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Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

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Billet de blog 14 janvier 2015

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La censure "douce" est en route : la preuve par "lapidée" pièce "reportée" à Paris

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Si vous voulez connaître l'histoire, ne cherchez pas sur Médiapart, ni dans Libé, ni sur l'AFP, pourtant prévenus. Il faudra que vous lisiez la presse suisse ou... kabyle. On censure à Paris, au risque de faire retomber la responsabilité sur des musulmans qui n'ont rien demandé, alors que les cerceuils ne sont encore en terre, mais ce n'est pas important. Ce que mes amis dessinateurs de bédé et auteurs de livre pour enfant me disent depuis une semaine se réalise : pas besoin d'islamistes avec des fusils, il y a bien des moyens de censurer. L'auto-censure. La pression de la préfecture police au nom de l'ordre public... Et dans la bédé et la presse pour enfant, la couardise des commanditaires... La machine infernale est en route.

Quelle est l'histoire de lapidée ? Je l'ai apprise avant hier par un mail de Jean Chollet, pasteur suisse, directeur du théâtre des Terreaux de Lausanne, et metteur en scène  de la pièce. Il se sent obligé de prévenir : "Ceux qui ont vu ce spectacle savent bien qu’il ne s’agit pas d’un brûlot contre l’Islam, ni d’une condamnation d’une « civilisation » . Ce spectacle entend dénoncer une pratique abominable et particulièrement barbare : la lapidation. Une pratique qui existe encore dans nombre de codes civils (Arabie Saoudite, par exemple) et qui est praticable – sinon régulièrement pratiquée – dans plus de 15 pays dans le monde ! Avec AMNESTY INTERNATIONAL, nous avons la conviction que plus on parle des violations des droits de l’homme plus certains gouvernements s’efforcent de limiter les jugements expéditifs." Une pièce d'un pasteur allemand, jouée par deux comédiennes suisses-vaudoises et un musulman. 

Et pourtant, "dans la situation actuelle à Paris et compte tenu des suggestions pressantes de la Préfecture de Paris", ils ont décidé, le producteur, le Théâtre CINE XIII et les artistes de ce spectacle, de "le différer". Au lieu de trente représentations de maintenant à mars, seulement trois "représentations « privées ». Il sera créé en Avignon en juillet prochain et sa reprise à Paris se fera au cours de la saison 15-16. En cause la pièce, mais surtout l'affiche qui devait être vue sur 150 des 500 colonnes Morris de Paris :  le regard d’une femme voilée sur lequel coule une larme de sang. ça aurait été tellement mieux un corps ensanglanté par les pierres. «Suite aux récents événements, nous devons faire preuve de décence et ne pas risquer d’énerver des fous furieux avec un visuel extrêmement parlant. L’affiche peut être vue comme une provocation», explique Claude Telliez, d’Aigle Noir Productions à la Tribune de Genève. Il poursuit : «Le théâtre a suggéré que nous changions le visuel de l’affiche et son titre, mais cela me paraît impensable. La pièce n’est pas annulée, mais reportée." Voilà comment naviguer entre résistance et deni de la censure...

La Tribune de Genève rapporte la réaction  d'une des comédiennes, Nathalie Pfeiffer : «Les gens dans la rue ont peur. Tout le monde clame haut et fort «Je suis Charlie», mais quand il faut agir, il n’y a plus personne. Il devait y avoir des affiches sur les colonnes Morris et dans le métro. On aurait peut-être dû proposer un visuel avec un Bisounours et un titre comme «Martine au Yémen»! La pièce a été écrite par un pasteur et elle n’injurie ni le Prophète ni l’islam. Elle parle des droits humains et de la lapidation arbitraire qui est encore pratiquée dans douze pays à travers le monde."

Le théâtre dit avoir fait passer en premier la sécurité de son public - mais a priori, il n'y a eu aucune menaces. Et dans ce cas là, c'est le rôle de la Préfecture de police d'assurer "l'ordre public" non ? De protéger la liberté d'expression ? "La préfecture de Paris, contactée par Claude Telliez, a fortement recommandé au producteur de renoncer à sa campagne d’affichage et à la pièce" rapporte la Tribune de Genève. "Suggestions pressantes", "fortement recommandé" l'annulation... Voilà la façon concrète qu'a l'Etat d'être "Charlie" à travers la Préfecture de Paris. 

Sandra Vollant, l’attachée de presse interrogée par la Tribune de Genève n'accepte pas cette décision : «L’attentat de Charlie Hebdo a tué un moyen d’expression, il faut valoriser ceux qui nous restent. Je n’en suis pas à ma première expérience en tant qu’attachée de presse de spectacles engagés, mais je n’ai encore jamais vécu cela. Le producteur a peur d’engager sa responsabilité juridique. Pour ma part, je n’ai eu aucune annulation de journalistes annoncés pour les représentations maintenues. Au contraire, une femme prévue le 6 février a décidé de venir à la première.»

Réactions supposées de musulmans qui n'ont rien demandé (qu'on suppose a-priori pro-lapidations !!!), producteur qui préfère ne pas prendre de risque, préfecture de police qui fait passer l'ordre public avant la liberté d'expression... Allez, un dernier ingrédient : ce sont aujourd'hui les sites d'extrême-droite, comme "Le salon beige" qui diffusent l'information pour prouver des soi-disants effets d'une fantasmatique islamisation de la société. Le cocktail infernal est parfait, s'il n'y a pas de réaction collective, nous n'avons pas fini d'en boire. Et il est amer, comme la mort de la création et de la liberté...

"Leurs avancées sont faites de nos reculs" était-il écrit sur un autocollant de la Section carrément anti-Le Pen dans les années 80. Il est urgent de reprendre du terrain, ça oblige à ne plus en céder.

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