Stephanie Lamy (avatar)

Stephanie Lamy

Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse

Abonné·e de Mediapart

14 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 novembre 2025

Stephanie Lamy (avatar)

Stephanie Lamy

Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse

Abonné·e de Mediapart

Masculinisme et loi influenceurs : anatomie d’un échec annoncé

En traitant les masculinismes comme un simple problème d’influence en ligne, le rapport « influenceurs 2 » révèle la méconnaissance persistante de l’État face à ces idéologies violentes.

Stephanie Lamy (avatar)

Stephanie Lamy

Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Masculinismes et « loi influenceurs 2 » : des mesures qui démontrent la méconnaissance des pouvoirs

Mi-décembre, Arthur Delaporte (PS) et Stéphane Vojetta (ex-Ensemble) doivent remettre au gouvernement un nouveau rapport sur les « influenceurs ». Dans la bande-annonce publiée par Le Parisien, deux promesses phares : s’attaquer au « business du sordide » (les rabatteurs vers des plateformes MYM, OnlyFans, etc) et « endiguer le masculinisme sur les réseaux sociaux » en créant de nouvelles infractions pénales.

Sur le papier, ça sonne bien. Dans la pratique, on est surtout face à un cas d’école de politique symbolique : inventer des textes redondants, flous, parfois contre-productifs, là où le droit existe déjà – mais n’est ni appliqué, ni doté de moyens. Et, en prime, continuer à penser les masculinismes comme un problème de « jeunes sur les réseaux sociaux », au lieu d’une offre d'idéologies violentes avec ds modes opératoire distincts, pouvant susciter des hommes de tout âge, au passage à l'acte terroriste. 

Le teaser de ce rapport paraît d’ailleurs à quelques jours du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Sans doute pas un hasard. Ce qu’il révèle, en revanche, est une méconnaissance persistante du phénomène masculiniste, de ses ressorts idéologiques et de ses dynamiques de violence. D’où une question simple, mais essentielle : quelles spécialistes et expertes ont été auditionnées pour élaborer ce rapport ?

« Agents d’influence » ou trafiquant d’êtres humains ? 

Les rapporteurs annoncent vouloir « réguler » les prétendus agents d’influenceurs qui démarchent des mineures afin de les inciter à produire des contenus érotiques ou pornographiques sur des plateformes comme MYM. Ils évoquent des « faux agents », une problématique d’« influence commerciale », et la nécessité d’« interdire le démarchage agressif ». Il convient toutefois de rappeler qu’il ne s’agit nullement d’un nouveau métier émergent relevant du champ de l’influence numérique. Les comportements décrits relèvent de mécanismes d’exploitation sexuelle parfaitement identifiés par le droit pénal français. Autrement dit, ces acteurs ne sont pas des “agents”, mais des délinquants relevant de qualifications pénales existantes, notamment la traite des êtres humains, le proxénétisme et la corruption de mineur·e·s.

En premier lieu, la traite des êtres humains, définie à l’article 225-4-1 du Code pénal, couvre expressément le fait de recruter, de convaincre ou de mettre à disposition une personne, particulièrement lorsqu’elle est mineure, dans un but d’exploitation sexuelle, y compris par l’abus d’une situation de vulnérabilité. Les peines encourues vont jusqu’à dix ans d’emprisonnement, et peuvent atteindre vingt ans en cas de bande organisée.

En second lieu, le proxénétisme, défini à l’article 225-5 du Code pénal, vise le fait « d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui », ou d’en tirer profit, notamment en percevant une partie des gains. Le fait de pousser une adolescente à produire des contenus pornographiques rémunérés afin d’en extraire une commission relève directement de cette incrimination.
Dans ses formes aggravées, notamment lorsqu’une mineure est impliquée ou lorsqu’il existe une organisation structurée, le proxénétisme est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de trois millions d’euros d’amende.

Enfin, la corruption de mineur·e·s, définie aux articles 227-22 et 227-22-1, sanctionne le fait de favoriser la corruption d’un mineur ou de lui adresser des propositions sexuelles, y compris par voie électronique. Les sollicitations adressées à des lycéennes afin de les inciter à se livrer à la création de contenus sexuels relèvent donc pleinement de cette qualification. Les peines peuvent atteindre cinq à sept ans d’emprisonnement, selon les circonstances et l’âge de la victime.

