Selon les spécialistes, ils sont de plus en plus nombreux à quitter leur famille politique pour se lancer dans la « guerre sainte » libérale. Comment se sont-ils radicalisés ? Qui les a endoctrinés ?
Manuel V., François R., François H.... la liste s'allonge de ces plus tout à fait jeunes gens que les spécialistes ont repéré. Venant pourtant de la famille de la gauche, ils ont tout quitté de ses idées pour se battre aux côté des plus extrémistes du combat ultra-libéral, dans une véritable « guerre sainte ». Ils ont tout sacrifié – famille, loisirs, amis... - pour consacrer leur vie aux dogmes de cette religion radicale particulièrement irrationnelle. Selon ses préceptes, en facilitant les licenciements, il y aura moins de chômeurs ; en baissant les salaires, il y aura plus de consommation ; en faisant moins payer de cotisations sociales aux entreprises, on évitera les déficits des régimes sociaux ; en baissant les taxes sur les carburants, il y aura moins de pollution. Comment ces jeunes gens qui ont souvent fait de brillantes études peuvent-ils croire en de telles fadaises ? Plus inquiétant, leur discours développe la haine de certaines populations particulièrement ciblées : les chômeurs, les petits retraités, les roms, les migrants de Calais, les fonctionnaires...
Ils ont souvent le même profil. Ils viennent de la famille de la gauche, avec laquelle ils ont rompu. Madame H. ne s'explique pas cette dérive : « Mon fils était tout gentil, il n'aurait pas fait de mal à une mouche... ». Elle décrit une enfance normale, un garçon qui réussit normalement dans les études, qui professent des idées très normales de centre-droit. Même sentiment de Madame V. dont l'aîné semble être le chef d'une des bandes les plus radicalisées : « Comment est-ce possible nous qui avons toujours tout fait pour le rendre fier de ses racines, une famille de républicains espagnols ? ». Tous décrivent la même chose. Alors que tout allait bien jusque-là, leurs enfants semblent un temps en perte de repères. Ils cherchent un sens à leur vie. Ils commencent alors à délaisser les journaux familiaux (Le Nouvel Obs, Témoignage Chrétien...) pour lire en cachette Les échos, Challenge, L'opinion. Ils écoutent sur le net BFM Bizness, regardent en boucle des vidéos de Jacques Attali ou Alain Minc. Ils achètent dans les brocantes des vieilles VHS de Ernest Antoine Sellières, Jean-Marc Sylvestre, Jean-Marie Colombani. Une émission de télé de 1984 est vue et revue des centaines de fois : « Vive la crise » présentée par Yves Montand, véritable Évangile des nouveaux convertis au libéralisme. « Quand il s'est fait tatoué « Tina pour la vie », nous aurions du réagir, s'en veut le père de Manuel V.. Nous pensions qu'il avait à nouveau une copine, ça nous rassurait. Nous ne savions pas que Tina voulait dire « There Is No Alternative » au néo-libéralisme ».
Se couper de toute opinion contradictoire.
Le basculement dans la radicalité a commencé. L'étape suivante les voit interdire à leurs parents la présence de toute source d'information de gauche à la maison : « Je me souviens une fois, il a jeté par la fenêtre le poste de radio parce que j'écoutais « Là-bas si j'y suis » de Daniel Mermet sur France-Inter » raconte le frère de François R. Même mésaventure dans plusieurs familles qui doivent cacher leurs exemplaires de l'Humanité, Politis, qui voient les ordinateurs détruits quand "Médiapart" est découvert dans les favoris... «C'est typique du tournant dans la radicalité, explique Françoise Juliard, spécialiste de la radicalisation. Ils se coupent et veulent couper leur famille de toute source d'information contradictoire qui pourrait remettre en cause une vision du monde qui, parce que particulièrement irrationnelle et contredite par les faits, est donc très fragile. Cette façon de se boucher les oreilles est un réflexe de survie ».
L'étape suivante a été de rencontrer en vrai leurs gourous de la télé et d'internet. Des recruteurs les repèrent – par exemple lors du dîner du « Siècle », un club qui regroupe les adeptes de cette religion – et les mettent en contact avec leurs gourous. Ils ne jurent bientôt que par eux, ne fréquentent plus que des banquiers d'affaires, des rentiers (on dit aussi investisseurs), des patrons... « Il ne voyait plus que ses nouveaux amis, et nous plus jamais » pleurniche Lionel J. « Dans leur bouche, ils n'y en avait plus que pour eux » racontent leur parents qui se sentent de plus en plus méprisés. « Hé bien, elle est pas jojo la famille Batho, aurait lancé François H. invité par une amie à manger dans sa famille, ce sont des sans-dents, non ? ».
Leurs amis s'inquiètent
Plusieurs proches témoignent de l'impossibilité à leur faire entendre raison : « Ils n'écoutent plus rien » racontre Jean-Luc Mélenchon qui a longtemps fréquenté ce qu'on appelle « la bande de Solférino ». Lui a préféré complètement couper les ponts. D'autres tentent toujours le dialogue, mais n'y croient plus trop : « ça devient quasiment impossible, on ne parle plus la même langue » témoigne Pierre Laurent qui a encore tenté l'été dernier de faire le tour de leurs repères (appelés aussi « universités d'été ») avec un message simple : votre famille vous aime, vous pouvez encore tout laisser tomber et rentrer à la maison. Mais n'est-il pas trop tard ? Le mal n'est-il pas trop grand ?
Si aujourd'hui, on en compte surtout une poignée particulièrement radicalisée dans un autoproclamé « Gouvernement social-démocrate » (alors qu'il n'est ni un gouvernement, ni social-démocrate) dont les forces se trouvent concentrées principalement dans le 8e arrondissement de Paris, ce qu'il faut bien appeler une maladie, touche aussi une grande partie de cette même population sur les bords de Seine, entre la rue de l'Université et le métro Assemblée-Nationale. Plus inquiétant, existerait, dispersé dans toute la France, un réseau dormant, qui s'est lui-même autoproclamé « Parti socialiste » (alors qu'il n'est ni un parti, ni socialiste).
Que faire ? La désintoxication que mènent les équipes de Françoise Juliard ont-elles une chance de réussir ? Faut-il les déchoir de leur nationalité de gauche comme le propose Jean-Luc Mélenchon ? La confrontation avec la réalité et les conséquences néfastes de leurs actes peuvent-elles les faire revenir à la raison ? Certains disent avoir réussi à rompre l'enchantement – ils se sont regroupés dans un club de « socialistes anonymes » que la presse a baptisé « les frondeurs » : espérons qu'ils soient suivis...