Décidement, un certain nombre de catholiques n'en ratent pas une !
Comme le rapporte le site de la revue Mouvement (www.mouvement.net) repris dans le journal du net de Mediapart, le journal a été «assaillies par une pluie de courriers émanant de chrétiens se déclarant “peinés”, “blessés”, “choqués”, “scandalisés”» à cause de la «une» de l'édition du lundi 24 mars dernier présentant une poupée à l’effigie de Mickey crucifiée.
Il s'agit d'une reprise d'une œuvre du collectif de plasticiens Taroop&Glabel, "déjà exposée à de nombreuses occasions dans des centres et des galeries d’art et reproduite dans plusieurs ouvrages". Ces catholiques ont eu l'impression que la crucifixion du Christ était ridiculisée...
La revue se défend très bien toute seule sur son site avec des arguments très intelligents puisés dans la philosophie, les débats sur l'arts et même la théologie. Elle souligne par exemple que "l’œuvre en question offre prise à une multitude d’interprétations : plutôt qu’une parodie de Jésus-Christ, on peut très bien y lire, par exemple, une critique acerbe d’une société actuelle qui semble vouer un véritable culte au divertissement."
Quand le journal La décroissance - animé notament par des "alter-chrétiens" - publie des dessins de personnes en prière devant une télévision ou une automobile, quand l'Eglise de la trés sainte consommation organise des prières publiques à la consommation, à la pub ou à la vidéo-surveillance, ils ne ridiculisent pas la prière : ils dénoncent la religiosité de la société qui a juste remplacé ses idoles par d'autres. Exactement ce que décrivait l'intellectuel protestant Jacques Ellul en 1973 dans son livre Les nouveaux possédés (réédité en 2003 par Les Milles et une nuits), à propos des nouvelles religions politiques, du sport, de la musique, de la technique etc.
Mais remontons encore plus loin. A la fin du 19e siècle, un débat fait rage chez les protestants : faut-il ou non des croix sur les temples ? Jusque-là, les temples n'étaient jamais ornés de croix. On préférait la représentation d'une bible ouverte, ou un verset du dit livre. Par soucis d'"assimilation", de plus en plus de temple sont ornés de croix. La critique née dans certains milieux : installer des croix, c'est de l'idolatrie. Certains auteurs montrent avec force études que Jésus avait sans doute été pendu à un simple poteau et que les croix étaient des symboles païens. Enfin, qu'en adorant une croix, on adorait un objet et non Dieu...
En se récriant dès qu'on touche à l'image de la croix - aujourd'hui en crucifiant un symbole trop gai, hier parce que que le créateur Thierry Gouguenot y accroche au contraire un squelette (1) - ils montrent qu'ils adorent des objets, des images au lieu du Dieu vivant. Il est parfois affligeant de voir comment les mêmes débats n'ont pas bougé en 5 siècles, depuis que Calvin se moquait dans son "Petit traité des reliques" de l'amour des catholiques pour les tibias de saints et les dents de nones...
Ce qui m'attriste aussi, c'est la tendance d'un certain nombre de croyants ou d'institutions - souvent catholiques - à se considérer comme "propriétaires" des images issues des évangiles, cette fois-ci avec cette histoire de crucifix, mais on se souviendra aussi de cette association proche des évêques qui avait fait interdire en 2005 une publicité des modistes Marithé et François Girbaud s'inspirant d'une peinture de Léonard de Vinci représentant le dernier repas du Christ.
Peut-on à la fois défendre à tout bout de champs les "racines chrétiennes" de l'occident et refuser que cela fasse partie du patrimoine - et donc de l'utilisation commune ? Peut-on en permance en appeler à l'Esprit et oublier que l'Evangile nous rappelle qu'il "souffle où il veut", et donc peut-être (sans doute...) autant chez les artistes contemporains que dans les sacristies ? Peut-on revendiquer d'intervenir dans le débat public et refuser que nos arguments, nos signes et nos symboles y soient bousculés ? Peut-on en permanence citer Jésus et les Evangiles et oublier que le charpentier de Nazareth n'a pas fondé d'église et encore moins de fondation pour gêrer ses symboles, ses logos et ses marques ? En tous cas, je ne considère pas mon boulot de pasteur comme celui de gardien (des marchands) du temple...
(1) http://blog.lamaisonverte.org/post/2007/09/19/Une-censure-qui-manque-de-chair
et ci-dessous...