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Billet de blog 31 août 2023

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Autour du film « Le jeune imam » de Kim Chapiron (2023)

Je m'essaye à la critique de film en amateur mais sur un sujet que je maîtrise, l'islam contemporain, mon avis sera donc subjectif bien que nourri par mon expertise ; et vu les absurdités qu'on entend de toute part sur cette religion, cela ne pourra de toute façon pas être pire !

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Je n'ai vu aucun film du réalisateur Kim Chapiron auparavant, j'ai en revanche bien sûr vu Les Misérables de Ladj Ly, lequel a co-écrit avec le réalisateur ce film ; d'ailleurs, à ce propos, je pourrais éventuellement consacrer un prochain billet au film de Ladj Ly vu que l'islam est présent quelque peu dans le film. J'aime cette idée qu'un film nous tire vers un autre, allons-y, (yallāh) :

J'ai évité de lire les critiques sur Le Jeune Imam, je ne les apprécie guère en général excepté peut-être lorsqu'elles émanent du très bon magazine So Film auquel je suis fidèlement abonné (je précise que je ne touche aucun revenu pour cette publicité !), malheureusement, et malgré mes efforts, je suis tombé sur l'une d'entre elles et elle évoquait la banalité du scénario et la platitude du film. Je ne suis pas d'accord.

Déjà j'ai eu plaisir à retrouver des visages d'acteurs déjà croisés notamment dans Les Misérables, je les ai trouvés bons et l'acteur principal incarne non pas un personnage d'une grande naïveté mais un simple jeune homme comme il y en a beaucoup, ni roublard, ni candide, juste normal, pouvant saisir de bonnes opportunités mais pouvant aussi se montrer crédule, à l'instar de jeunes de son âge issus du milieu qui est le sien. Ce milieu social où il évolue et l'enfance du personnage ne l'ont justement pas particulièrement préparé à devenir un "Donald Trump" donc je trouve les critiques à l'encontre du personnage principal plutôt injustes et - paradoxalement - très naïves ! En milieu populaire, les enfants ne sont pas des assistés à l'instar de milieux sociaux plus favorisés, on se débrouille avec ce que l'on dispose, peu de chose, ce que l'on trouve. Et sa mère n'en a pas été véritablement une, cela ajouté à la déchirure du "retour au bled" qui est un véritable trauma, tout ce qui précède fait de lui justement un être qui se cherche.

Le traitement de la religion ici est vraiment le point fort du film, nul angélisme (comme dans Les Misérables j'ai trouvé mais j'y reviendrai si je publie un prochain billet), les aspects économiques du pèlerinage à la Mecque (عمرة / حج) sont enfin traités, le monde religieux n'est pas moqué mais il n'est pas non plus enjolivé et le plaisir que prend progressivement le personnage lorsqu'il devient une star des réseaux pratiquants est vraiment très juste, sans parler de l'attraction et des jeux de séduction qui l'entourent lorsqu'il donne des conférences vers des publics féminins. Il aurait été peut-être pertinent de creuser plus cet aspect car nulle demande en mariage n'est visible en faveur du personnage, ce qui aurait été logique vu sa notoriété, je trouve que c'est le point faible de cette dimension du scénario, aucune histoire d'attraction amoureuse voire d'histoire d'amour ne tiraille le personnage. C'est dommage car la relation à la mère compliquée aurait pu justement mettre davantage encore en valeur ce problème crucial qui entrave le personnage, c'est ma seule critique importante ; enfin, cela aurait pu humaniser la fonction d'imam qui en a bien besoin aujourd'hui.

Le personnage de l'imam-instituteur-cheikh qui devient au bled une figure paternelle de substitution est attachante, un passage en particulier m'a grandement rappelé Les Misérables de Victor Hugo et notamment le célèbre passage des chandeliers de l'évêque lorsque Jean Valjean les lui vole après avoir profité de son hospitalité. Il est clair qu'il s'agit ici de la patte de Ladj Ly, imprégné qu'il est du grand écrivain me semble-t-il, je fais allusion bien sûr au passage où le personnage principal vole un scooter et tente d'acheter un portable avec l'argent volé de la madrassa, interpellé par la police son père d'adoption fait croire que c'était lui qui lui avait demandé d'acheter ce portable. Il est relâché, beau passage je trouve et beau clin d’œil au grand Victor Hugo. 

Le choix de faire porter à ce jeune imam un discours différent de celui des imams d'anciennes générations et plus ancré dans les réalités du 21e siècle est une bonne idée, lorsqu'on écoute d'ailleurs son discours, on sent une légère influence des sciences humaines appliquées à la religion, infusée de manière parcimonieuse tout de même car la mosquée est un lieu de culte, il aurait été improbable de lui faire tenir un discours trop réformiste, je trouve donc cet aspect plutôt bien traité.

Le cœur du film n'est en réalité pas l'islam ni même le processus de starification sur les réseaux sociaux, le vrai sujet il me semble c'est cette relation avec la mère, certaines critiques que je trouve excessives affirment que cette relation est d'une grande platitude, je ne suis pas du tout d'accord, nous ne sommes pas ici dans la (très bonne) série En thérapie, si certains s'attendaient à y voir des séances de parole entre mère et fils c'est vraiment méconnaître le milieu social où évolue le personnage principal. J'ai trouvé en fait beaucoup de pudeur car c'est justement dans les silences et les non-dits que tout se joue et (attention spoilers, passez au paragraphe suivant si vous les craignez !!!) le seul moment où un échange se déroule avec la mère c'est à la fin du film dans un moment critique qui, par sa gravité, peut à lui seul faire émerger une parole et un geste d'affection. Ce passage est très beau.

Conclusion personnelle : le film est crédible, pensé par des personnes qui connaissent bien le milieu qu'ils représentent, la religion est (enfin !) traitée de manière vraisemblable, sans angélisme ou apologie ni dénigrement obsessionnel, le traumatisme de ces "exils au bled" méritait qu'on s'y attarde, j'ai connu des camarades et des étudiants qui l'ont vécu, la plupart du temps c'est un vrai déchirement, le film le montre bien. Je trouve vraiment dommage cependant que l'amour (hors filial) n'ait pas été traité, c'était je pense l'ingrédient essentiel pour humaniser davantage le personnage et montrer son tiraillement. Le film est plaisant, il ne fera pas partie de ma top liste mais l'originalité du sujet mérite à lui seul qu'il existe et mention spéciale pour l'actrice qui interprète la mère, je la trouve REMARQUABLE.

Partagez en commentaire vos impressions sur ce film, si vous êtes d'accord ou pas, vos arguments personnels, sans invective ni insultes svp, tout commentaire haineux ou troll sera supprimé, Paix, سلام, shalom

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