Deux jours plus tard, dans son éditorial de L'Humanité du 26 août, Maurice Ulrich écrit à propos du même sujet : « Nous pensons à ce poète arabe qui, il y a déjà plus de douze siècles, invitait Dieu à proscrire le voile, lequel, écrivait-il, « sera à jamais le fléau de la jeunesse » ». Dimanche, dernier, sur la grande scène de la fête du journal communiste, Michel Polnareff entame, bientôt suivi par des dizaines de milliers de voix : « On ira tous au paradis, qu'on soit béni qu'on soit maudit, on ira... ».
Bienvenue à chacune et chacun dans le débat théologique et en particulier à vous, Jean-Luc, Maurice, Michel et vous, avec qui je chantais dimanche. Le Larousse définie la théologie de manière trinitaire : « étude concernant la divinité et plus généralement la religion. Dans un sens chrétien, études portant sur Dieu et les choses divines à la lumière de la Révélation. Doctrine religieuse d'un auteur ou d'une école ». Bienvenu à vous, Jean-Luc et Maurice, qui vous interrogez sur la volonté de Dieu. A toi Jean-Luc qui pousse cela jusqu'à l'interprétation de la doctrine religieuse des fondateurs de trois monotheismes. A toi Michel et ton public qui prenez publiquement position dans le compliqué débat sur les fins dernières et affirmez pour mon plus grand plaisir la doctrine du salut universel ! La théologie, ce n'est pas autre chose que ce que vous avez fait là !
Vous n'êtes peut-être pas croyant, vous n'avez pas fait d'études de théologie qu'importe ! Par la Grâce de la Réforme protestante et de la révolution laïque de 1905, nous pouvons crier « Tous théologiens ! » comme le regretté Raphaël Picon intitula un de ses livres.
Par la Grâce de la Réforme. La Réforme appelle chacun a lire directement le texte biblique et revendique que tombent les anciens ordres : tout prêtre est un laïc (il peut se marier, boire, vivre, quoi...) tout laïc est un prêtre, chacun a le droit de discuter des écritures, de Dieu, des fins dernières. Et pour cause : seul Dieu sait ce qui est vrai, donc nous sommes tous et toutes égaux dans l'énonciation de bêtises qui de toutes façons seront toujours incapable de jamais traduire sa réalité qui est au-delà de notre imagination..
Par la révolution de 1905. La loi de 1905 fait qu'il n'y a plus de sacré imposé à l'Etat, ni par l'Etat à la société, ni par une religion à la société par l'entremise d'un Etat. Comme le rappelle Edwy Plenel (1), aux tenants de l'interdiction du « costume ecclésiastique » dans la rue, Aristide Briand répondait : qu'« en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait se poser. Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel (…). La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme les autres, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non. ». Edwy Plenel continue : « Autrement dit, (et d’ailleurs Briand lancera, provocateur, à cette assemblée masculine qu’il était du droit de chacun, dans un régime de liberté, de se promener s’il le souhaitait « en robe ») si, demain, des hommes (quels qu’ils soient) veulent se rendre en soutane à la plage, et se baigner sous cette apparence, ils en ont le droit… » Exactement pour les mêmes raisons, en régime de séparation, croyants ou non, prêtre, pasteur ou non, tous et toutes, vous avez le droit de faire de la théologie, hors de toute imprimatur papale, mereau (2) protestant ou certification halal ou casher.
L'expulsion des facultés de théologies de la faculté d'Etat en 1905 a même libéré la théologie d'un autre cléricalisme, celui de l'université. Certes, dans les facultés de théologie protestantes et catholiques on décerne des diplômes qui s'appellent « licence », « master », « doctorat », mais qui n'ont pas la valeur de diplômes d'Etat. Contre ce cléricalisme universitaire qui voudrait qu'on ne soit historien ou philosophe que lorsqu'on est docteur dans cette matière, rien de cela en théologie où ce ne sont que des diplômes de papier. Tous et toutes théologiens, même sans diplôme officiel !