En habillant du proxénétisme ou trafique en « problème d’influence commerciale », on dégrade la compréhension du phénomène et on dilue des incriminations déjà robustes dans un nouveau mille-feuille législatif.

Les propos haineux sont déjà interdits

Le rapport affirme vouloir « interdire les discours masculinistes et sexistes », définis par la « haine antifemmes » ou « l’apologie de la domination masculine ». Mais, contrairement à ce que ce cadrage laisse entendre, le droit français sanctionne déjà ces comportements.

L’incitation à la haine ou à la violence en raison du sexe, les injures publiques sexistes ou encore les propos discriminatoires fondés sur l’identité de genre sont déjà réprimés par la loi sur la liberté de la presse. Depuis plusieurs réformes, ces infractions couvrent explicitement les propos visant les femmes, les personnes LGBTQ+ ou les minorités de genre. S’y ajoutent les dispositifs introduits en 2018 contre les comportements sexistes dans l’espace public.

Dès lors, annoncer « l’interdiction des discours masculinistes » ne constitue pas une avancée juridique. Le vrai risque est ailleurs :

  • celui d’ajouter des catégories floues, comme « apologie du masculinisme », dont personne ne sait comment elles seraient définies ;
  • celui d’alourdir un cadre légal déjà complexe, au lieu de renforcer l’application des textes existants ;
  • celui, enfin, d’ouvrir la porte à des détournements, notamment dans un contexte où la transphobie progresse et où des acteurs réactionnaires instrumentalisent déjà la notion de « protection des femmes ».

En ajoutant des textes inapplicables, en diluant l’existant et en refusant de mettre les moyens nécessaires sur la table, les députés risquent surtout d’offrir aux milieux masculinistes ce qu’ils cherchent depuis toujours : la normalisation du sexisme et de la misogynie dite "ordinaire". 

Endiguer le terrorisme masculiniste depuis la case « influenceurs »?

L’intégration des masculinismes dans une loi « influenceurs » manifeste un profond contresens sur la nature du phénomène, et risque de rendre invisibles les dynamiques politiques, économiques et les violences qui le sous-tendent. Le sujet centrale est la lutte contre les violences masculines, pas la fraude commerciale.

En les traitant comme un simple sous-produit de l’économie de l’influence, on évacue tout ce qui fait leur spécificité : des structures idéologiques, des mécanismes d’endoctrinement, des modèles économiques fondés sur l’exploitation, et les trajectoires de radicalisation.

Ce type de décalage n’est pas nouveau. La Miviludes en avait déjà offert une illustration frappante : dans son rapport d’activité 2018–2020, elle avait classé Jean-Marie Corda - adpete de la sphère Andrew Tate et membre de sa War Room - dans la section consacrée aux systèmes de vente multiniveaux, alors même qu’une catégorie dédiée aux mouvements masculinistes existait déjà. La Miviludes, dans ce même rapport, a reconnu que ces mouvances n’avaient pas leur place dans le champ des dérives sectaires, puisqu’il s’agit d’idéologies violentes.

Ce type d’erreur de qualification a des conséquences. Lorsqu’on range les masculinismes dans une rubrique commerciale, ils deviennent un problème de consommation ; dans une rubrique sectaire, ils deviennent un problème de vulnérabilité individuelle ; et dans une loi « influenceurs », ils deviennent un problème d’encadrement numérique.

Dans les trois cas, leur dimension idéologique et violente disparaît derrière des préoccupations techniques.

C’est d’ailleurs ce que révèle l’absurdité du parallélisme implicite : imaginer qu’on puisse “lutter contre la propagande masculiniste” via une loi sur les influenceurs revient à proposer de combattre la propagande djihadiste en modifiant la réglementation du commerce en ligne. L’outil n’est pas simplement inadéquat : il exprime une erreur de compréhension profonde du phénomène qu’il prétend traiter.

