Points Seuil, 1978, p. 61

2Michaël Löwy (coord.), Ecologie et socialisme, Paris, Syllepse, 2005, p. 95.

3Jean-Paul Ribes, dir., « Pourquoi les écologistes font-ils de la politique ? », Paris, Seuil, 1978. Repris dans Serge Moscovici, « De la nature », Editions Metaillé. Les références de page font référence à l'édition originale.

4Ibid., p. 56.

5ibid., p. 57.

6ibid., p. 57.

7ibid., p. 57.

8 Ellul Jacques, L’immoralisme facile, Réforme, 29 octobre 1949.

9 Jacques Ellul, Présence au monde moderne, Presses bibliques universitaires, Lausanne, 1988 (1948), pp. 70-71.

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