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Billet de blog 16 juin 2022

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Tout est germe, c’est lundi que tout commence

La dynamique de la NUPES est une première étape, un brouillon dont les limites disent en creux ce que pourrait être une catalyse qui accélère le rythme de transformation pour aller plus vite que la catastrophe. Alors que la tendance militante forte est de ne se mobiliser qu’au moment des élections, c’est lundi que tout commence.

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Au lendemain de la présidentielle, je disais combien l’échec du candidat d’EELV à dépasser les 5 % et celui de Jean-Luc Mélenchon à se qualifier au second tour signalaient l’urgence de passer de la logique du « j’ai raison tout seul » à celle de la catalyse généralisée, une logique de composition des forces : entre partis politiques de la gauche et de l’écologie ; partis politiques et mouvements sociaux, expérimentations et créateurs de cultures ; niveaux du changement des structures, des modes de vie et des imaginaires. Une démarche commençant par un Front populaire écologique et social aux législatives. La dynamique de la NUPES semble être une première étape, un brouillon dont les les limites disent en creux ce que pourrait être une catalyse qui accélère le rythme de transformation pour aller plus vite que la catastrophe. Alors que la tendance militante forte est de ne se mobiliser qu’au moment des élections, c’est maintenant que tout commence.

Un trompe l’œil électoral à succès

Électoralement, cela a été signalé par les observateurs, la NUPES est un trompe l’œil à succès. A succès car l’union a permis à ses candidats d’être au second tour dans 385 circonscriptions quand, en 2017, PS, PCF, LFI et écologistes divisés ne pouvaient le faire que dans 146 circonscriptions. Cela se traduira sans doute dans le résultat final :  180 à 210 députés espérés contre 57 dans l’assemblée sortante. La NUPES met en difficulté le président sortant en le menaçant de le priver de majorité et reprend symboliquement la tête de l’opposition alors que son échec à parvenir au second tour avait provisoirement laissé ce hochet à Marine Le Pen. Le mot d’ordre de « Mélenchon premier ministre » apparaît pour ce qu’il était : une belle trouvaille pour mobiliser les militants – moins les électeurs puisque près de 40 % des électeurs de gauche de la présidentielle ne sont pas allés voter – au risque de créer des faux espoirs et de nouvelles déceptions dans les milieux populaires.

Mais il s’agit en même temps d’un trompe l’oeil car avec 26,16 %, la gauche n’établit pas un meilleur même score que le total gauche de 2017 très loin des 49,93 % de la victoire de 2012 et même que les 49,08 % de la défaite de 2007 qui voyait Nicolas Sarkozy être majoritaire à l’assemblée. Ainsi, la question de la fuite de l’électorat de gauche entraînant un niveau historiquement bas n’est pas réglé. Mais fuite de quel côté ? La place faite à la gauche de gouvernement – PS, EELV… – dans l’alliance n’a pas récupéré les électeurs votant à gauche avant 2017 partis depuis du côté macroniste. Surtout le leadership donné à la France Insoumise et la dynamique d’union n’a pas donné envie aux milieux populaires de sortir de leur abstention après 40 ans (1983) de trahison par la gauche au gouvernement : l’abstention des ouvriers et des employés reste au-delà des 65 % comme en 2017 (contre 40 % pour les retraités) quand le Parti socialiste arrivait à mobiliser à 74 % du vote ouvrier en 1981. On a beaucoup glosé sur la dispersion de la gauche ayant pour résultat un Jospin n’arrivant au second tour mais il ne faut pas oublier qu’à cette élection, le candidat du PS n’avait réussi à capter que 13 % du vote ouvrier, qui avait principalement choisi l’abstention. On signalera au passage qu’il est très difficile de trouver des chiffres sur le long terme de l’abstention par classes sociales, alors que c’est le problème de fond de l’étiage très bas de la gauche ou des forts scores du Rassemblement national et l’apparence qu’il donne d’être le premier vote ouvrier : premier parmi les ouvriers qui votent… soit une minorité. Tel est l’enseignement du premier tour qui se confirmera sans doute au second : une campagne réussie médiatiquement et des portes à portes le temps des élections sont insuffisants à mobiliser l’électorat populaire.

Alliances bien sages et articulation esquissée avec le mouvement social

Le choix par LFI des partenaires électoraux laisse interrogatif sur la réalité de ce mouvement comme gauche de rupture à même de porter de nouvelles aspirations. La NUPES a fait alliance avec le parti REV (révolution écologiste pour le vivant) pour récupérer le pourtant problématique Aymeric Caron (transhumaniste, défendant le permis de voter, anti-agriculture paysanne…) car « vu à la télé » et l’archaïque POI mais a laissé de côté PEPS (Pour l’écologie populaire et sociale)(1) pourtant médiateur avec les Gilets jaunes et les nouvelles générations intersectionnelles. Surtout, elle a laissé de côté des partenaires comme le NPA tout en servant généreusement le Parti socialiste et EELV en investitures. Quitte à se faire traiter d’extrême-gauche, autant s’allier avec elle et pouvoir mettre en avant des Poutou et Besancenot, signaux autrement plus significatifs de la rupture avec les déceptions de la gauche de pouvoir.