Quand on refuse de comprendre un phénomène, on fabrique l’impunité

Alors que les débats parlementaires se concentrent sur l’opportunité d’introduire une « apologie du masculinisme » dans une loi sur les influenceurs, le rapport 2025 du GREVIO rappelle une réalité moins spectaculaire mais autrement plus déterminante : la France n’applique la Convention d’Istanbul qu’à moitié. Les constats du groupe d’experts sont constants : les engagements existent, mais les moyens permettant de les honorer restent profondément insuffisants.

Le GREVIO souligne en particulier le manque d’effectivité des ordonnances d’urgence et de protection, pourtant prévues aux articles 52 et 53 de la Convention, ainsi que les lacunes persistantes dans la prise en charge des violences sexuelles : enquêtes incomplètes, formation inégale, pertes de preuves. Mais la faiblesse la plus structurante concerne le financement des associations spécialisées.

Ces organisations, qui assurent l’essentiel de la mise en œuvre concrète de la Convention - hébergement, accompagnement, aide juridique, prévention, formation - demeurent dépendantes de crédits fragmentés, non pérennes et souvent attribués via appels à projets, une mécanique explicitement critiquée par le GREVIO.

Cette fragilité n’est pas théorique : en 2025, les associations de lutte contre les violences ont enregistré en moyenne 15 % de baisse de subventions, entraînant fermetures de permanences, licenciements et réduction des interventions, en particulier dans les territoires ruraux. Pendant ce temps, les budgets publics, bien que présentés comme « triplés », sont qualifiés de structurellement dérisoires par le Sénat face à l’ampleur des besoins.

Autrement dit, l’enjeu central n’est pas de multiplier des incriminations supplémentaires, mais de garantir des financements stables et structurants aux acteurs qui rendent effectivement possible la protection des victimes.

Certes, pour l’instant nous ne connaissons pas le contenu du rapport qui sera déposé mi-décembre sur la loi “influenceurs 2”, mais un constat s’impose à partir des éléments transmis en amont par les députés auteurs : lorsqu’on persiste à ne pas comprendre un phénomène, on produit inévitablement des politiques publiques contre-productives. En réduisant les masculinismes radicaux à un « problème d’influenceurs » ou à un danger cantonné aux adolescents sur les réseaux sociaux, on choisit un cadrage qui rassure un autre groupe d’homme, mais qui ne correspond en rien à la réalité empirique.

Car le cœur de la propagande masculiniste ne s’adresse pas uniquement aux mineurs : elle trouve une résonance profonde chez des hommes plus âgés, souvent déjà insérés dans des trajectoires de ressentiment, de déclassement ou de mobilisation politique d’extrême droite. Ce sont eux qui alimentent les flux financiers, organisent les communautés, et assurent la continuité idéologique et logistique.

Ne jamais oublier que le seul attentat meurtrier connu en France fut commis par un adepte de l’idéologie MGTOW, bien installé dans la trentaine, radicalisé sur Youtube, mais appuyé dans la logistique "dans la vraie vie" par.. Ses contenus violents sont restés en ligne des années après la commission de l’acte. 

La propagande masculiniste ne se limite pas à la diffusion dans la  sphère numérique : elle s’installe régulièrement dans les médias mainstream, dans les chroniques sociétales, les débats “d’opinion”, où des messages antiféministes et masculinistes circulent sous couvert de liberté d’expression ou de “rééquilibrage” du débat public. Des associations promouvant des thèses masculinistes sont régulièrement reçues, voire auditionnées par des parlementaires. Certaines figurent même sur le site de la Miviludes comme associations venant en aide des victimes de "faux souvenirs induits". En se focalisant exclusivement sur la régulation des réseaux sociaux, les pouvoirs publics passent donc à côté de l’essentiel.

En définitive, un cadre juridique mal posé, une compréhension erronée du phénomène et l’absence de moyens pour appliquer les dispositifs existants aboutissent à un résultat prévisible : la consolidation de l’impunité, et la normalisation progressive des idéologies masculinistes. C’est précisément ce qu’on obtient lorsque l’on refuse de regarder le problème dans sa dimension politique et systémique.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.