Madame la Ministre de la Culture et de la Communication, Cette lettre fait suite à celles que d’autres vous ont adressées, vous faisant part de leur indignation quant à l’extravagante saga qui agite l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts à Paris, et qui remet en question la légitimité pourtant incontestable de son directeur, Nicolas Bourriaud. Notre intention n’est pas de renouveler le genre épistolaire mais de porter à votre attention le caractère profondément médiocre de cette « crise de type français ». Cette situation n’est pas compréhensible. Sauf à considérer d’un peu plus près l’hostilité d’une poignée d’étudiants et de professeurs engagés à défendre leurs intérêts propres, une conception vieillissante de la pédagogie, une vision fantasmée, donc dangereuse, de la pureté de l’art, de la création comme domaine intouchable. « C’est le marché de l’art qui pénètre au sein de l’établissement » lisions-nous encore récemment comme une critique de la participation de l’ENSBA à « Choices » : faut-il rappeler que c’est pourtant bien la moindre des choses ? On ne peut à la fois appeler de ses vœux une meilleure participation des jeunes artistes français à l’art international et ignorer que, sur la scène internationale justement, c’est précisément dans les écoles, et dès ce stade, que les acteurs du marché bien plus que quiconque permettent la construction de carrières d’envergure ? Plus une école sait tisser de liens avec le marché, mieux elle s’occupe de ses élèves. Prétendre le contraire relève d’une vision anachronique, fantaisiste et démagogique d’une situation pourtant sans mystères – cette vision qui nous rend un peu ridicules, sinon invisibles, aux yeux et aux oreilles de nos amis étrangers. On reproche à Nicolas Bourriaud de ne pas être un bon communicant. La belle affaire ! Il est un intellectuel, et l’un des seuls en France, identifié par les artistes du monde entier et son « esthétique relationnelle », traduit en pas moins d’une dizaine de langues, sert de fondation aux réflexions des étudiants en art du monde entier ; il est le premier directeur de cette école depuis longtemps à être porté par une véritable ambition de modernisation des outils, des structures, des contenus. Si ces attaques n’étaient pas entièrement destinées à déstabiliser Nicolas Bourriaud, elles prêteraient surtout à rire, quand on sait, comme nous le savons, l’évolution inexorable de l’industrie culturelle, celle de l’art à l’âge de la mondialisation. Et la nécessité en conséquence d’accompagner ces mouvements, d’en comprendre les enjeux, de repenser la place des institutions publiques dans le marché global, et ainsi de se projeter dans le futur. A Berlin par exemple, le rendez-vous annuel du « Gallery week-end », qui fédère toutes les structures artistiques de la ville, est toujours accueilli comme un temps de rassemblement productif. Ici, le soupçon et la crainte l’emportent à chaque initiative du même type. « L' Ecole des Beaux-Arts est une école, est une école, est une école publique ». Cette banderole qui flotte mollement Quai Malaquais, et ce slogan comme piégé par le vide et la répétition, dégagent une étrange sensation de dépression créative. Que nous connaissons bien, pour avoir enseigné dans les écoles d’art en France, désertées par le désir et la réalité. Nicolas Bourriaud est celui qui peut nous sortir de ce fatalisme, il n’est pas fatigué, et nous lui faisons confiance.
Stéphanie Moisdon, Eric Troncy
Critiques et commissaires d’exposition, fondateurs de Frog magazine.