Au sortir des élections législatives, la France est dans une contradiction mortelle : la nécessité de prendre des mesures fortes pour soigner un pays meurtri sinon il risque de se jeter dans les bras du fascisme ; une assemblée sans majorité incapable de les prendre. A défaut de dépasser cette contradiction, c’est la victoire assurée de Marine Le Pen en 2027, avec cette fois une majorité absolue à l’assemblée nationale. Or, aujourd’hui, les deux principales propositions sur la table ne permettent de résoudre cette contradiction. D’un côté Jean-Luc Mélenchon a fait comme si, parce que le NFP était en tête, il avait une majorité absolue pour appliquer « le programme, tout le programme, rien que le programme ». De l’autre celle du camp présidentiel qui évoque une coalition centrale, comme si elle existait en réunissant – au choix- d’Horizon à LFI ou des Républicains au PCF.
La coalition, le zombie ne marche plus
Ces deux solutions appliquent un vieux logiciel qui est mort et enterré : celui de la cinquième République présidentielle où sont alignés un président, un premier ministre et une majorité à l’assemblée. La Macronie a donné l’illusion, à coup de 49-3, que ce système mort-vivant pouvait perdurer. On sait ce qui est advenu de faire ainsi de la politique zombie.
Même quand il y avait une majorité à l’assemblée, ce système avait failli. Pas à produire des lois mais à ne pas décevoir les français.es. Parce que les majorités étaient godillots, que l’assemblée abdiquait son pouvoir devant l’exécutif, on a vu la gauche trahir au milieu des années 1980 et décevoir durablement les milieux populaires se réfugiant dans une abstention qui continue, ou la macronie trahir sa promesse de dépasser les clivages et d’inventer une politique avec tous les député.es et les corps intermédiaires pour mener la politique des multinationales. Dans les deux cas les assemblées avalisaient ces renoncements et ainsi faisaient le lit du Front National.
Ce système n’est plus ni souhaitable, ni possible. De nombreux.ses élu.e.s – notamment écologistes – ont montré le chemin pour indiquer la sortie du paradoxe « nécessité d’agir/pas de de majorité pour le faire » et mettre fin au système zombie de l’alignement président- premier ministre et assemblée aux ordres. Le pouvoir est maintenant à l’assemblée. Mais est-ce suffisant ?
Réinventer l’assemblé-nationale
Cette assemblée qui n’a appris jusque-là qu’à être inconditionnellement pour ou contre des propositions gouvernementales, est habituée à ne voir repris par le gouvernement quasi-aucune des propositions qu’elle construisait en trans-partisan. Elle va devoir se réinventer. Faute de culture du compromis, il en faut les méthodes et pour cela regarder du côté de la société pour construire différemment sa manière de construire ses projets et ses décisions.
Une des grandes nouveauté en politique de ces dernières années n’a pas eu lieu du côté des partis politiques ou des assemblées. Elle a eu lieu du côté de la société civile. Les conventions citoyennes sur le climat ou la fin de vie ont réuni des citoyens à l’image de la diversité de la société et donc bien autant, voire bien plus, que la nouvelle assemblée. Iels ont travaillé ensemble de longues semaines, en partant d’un travail d’enquête pour partager un diagnostic sur la réalité, entendre les intérêts contradictoires, inventer des solutions hors des propositions déjà faites et trouver de larges majorité pour les adopter. Il va falloir inventer des « super-commissions parlementaires » en mode participatif et consensuel. Dans les associations, dans l’éducation populaire, dans la communication non-violente, il y a une foultitude de méthodes pour laisser de côté les affrontements et les affirmations des égos et construire des consensus. Il ne s’agit pas d’espérer que par une opération du saint-esprit un consensus se constate magiquement mais d’apprendre à construire des consensus, inventer des solutions qu’on n’imaginait pas plutôt d’ailleurs que des compromis frustants avec sans doute l’aide du Saint-Esprit, mais surtout par des façons de faire déjà testées, éprouvées dans la société civile.
Déplacer les représentations de la politique
Alors oui, les député.es vont devoir déplacer leurs représentations de la politique. Par exemple, accepter ne pas d’abord construire une majorité qu’on reproduirait sur tous les textes, ni se mettre d’accord sur un contrat de coalition qui deviendrait la prison des solutions. Mais d’abord insister sur des manières de faire ensemble et des méthodes pour embarquer le plus de député.es possible dans des décisions communes. Pas partir de l’a-priori de savoir ce que les habitant.es de notre pays veulent parce qu’on a été élu. Mais accepter de repartir d’une écoute de la société, des corps intermédiaires, des scientifiques, des représentant.es des personnes concernées pour accepter honnêtement d’être déplacé.es par ces rencontres et ces paroles. Ne pas d’emblée se penser représentant.e d’une catégorie sociale mais les écouter toutes pour savoir faire avec la diversité et le conflit des intérêt, savoir négocier comme on le fait dans une négociation entre salarié.es et patrons, pour le bien de la majorité en faisant en sorte que cela profite d’abord aux plus faibles.
Il va falloir réinventer le parlementarisme pour sortir du paradoxe mortel dans lequel nous sommes. Ou voir mourir la République.