stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

Abonné·e de Mediapart

137 Billets

6 Éditions

Billet de blog 17 juillet 2022

stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

Abonné·e de Mediapart

A Rivesaltes à l'été 42, résister aux déportations

stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans André Dumas, habiter la vie (Labor et fides), je publie les témoignages d'André Dumas (1918-1996) et Jacques Maury (1920-2020), alors étudiants en théologie à faculté de Montpellier. Avec la CIMADE, ils vont assister et tenter de freiner les premiers envois en camps de concentration.

Suite à un voyage de Suzanne de Dietrich, une des responsables des Unions chrétiennes de jeunes gens, dans le sud-ouest de la France où elle voit les difficultés des réfugiés d’Alsace et Moselle, se crée le Comité inter-mouvements, qui regroupe les mouvements de jeunesse protestants dont la Fédé, qui devient CIMADE (Comité inter-mouvements auprès des évacués) en mars 1940 sous la direction de Madeleine Barot, première secrétaire générale. à partir d’août 1940, d’abord au camps de Gurs (Pyrénées-Atlantiques), la CIMADE s’installe - « internés volontaires » - dans les camps d’internements où sont regroupés dans des conditions difficiles tziganes, réfugiés politiques notamment espagnols et allemands et bientôt juifs. En 1942, comme équipier de la CIMADE, André Dumas fait parti de ces « internés volontaires » au camps de Rivesaltes près de Perpignan. Ils essaient de rendre la vie moins difficile en nourrissant et soignant les internés, en créant un jardin d’enfant, des ateliers de de menuiserie, de raphia, des cours de coiffure. Un atelier de dessin publicitaire vend même des affiches à l’extérieur. André Dumas monte une troupe d’éclaireurs notamment avec des jeunes issus des éclaireurs israélites : « Nous avions le droit de sortir du camps avec les jeunes une fois par semaine. Mais aucun n’a jamais essayé de s’évader » 1.

à partir d’août 1942, un îlot où sont regroupés les juifs est séparé avec des barbelés. Les autorités françaises vont y “ puiser ” les juifs que Vichy a promis à l’Allemagne. Les internés volontaires vont, lors de la composition de chaque nouveau convoi, tenter d’arracher le plus possible de personne en dressant des contre-liste de personnes dont elles défendent l’exemption. André Dumas raconte :

« Il fallait sur chaque feuille marquer les noms et prénoms, la nationalité, le domicile, la profession, la situation familiale, le numéro correspondant à la catégorie d’exemption invoquée et les observations particulières que permettaient d’enregistrer et de plaider en entretien plus prolongé que celui prévu avec le fonctionnaire du ministère de l’Intérieur. Sachant que le jour du départ du convoi n’était jamais retardé, il fallait jusqu’au dernier moment se battre pour que les exemptions “ légales ” soient respectées. En agissant ainsi, on risquait à tout moment de devenir les complices objectifs d’une sélection. Pourtant tout le monde savait que cette lutte pied à pied, feuille à feuille, était menée dans la seule crainte que, négligeant par paresse et hâte les conditions formellement indiquées sur la circulaire du ministère de l’intérieur, les responsables de l’îlot spécial ne joignent au convoi des personnes qui avaient théoriquement les documents suffisant pour y échapper. […] L’abandon spirituel consenti lors de l’armistice avait continué. La résistance n’avait localement pas pris d’autre forme qu’une lutte continuelle sur des dossiers, qu’une organisation de filières d’évasions lointaines ou proches, et qu’une présence jusqu’à l’heure du départ auprès des convois nocturnes de quatre à cinq wagons… […] Beaucoup de vies furent sauvées qui ne l’auraient pas été si la Cimade avec les autres œuvres ne s’était pas accrochée aux exemptions et n’avait pas organisé les évasions.

