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Le 16 février 2025, un adolescent de 17 ans diffuse en direct sur TikTok une vidéo dans laquelle il menaçait de s’en prendre aux femmes, armé d’un couteau. Son contenu est signalé sur la plateforme PHAROS à 12h36, déclenchant une intervention des forces de l’ordre. Localisé à Annecy, il est approché par les gendarmes à 12h44 Face à eux, il brandit son arme, les forçant à le neutraliser en faisant usage d’un taser, puis d’une arme à feu.
La Procureure de la République d’Annecy publie un communiqué sur X à 17h46, dans lequel elle confirme que l’auteur présumé est lié à la mouvance incel. C’est également elle qui révèle les chefs d’accusation retenus, à savoir :
- Provocation directe à un acte de terrorisme commise au moyen d'un service de communication au public en ligne
- Menace de mort contre les personnes
- Apologie du terrorisme
L'enquête a été confiée à la Direction de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS)
Une qualification qui semble inédite. Jamais, à ma connaissance, en France, une menace ou passage à l’acte inspiré par les milieux masculinistes n’avait été traité sous l’angle du terrorisme par la justice.
Une menace documentée, mais toujours niée
Et pourtant, les précédents existent. Quelques exemples, parmi tant d’autres :
- 2020 : Mélanie Ghione est assassinée par son ex-compagnon, qui se revendiquait de la mouvance MGTOW (Men Going Their Own Way), une idéologie masculiniste fondée sur la haine des femmes et le séparatisme masculin. Un féminicide idéologique, qui aurait pu faire l’objet d’une qualification terroriste. Il n’en fut rien.
- 2014 : Bruno Barthet, militant masculiniste de la mouvance "Pères Enragés", se retranche chez lui, armé, exigeant un changement législatif sur la garde alternée. Il menace de faire feu pour obtenir gain de cause. Un chantage politique par la violence, qui aurait pu être traité sous l’angle du terrorisme. Il sera pourtant présenté comme un père en détresse et non comme un extrémiste dangereux.
- Mai 2024 : un homme planifie une tuerie de masse à Bordeaux, prévue le jour anniversaire de la tuerie d’Isla Vista, une date hautement symbolique pour la mouvance incel, et qui coïncide avec le passage de la flamme olympique. Malgré un projet calqué sur les attentats masculinistes nord-américains, il n’est pas mis en examen pour terrorisme, mais poursuivi pour "apologie de crime".
- Novembre 2024 : une attaque contre une soirée féministe à Paris. Elle n’est poursuivie que sous l’association de malfaiteurs et violences en bande organisée. Une fois de plus, la haine des femmes disparaît du cadre pénal.
L’affaire d’Annecy brise, en apparence, cette omerta institutionnelle. Mais cette reconnaissance reste fragile.
L’instrumentalisation politique : tous les détours possibles pour ne pas nommer la menace
Dès l’après-midi du 16 février, les prises de parole politiques s’emploient à diluer cet attentat masculiniste dans un flot d’amalgames. Plutôt que de nommer ce qui s’est joué à Annecy – une attaque motivée par la haine des femmes et nourrie par une idéologie masculiniste –, les responsables politiques s’emploient à détourner l’attention.
Sur X, le député Renaissance de Haute-Savoie, Antoine Armand, évoque dans une même phrase l’ultraviolence des mineurs, les réseaux sociaux, la drogue, en associant l’attaque d’Annecy à la proposition de loi répressive de Gabriel Attal sur les "mineurs délinquants". Une pirouette politique qui gomme purement et simplement le moteur idéologique de l’attaque : la radicalisation masculiniste et la haine des femmes.
Dans la foulée, le délégué départemental du Rassemblement National en Haute-Savoie rebondit sur son tweet, mais détourne immédiatement la discussion pour parler du prétendu manque de moyens des forces de l'ordre. Comme toujours, la violence masculiniste est invisibilisée, absorbée dans d'autres narratifs sécuritaires, qui nient la dimension genrée de l’attaque.
Pendant ce temps, Antoine Grange, conseiller municipal d’opposition à la Ville d’Annecy et vice-président du SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) et adhérant l'Engagement (Montebourg), adopte une autre stratégie d’évitement. Sur X, il publie un message aux accents de neutralité bienveillante :
"Plutôt que de stigmatiser, traitons les causes : 🔹 Recréer du lien social 🔹 Lutter contre la précarité 🔹 Éduquer à l’esprit critique
Il est temps d’agir."
Ni le mobile misogyne, ni l’idéologie masculiniste, ni même la tentative d’attentat terroriste ne sont évoqués. Pas un mot sur les violences contre les femmes. L’attaque est réduite à une simple conséquence de la précarité, noyée dans un discours dépolitisé, dégenré et hors-sol, qui transforme une entreprise terroriste misogyne en vague problème social à gérer avec des mesures d’insertion.
Ces whataboutismes, manipulations d'attention, sont devenus la routine habituelle après chaque médiatisation de projet ou attentat masculiniste. Tous les (hors) sujets sont abordés par des hommes politiques pour tirer couverture vers leurs obsessions à eux.
L’urgence d’un sursaut politique face au terrorisme masculiniste
Les femmes et les minorités de genre, cibles désignées de ces violences, sont une nouvelle fois effacées du récit public. La radicalisation masculiniste reste un impensé politique, une idéologie meurtrière à laquelle les institutions refusent encore d’appliquer les mêmes cadres que ceux du terrorisme d’extrême droite ou djihadiste.
Pourtant, il est urgent de traiter ces attaques pour ce qu’elles sont : des actes de terreur visant à instaurer un climat de peur et de domination genrée.
Ces violences ne sont ni isolées, ni accidentelles. Elles s’inscrivent dans, et nourrissent, un terreau sexiste, misogyne structurant nos sociétés. Ce sont des entreprises politique et idéologique, où la haine des femmes et des minorités de genre sont pensées, construites et orchestrées.
Dans ce contexte, il faut saluer le courage de la procureure de la République d’Annecy, Line Bonnet. Pour avoir enfin qualifié un attentat masculiniste pour ce qu’il est : un projet de terreur genrée.