Alors, Jean-Luc, Maurice, Michel et les autres, lâchez-vous ! Théologisez ! Bien sûr, c'est comme en tout : si vous lisez quelques livres, travaillez un peu vos sujets et en discutez avant avec votre voisin de table, ça risque d'être plus intéressant. Mais allez-y ! Pour vous faire plaisir puisque vous allez l'air d'en mourir d'envie mais aussi et surtout parce qu'il y a un besoin urgent de théologie.
Comme nous l'avons défendu dans un texte avec Oliver Abel, « ce dont nous souffrons n’est pas d’un trop de théologie, ce trop que nous traquons chez les autres : c’est d’un pas assez de théologie pour penser l'ensemble des conceptions du monde. »(2). Plus de théologie, d'abord, pour contrecarrer les conceptions théologiques conservatrices qui, tels les vampires confrontés à la lumière, s'étiolent dans le débat contradictoire qu'il est donc nécessaire de nourrir. Nous voulons bien de vous comme alliés dans cette lutte , ça nous changera de BHL, ce « nouveau théologien » (comme l'avait qualifié Daniel Bensaïd dans un essai mordant). Ensuite, parce que de toutes façons, dans les débats, la théologie est déjà partout mais « en douce ». Bien sûr dans les débats sur la religion. On voit bien que ces débats sont écrasées par des images non-dites ou inconsciente de Dieu. Combien de fois ai-je entendu des personnes me dire : « Je ne peux pas croire en un vieux bonhomme à la barbe blanche qui ferait la pluie et le beau temps depuis son nuage ». Moi non plus et même, pour paraphraser Bakounine, si Dieu existait comme cela, il faudrait s'en débarrasser ! Ensuite parce que derrière toutes nos conceptions du sujet et du politique, de l’économie et de l’image, du temps et du monde, se cachent des « théologèmes » - des images de Dieu, de l'humain, de l'espérance, du salut... - qu'à ne pas voir nous ne critiquons ni ne discutons et qui nous reviennent en boomerang en permanence, à la manière d'un inconscient refoulé.
Vous souhaitant la bienvenue en théologie, je suis sûr que vous souhaiterez la bienvenue en politique aux théologiens, aux croyants, aux associations cultuelles ou d'inspiration religieuses qui combattent comme vous pour l'émancipation humaine et la sauvegarde de la planète. Bien sûr, pas pour exercer le pouvoir au nom d'une religion ou en donnant une religion à l'Etat : la loi de1905 a mis fin à cela, comme à la tentation inverse, l'Etat dictant aux religions ce qu'elles doivent penser et décider. Mais pour participer au libre débat de la société, citoyens parmi d'autres, membres de la société civile parmi d'autres, même si vous continuez étrangement à appeler « institution » les associations religieuses, statut 1905 ou 1920 et cherchez avec obstination à n'avoir qu'un « représentant » par religion (imagine-t-on cela dans le syndicalisme ou le monde associatif...). D'ailleurs, Jean-Luc, tu sembles d'accord avec cela. Comment comprendre sinon, que dans la même interviews tu qualifie de « très intéressante » l'encyclique sur l'écologie du Pape des catholiques romains ? Alors, tous et toutes théologienNEs et tous et toutes citoyenNEs ?
https://blogs.mediapart.fr/edwy-plenel/blog/140816/un-vetement-comme-les-autres
pendant la période d'interdiction du protestantisme en Fance, le mereau était le jeton qu'on donner pour accéder à la cène qui vérifiait l'adhésion à la religion réformée, http://www.museeprotestant.org/notice/mereaux/
http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/10/14/plaidoyer-pour-un-peu-plus-de-theologie_4506024_3232.html#dkfVfjls4yDKmH00.99
Une version brève de ce texte est parue initialement dans le journal Cerises