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Les prédicateurs masculinistes MGTOW (Men Going Their Own Way) Andrew et Tristan Tate, inculpés en Roumanie pour traite d’êtres humains, viol et formation d’un groupe criminel organisé, et faisant l'objet d'une enquête pour agressions sexuelles au Royaume-Uni, ont quitté la Roumanie à bord d’un jet privé en direction de la Floride. Ce départ fait suite à des pressions de l’administration Trump sur Bucarest, alors que la Roumanie traverse une période de recomposition politique marquée par la montée de l'extrême droite pro-russe, illustrée par la percée électorale de Călin Georgescu lors du premier tour de l'élection présidentielle de novembre 2024. Le vice-président américain, JD Vance, a pris la défense des ingérences russes, affirmant que "si votre démocratie peut être détruite par quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique d'un pays étranger, alors elle n'était pas très solide au départ".
Les forces d’extrême droite roumaines, déjà proches des réseaux pro-Poutine, se sont emparées de l’affaire Tate pour dénoncer une prétendue "chasse aux hommes blancs" orchestrée par les élites occidentales. Cette rhétorique trouve un écho dans les discours trumpistes, où la Roumanie devient un terrain d’expérimentation pour la recomposition politique d’une Europe réactionnaire. Parallèlement, les réseaux trumpistes ont manifesté un soutien appuyé aux frères Tate, renforçant les liens entre les cercles masculinistes et l'administration américaine afin d'appuyer un potentiel acteur d'ingérence américaine dans nos processus démocratiques.
Paul Ingrassia : juriste, agent d’influence et homme-lige des Tate
L’ascension de Paul Ingrassia illustre parfaitement ce projet politique. Associé au cabinet McBride Law Firm, il a pris en charge le dossier civil des frères Tate aux États-Unis, mais son rôle ne se limite pas à la sphère judiciaire. Ingrassia a également orchestré l'entretien des Tate avec Tucker Carlson, propagandiste en chef des cercles christofascistes américains, offrant ainsi à l’influenceur masculiniste un tremplin médiatique stratégique. Cet entretien, taillé sur mesure, visait à faire des frères Tate des martyrs d'un prétendu complot féministe et judiciaire.
Sur Instagram, Ingrassia n’hésite pas à s’afficher fièrement aux côtés d’Andrew Tate, signe d’une complicité qui dépasse le simple cadre professionnel. Son influence croissante au sein de l’administration Trump — il a récemment été nommé liaison entre la Maison-Blanche et le Département de la Justice — renforce la politisation du soutien aux Tate. Ce n’est plus une simple défense judiciaire : c’est une opération idéologique et géopolitique.
L’administration Trump au service du masculinisme
L’adhésion des Tate aux cercles trumpistes ne se limite pas aux discours de leurs avocats. L’administration elle-même leur apporte un soutien direct. En marge de la Conférence de Sécurité de Munich, Richard Grenell, ancien directeur du renseignement national sous Trump, a exercé des pressions pour faire lever les restrictions judiciaires imposées aux frères Tate en Roumanie. Donald Trump Jr., quant à lui, n’a jamais caché son admiration pour Andrew Tate, le décrivant comme un modèle de "virilité conservatrice" et dénonçant son arrestation comme une "injustice totale".
Les liens ne s’arrêtent pas là. Des figures influentes de la droite trumpiste, comme Elon Musk et JD Vance, ont également apporté leur soutien public aux frères Tate, renforçant encore davantage la fusion entre les milieux masculinistes, les réseaux populistes et les instances de pouvoir.
Gestes extrémistes et radicalisation décomplexée
La dérive de ce courant ne se limite pas aux discours. Lors de l’investiture de Donald Trump en janvier 2025, Elon Musk a multiplié les saluts nazis sur scène. Ce geste, immédiatement dénoncé par des historiens et des analystes politiques, illustre la décomplexion d’une droite qui ne cache plus son inspiration fascisante.
Andrew Tate, loin de prendre ses distances, s’est empressé de rebondir sur l’événement, publiant sur X (anciennement Twitter) :
"BREAKING: Elon Musk does Hitler salute at Trump celebration."