Cependant la question qui ne se refermera jamais demeure : pourquoi certaines partaient-ils dans “ la nuit et le brouillard ”, tandis que les autres restaient au-dehors de fournées exterminatrices ? Pourquoi nous aussi, avons-nous trié, par ordre de moins grande détresse, les dossiers qu’il fallait défendre jusqu’au bout, tel des enfants qui rajoutent quelques pelletées de sable au château fort démantelé que submerge la marée montante. Quand l’orage est là, on s’acharne à tenir au sec quelques trésors. Cette tâche de sauvetage est la seule possible et juste, mais l’orage est un phénomène naturel. Une circulaire, aussi anonyme soit-elle, est un acte humain que d’autres hommes peuvent à leur tour refuser, surtout quand une frontière est géographiquement proche. Commencez à parler d’hébergement et non d’internement, et pas la voie des extrêmes vous nous appellerez bientôt “ transfert ” une déportation, vous deviendrez anti-nazi dès novembre 42, après avoir maintenu l’ordre à Rivesaltes en août et en septembre. C’est au début qu’il faut refuser de s’habituer, pour que votre oui soit vraiment oui, et votre non vraiment non »2.

Jacques Maury rejoint quelques jours André Dumas pour l’aider à l’été 42 :

«  André m'installe dans une baraque de la CIMADE au milieu du camp. A Montpellier, nous étions devenus copains avec un couple de juifs polonais communistes, les Streleyn et la veille ou l'avant-veille de mon arrivée au camps, je les avais accompagné à la gare de Montpellier pour qu'ils rejoignent en train les filières d'évasion de la CIMADE en Savoie. Premier matin à Rivesaltes, André me réveille à cinq heures du matin : « les Streleyn viennent d'être amenés au camps », ils s'étaient fait gauler dans le train... Ils n'étaient pas religieux du tout, mais là dans les 4-5 jours qui ont suivi, je les ai vu le redevenir… […] Il a réussi à faire rayer des listes les Streleyn : elle se croyait – et je pense qu'elle l'était – enceinte. Ils vont être envoyés vers le Chambon. André s'était, par exemple, aussi battu pour un homme du 2e bureau français pendant la guerre de 14, mais il n'a pas réussi...

Le 5e jours de ma présence, au milieu du camps, tous les juifs groupés dans l'îlot K, au milieu du camps, sont rassemblés sur un côté de la place d'appel, qui est de 20-30 mètres de diamètres. D'un côté de la place, les gardes mobiles, (on les appelait comme ça), devant les juifs de l’îlot K et de l'autre côté de la place, une autre rangée de gardes mobiles et au milieu de la place, le chef de camps faisant l'appel. Cela dura 2 ou 3 heures. Dans un silence glacial, affreux. J'ai vu des couples, où l'un avait 72 ans et l'autre 68, obligés de se séparer. Ils sont à quelques dizaines de mètres l'un de l'autre, ils ne sont plus reliés que par le regard. Le souvenir me reste brûlant, je ne peux toujours pas l'évoquer sans verser une larme. Tout cela dans un silence total. Et quand les camions ont fini par arriver, tous ceux qui ont été appelés y sont montés, dans un silence terrible. Quand les moteurs se sont mis en marche, là ils ont entonné un chant religieux tout à fait bouleversant. Et nous nous sommes tous restés là, comme des loques. Ce souvenir--là, je ne pourrais pas l'oublier ».

André Dumas, qui sera professeur de philosophie et de morale à l'Institut protestant de théologie, restera engagé à la Cimade, il en devient le vice-président en juin 1968. Jacques Maury en sera président de 1989 à 1995, après avoir été président de l'Eglise réformée de France et de la Fédération protestante de France. La CIMADE agit toujours, elle défend le droit des étrangers.

1 Marie-France ETCHEGOYEN, « Les camps de concentration français », Le Nouvel observateur, n°1444 du 09/07/1992 p. 18.

2André DUMAS, Foi et réalité, Les Bergers et les mages, Paris, 1999 , pp. 31-34.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.