Dans ces choix, la composition avec le mouvement social n’a été qu’esquissé. Le collectif « On s’en mêle » qui avait mobilisé les électeurs des quartiers populaires a été négligé. Comment alors interpréter les élections espérées de Rachel Kéké, du « boulanger de Besançon » et d’Aurélie Trouvé  ? Sans doute avec la même indécision que sur l’objet « Parlement de la nouvelle union populaire ». En étant optimiste, on peut se dire que c’est un premier pas, une esquisse de composition avec le mouvement social. En étant cynique, que c’est un hommage du vice politicien aux vertus de la société civile, une manière maline de gonfler ce qui n’a été finalement qu’un comité de soutien. L’apport sur le fond n’a pas été visible. Quand ce parlement aurait pu jouer un rôle d’alerte ou de contre-pouvoir – quand le NPA a été mis de côté, quand lui ont été signalé des affaires glauques sur Marseille, quand Mélenchon était ambigu sur l’envoi d’armes au peuple ukrainien… – , il ne l’a pas fait. Une esquisse ou une esquive ?

Surtout, même si une opposition de gauche nombreuse au parlement sera utile face aux futurs mauvais coups du gouvernement, cela n'aura pas d'effet sur le retour des milieux populaires en politique,  sur le résistance de la population à mette en oeuvre, n'améliorera pas concrètement son quotidien dans les cinq ans à venir et ne permettra pas en soi à renverser la table sur les questions climatiques. Il y a besoin d'autre chose que de travail parlementaire classique et de jeu électoral.

Catalyse 48/36/44

Pourtant c’est bien en creux de ces limites que se dessine le chemin d’une composition des forces débouchant sur une catalyse. A la condition d’un changement d’échelle, du crayonné à la fresque collective. Qu’est-ce qui a fait les succès de 1848, 1936 et 1944 ? Aussi bien la mobilisation électorale des milieux populaire que les transformations significatives des politiques publiques qui découlent autant de celle-ci que de la pression continue de la société une fois les partis de gauche au gouvernement.

Une auto-organisation des milieux populaires dans une multitude d’associations de femmes, de jeunes, professionnelles, sportives, etc. Des coopératives de consommations, de production, des mutuelles... Un syndicalisme aux tendances insurrectionnelles fortes, inventant les coopératives avant 1850 (2), occupant les usines en 1936, expérimentant l’autogestion avec les « comités de gestion des usines réquisitionnées » à la Libération. Des municipalités anticipant – et donc donnant à voir et à vivre - par leurs politiques la société future. Des artistes qui versifient, chantent, peignent les conditions de vie, la fierté et les espérances des milieux populaires. Cette « galaxie » (3) fait contre-société : elle catalyse les changements des structures, des modes de vie et des imaginaires, principalement anarchiste avant 1850, socialiste et anarchiste en 1936, davantage communiste en 1944 et jusqu’en 1981.

Ces forces se composent de multiples façons avec celles électorale et gouvernementale des partis. L’alliance électorale est large : en 1936, d’un PCF plus révolutionnaire qu’aujourd’hui et d’une « gauche révolutionnaire » de Marceau Pivert au sein de la SFIO jusqu’aux radicaux (Blum n’a pas eu peur de Besancenot). Les militants des partis de gauche sont présents au quotidien auprès des gens et pas pas seulement lors des élections. Parce qu’ils sont issus de ces milieux populaires et participent de la galaxie qui fait vivre l’autre société. Les milieux populaires votent car ils votent pour eux-mêmes, ils ne s’abstiennent pas à cause des trahisons d’hier mais votent pour les espoirs de demain et les réalisations d’aujourd’hui de la contre-société.

Une fois au pouvoir, les partis sont à la fois sous la pression de cette contre-société mais aussi au bénéfice de son dynamisme et de son inventivité. Les congés payés ont été imaginés et doivent leur succès populaire au Christianisme social protestant à l’origine des colonies de vacances, aux municipalités communistes et socialistes, aux mouvements des auberges de jeunesse et à la multitudes des associations sportives et de loisirs populaires. Pas de Sécurité sociale sans l’invention des mutuelles par les mouvements ouvriers...

La catalyse aujourd’hui

Si la dynamique partidaire est en germe du côté de la Nupes, celle de la contre-société s’organise déjà. Il y a les multiples expérimentations de l’écologie qui cherchent l’archipelisation. Des habitants des quartiers populaires qui s’auto-organisent en Alliances citoyennes. Toute la génération qui s’est politisée pendant les mouvements contre les lois travail, les gilets jaunes, le Covid – Brigade de solidarité populaire, L’Offensive à Lille, Nantes en commun... – a commencé à le faire en articulant l’action politique classique à des expériences de mode de vie : ouverture de lieux, abandon du salariat pour monter des coopératives de production (SCOP) en particulier dans l’informatique (logiciels libres), à Nantes une « mutuelle intégrale » avec un café, un fournisseur d’énergie locale, un champs cultivé, etc. Dans des communes petites ou moyennes (Melle, Poitiers…), les dynamiques d’expérimentations ou associatives se traduisent dans la gestion des municipalités.

Dès lundi

Comme le remarque Philippe Corcuff (4) dans la longue interview qu’il nous a accordé pour Ecorev, les périodes électorales connaissent des formes d’aimantation qui voient se mobiliser des personnes qui ne le font qu’au moment des élections et retournent chez elles ensuite. L’enjeu est de les convaincre – et tant le Parlement de la NUPES et les partis composant l’alliance que ceux qui en ont été écartés, mais aussi la société civile et les milieux populaires auto-organisées, ont cette responsabilité – que tout commence lundi, qu’il faut construire autre chose dès maintenant. Une galaxie à transformer en contre-société faisant système alternatif et sa composition avec l’action politique.

(1) https://confpeps.org/

(2) Revue du Mauss n° 16 : L'autre socialisme. Entre utilitarisme et totalitarisme (2e sem. 2000).

(3) Roger Matelli, Le PCF, une énigme française, La Dispute, 2020

(4) Ecorev n° 52 - Éviter l’effondrement, se saisir des basculements. https://www.ecorev.org/spip.php?article1081

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