Loin de dénoncer le geste, il en a appelé à ses partisans pour le reproduire, affirmant qu’il symbolisait la résistance contre une prétendue "matrice" féministe et mondialiste qui chercherait à écraser les hommes. Cette promotion ouverte de symboles liés à des idéologies suprémacistes souligne le degré de radicalisation atteint au sein de ces cercles et leur volonté de rendre acceptables des références auparavant marginales.
Le projet politique d’Andrew Tate : vers un masculinisme d’État ?
Andrew Tate ne se contente plus d’exploiter les corps des femmes et les portefeuilles des hommes : il ambitionne désormais d’extraire leurs votes. En janvier 2025, il a annoncé la création de son propre parti politique au Royaume-Uni, le BRUV (Britain Restoring Underlying Values), affichant ouvertement son intention de briguer le poste de Premier ministre.
Le site officiel du parti ne cache rien de ses intentions :
"This is a war to reclaim Britain. No excuses, no compromises, no second chances."
Si son programme a été largement ridiculisé sur les réseaux sociaux — certains commentateurs l’ont décrit comme un "mélange entre la Corée du Nord et une esthétique homoérotique" —, Tate persiste et signe :
"I am 100% serious. I am in the next election."
Son compte Twitter, suspendu pour incitation à la haine, a été rétabli après une intervention personnelle d’Elon Musk, confirmant que les nouveaux cercles masculinistes bénéficient de relais puissants dans les hautes sphères du pouvoir technologique.
L’institutionnalisation du masculinisme et le “bro vote”
Ces événements ne sont pas anecdotiques : ils traduisent une institutionnalisation progressive du masculinisme dans les sphères du pouvoir.
L’intégration des frères Tate dans les réseaux politiques de droite, la promotion décomplexée de symboles extrémistes et le soutien explicite de figures influentes participent à une normalisation de ces discours. Cette dynamique s’appuie sur un phénomène politique récent : la mobilisation du "bro vote", ce vivier électoral de jeunes hommes, longtemps perçu comme apathique, qui devient désormais une cible stratégique.
Historiquement, les femmes votent à des taux plus élevés que les hommes. Mais lors de l’élection présidentielle américaine de 2024, un renversement s’est opéré parmi les jeunes électeurs. Selon Teen Vogue, 56 % des jeunes hommes ont voté pour Trump, contre 58 % des jeunes femmes pour Kamala Harris.
Le "bro vote" ne se limite pas à un ressentiment spontané face aux transformations sociétales : il est activement façonné par les réseaux trumpistes. De TikTok à X en passant par les podcasts masculinistes et les arènes de MMA, un écosystème médiatique construit façonne une identité politique pour ces jeunes hommes. Loin d’être une masse électorale apathique, ils deviennent un instrument central de la contre-offensive populiste et masculiniste.
Trump et ses alliés ont délibérément ciblé cet électorat, apparaissant dans des événements sportifs et multipliant les collaborations avec des influenceurs masculins populaires. Cette stratégie exploite le sentiment de marginalisation de jeunes hommes convaincus que la société travaille contre eux. Les frères Tate sont des figures centrales de cette rhétorique, jouant sur l’idée d’une revanche masculine contre un supposé "ordre féministe".
Un projet transatlantique d’influence politique
Ce soutien affiché d’Andrew Tate par l’administration Trump doit être replacé dans un contexte plus large d’influence politique en Europe. Des figures comme Pete Hegseth et JD Vance ne se contentent pas de critiquer les politiques européennes : elles cherchent à structurer un front populiste et masculiniste en soutenant ouvertement des mouvements eurosceptiques et ultraconservateurs.
Le but est double : affaiblir l’Union européenne et encourager une prise de pouvoir des courants réactionnaires à travers une ingérence politique directe. Le "bro vote" devient alors une arme électorale, mobilisée contre les principes démocratiques, d’inclusivité.
Face à cette offensive transatlantique, il convient de dépasser la lecture des masculinismes comme phénomène simplement culturel, mais le comprendre comme l'institutionnalisation des violences masculines comme outil politique. Cette stratégie ne cherche pas simplement à marginaliser des groupes (femmes et minorités), mais à verrouiller un ordre politique masculiniste à travers des instruments électoraux et médiatiques.
