Dans le Journal du Dimanche quotidien sur internet de ce samedi 6 septembre, Michel Rocard taille un joli costard à Nicolas Sarkozy. Il estime que le président « mène une politique économique buissonnante et incertaine. Il n'a pas assez de connaissances économiques, il ne connaît pas l'industrie. Il n'a ni constance, ni patience. »
La formule est belle, et le costard encore plus sévère et malicieux qu'il n'y paraît. Quelqu'un qui a bien plus de culture que moi, me fait remarquer en l'entendant : « c'est une formule connue, ça ». Nous voilà sur un moteur de recherche sur internet.
Première référence trouvée, un extrait des oeuvres de Plutarque, « Les vies des hommes ilustres », un passage consacré à Caton d'Utique : « Ce n'est pas constance ni patience de dire : je ne puis demeurer en celle place. Est-ce sagement fait de partir sans congé ? A ce compte il ne nous faudra point de supérieur. Encores le sage des stoïques est-il un degré au dessous de Jupiter. Qu'il attende donc que son maistre desnoue la chaine. Il ya plus de magnanimité à la porter doucement qu'à la rompre. L'indiscretion, l'impatience et le desespoir hastent le pas aux hommes qui cherchent ainsi la mort ». (page 446, Imprimerie Cussac, 1801).
Comment mieux dire l'incapacité de rester en place comme une manière de tromper la mort ? Est-ce tout ? Nous relançons la recherche.
Nous tombons sur une seconde citation, extrait des « Scènes de la vie privée d'Honoré de Balzac » où il est question de Raoul Nathan, un des principaux personnages de La Comédie Humaine. Toujours occupé, toujours affairé, passant sans cesse de la politique au monde de ce qu'on appelerait aujourd'hui "les people", Raoul Nathan connaît dans La Comédie humaine une ascension rapide qui lui vaut le surnom de « Charnathan ». Fut-ce une lecture d'été de Michel Rocard ? La citation ne manque en tout cas pas de sel :
« - Que dites vous de Raoul Nathan demanda-t-elle en déjeunant à son mari.
- Un joueur de gobelets, répondit le comte, un de ces volcans qui se calment avec un peu de poudre d'or. La comtesse de Mont cornet a eu tort de l'admettre chez elle. Cette réponse froissa d'autant plus Marie que Félix, au fait du monde littéraire, appuya son jugement de preuves en racontant ce qu'il savait de la vie de Raoul Nathan, vie précaire, mêlée à celle de Florine, une actrice en renom.
- Si cet homme a du génie, dit-il en terminant, il n'a ni la constance ni la patience qui le consacrent et le rendent chose divine. Il veut en imposer au monde en se mettant sur un rang où il ne peut se soutenir. Les vrais talents, les gens studieux, honorables n'agissent pas ainsi : ils marchent courageusement dans leur voie, ils acceptent leurs misères et ne les couvrent pas d oripeaux. » (Tome II, Page 229, 1853 Alain Houssiaux éditteur).
Merci Monsieur Rocard de nous permettre de relire ce petit bout de Balzac, cette description si actuelle de la vie d'un siècle pas si autre. Ah, ce joueur de gobelet, ce "charnathan", de ces volcans qui se calment avec un peu d'or...