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Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

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Billet de blog 29 juin 2009

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Nucléaire et théologie

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Dans la lecture de la presse ces derniers jours, deux chiffres m’ont frappé. Ils concernent l’énergie nucléaire. 80 ans. Avec la consommation des centrales nucléaires actuelles, nous aurons épuisés toutes les ressources disponibles mondiales d’uranium dans 80 ans. 100 000 ans. C’est la durée de vie des déchets nucléaires qui seront enterrés par la Suède dans son nouveau site d’enfouissement. 80 ans de vie pour une technologie qui laisse des déchets dangereusement radioactifs pendant 100 000 ans. Le raccourci est saisissant.

Pour les générations futures cela signifie que l’on utilise une technique qui d’un côté va les priver définitivement d’un minerai que peut-être elles auraient pu utiliser autrement dans l’avenir, de l’autre les oblige à gérer des déchets et les conséquences de ces déchets pendant un temps qui équivaut à « toujours ». Les générations futures se trouvent endettés pour longtemps, doivent gérer sur une durée incroyablement longue les conséquences de nos choix d’aujourd’hui, et se trouvent privées d’un certain nombre de choix pour le futur.

A ce stade, faisons un premier parallèle biblique. Dans l’ancien testament, il y a la loi du jubilé. Tous les cinquante ans, les dettes devaient être annulées et les esclaves libérés, ce qui revenait au même puisque dans l’Israël ancien, quand on ne pouvait pas payer ses dettes, on devenait esclave de celui auquel on devait de l’argent. On peut penser que cette loi n’a jamais été appliquée. Mais son sens lui, reste fort : c’est une invitation à remettre régulièrement les compteurs à zéro ; faire que personne ne soit jamais définitivement prisonnier d’une situation. Dans le nouveau testament, Jésus radicalise cette loi. C’est immédiatement, quand il commence sa prédication qu’il annonce une année de grâce, de jubilé. Le jubilé, c’est maintenant. Dans le Notre Père, la prière qu’il nous laisse, il est demandé que nos offenses soient pardonnées comme nous pardonnons les offenses : le mot grec original n’est pas offense mais dette. Chaque fois que nous disons cette prière, à la fois nous reconnaissons que nous avons des dettes, et à chaque fois nous aspirons à être libérés de nos endettements. Le nucléaire par la profondeur de l’endettement qu’il représente semble heurter radicalement cet idéal biblique. Oui, nous avons des dettes. Mais elles ne doivent pas nous maintenir prisonnier.

Les partisans du nucléaire sont conscients de cette limite. Que proposent-ils face à la pénurie rapide d’uranium et l’incroyable longévité des déchets ? Demain, disent-ils, il y aura de nouvelles centrales, plus efficaces, et nous pourrons faire durer les réserves d’uranium bien plus longtemps. Demain, disent-ils, nous découvriront de nouvelles techniques, qui nous permettront de réutiliser les déchets comme combustible ou qui résoudront le problème de leur dangerosité. Passons sur la volonté de toute puissance scientifique que cela traduit, et sur l’impression que notre salut ne nous est plus offert par Dieu, mais par ce nouveau Dieu qu’est la science. Restons sur la question du temps. Dans ces phrases, l’important, c’est « demain ». Faisons un deuxième parallèle biblique. Jacques Ellul dans son ouvrage l’homme et l’argent s’en prend à l’épargne. Certes, dit-il on peut épargner si c’est pour réaliser un projet précis : s’acheter une maison par exemple. Mais épargner pour s’assurer la sécurité financière dans le futur, c’est la même illusion que celle dénoncées par le prophètes quand ils reprochaient à Israël de mettre davantage leur confiance dans les alliances avec l’Egypte ou la Babylonie qu’en Dieu. Passer des alliances aujourd’hui avec l’argent – ou la science, en ce qui concerne le nucléaire – pour résoudre ses problèmes demain, c’est comme passer des alliances avec la Babylonie ou l’Egypte au temps des hébreux. Non seulement, ça ne marche pas – les Hébreux ont quand même été envahis et déportés - non seulement c’est avoir plus confiance dans ces puissances qu’en Dieu, non seulement c’est manifester une volonté d’autonomie babélienne vis-à-vis de Dieu, mais c’est aussi vouloir « s’emparer de l’avenir » qui appartient à Dieu dit Jacques Ellul.

Le nucléaire réussit le double exploit de réduire les choix pour les générations futures et de s’emparer de l’avenir qui appartient à Dieu. Or, la rencontre avec Dieu se joue sans doute aussi dans le refus de ces deux impasses : Garder ouverts tous les possible aux générations futures c’est préserver l’éventail des chemins que Dieu peut ouvrir devant elles, garantir que l’avenir continue à appartenir à Dieu, c’est permettre que les choix que font les générations futures ne sont plus de simples choix humains, mais des occasions de rencontrer Dieu dans ces divers chemins.

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