Objet : harcèlement à l’encontre de fonctionnaires et contractuels de droit public exerçant dans les établissements privés sous contrat
Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale,
La France a ratifié le 13 avril 2023, de la main de Monsieur Olivier DUSSOPT, Ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion de France, la Convention n°190 de l'Organisation Internationale du Travail sur la violence et le harcèlement, devenant ainsi le 27e pays au monde, et le 5e pays de l’Union Européenne, à s'y engager. La France avait auparavant déjà affirmé s'être engagée dans la lutte contre le harcèlement et la violence au travail : une déclinaison de cet engagement a été publiée en 2007 pour les fonctionnaires de l’Éducation Nationale sous forme d’une circulaire (texte plus informatif que prescriptif, dont on connait les limites sur le plan légal) : PROTECTION DU FONCTIONNAIRE Harcèlement moral au travail NOR : MENH0700398C RLR : 610-7e CIRCULAIRE n°2007-047 DU 27-2-2007.
Le harcèlement scolaire est aujourd’hui apprécié dans son sens restreint de violences entre élèves, et ne comprend pas, dans son acception, la malveillance envers les adultes travaillant dans le système éducatif français : le personnel enseignant, administratif, de vie scolaire, d’entretien, de direction et la hiérarchie. Pourtant le harcèlement entre les adultes existe bel et bien. Il est même, en bien des circonstances, employé comme une méthode de management par les instances dirigeantes, qui entendent se débarrasser d’un agent ou d’un employé jugé indésirable (délégué syndical, membre du comité social et économique, ou refusant simplement des injonctions à accepter des tâches bénévoles) parce qu’il dérange le système. Le harcèlement s'avère souvent discriminatoire et condamnable, envers des collègues non-normatifs (par le genre, le niveau de diplôme, la couleur de peau, la classe sociale, la culture, etc.) et qui deviennent subitement le mouton noir ou le bouc-émissaire à exclure, quelles que soient leurs fonctions dans l'établissement.
Comment se fait-il, Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale, qu’en France, pays démocratique s’il en est, que l'on alerte en vain l’administration de l’Éducation Nationale ou les instances dirigeantes des réseaux de l’enseignement privé, des dysfonctionnements qui gangrènent la vie des établissements et ruinent la santé des personnels par des formes plus ou moins pressantes de harcèlement (intimidation, injonctions, dénigrement, mise à l’écart, stigmatisation, agressions verbales et/ou physiques, menaces, sanctions déguisées …..) qui ont mené trop souvent au suicide ?
Comment se fait-il, Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale, qu’en France, pays des droits de l’homme, les instances responsables du système éducatif soient dans le déni, au point de refuser de reconnaître l’existence du harcèlement et de la violence entre les personnels ? Il est visiblement plus simple d'entièrement reporter la responsabilité de la souffrance sur la victime, l’accusant d’être en proie à des difficultés personnelles, à un déficit de compétence sociale ou encore à une pathologie mentale plus ou moins paranoïaque, dont l’origine ne peut, bien évidemment, pas se trouver dans l’attitude inacceptable de ses collègues et/ou de sa hiérarchie. Les instances responsables du système éducatif français refusent de reconnaître l’existence de la violence et du harcèlement pour ne pas avoir à en assumer la responsabilité. Rien ne changera tant que les errements des uns seront couverts par la lâcheté de celles et ceux qui les protègent.
Concernant les fonctionnaires et les contractuels de droit public exerçant dans les établissements privés sous contrat, la procédure de dénigrement est bien rodée, avec la complicité des instances de contrôle (commissions médicales et médecins agréés qui diligentent les expertises psychiatriques) comme l’explique une publication de l’Association suicide et dépression professionnels, sur le blog Médiapart en date du 21 février 2019 : « Suicides dans la fonction publique: l'organisation du silence et du déni »).
Il est devenu inacceptable, en 2023, que, sous couvert du « caractère propre », les directeurs des établissements privés sous contrat puissent encore exercer sans obligation de diplômes, de formation, de contrôles et surtout, agir en toute impunité. Les syndicats constatent que les pratiques managériales des chefs d'établissement du privé sous contrat sont de plus en plus violentes voire illégales. Les témoignages de collègues broyés, victimes de pratiques d'une rare agressivité, comme des pratiques d'intimidations, humiliations, harcèlement, s'accumulent. Le management pratiqué contrevient pleinement aux règles du code du travail et de la fonction publique. Il apparaît que l’enseignement privé édictant lui-même ses propres règles au nom de son « caractère propre », constitue une zone de non-droit.
Force est de constater que concernant la dénonciation de situations de pratiques managériales toxiques et de dérives religieuses, les instances du SGEC (Secrétariat Général de l'Enseignement Catholique), comme celles de l'État, via les rectorats, sont aux abonnés absents. Les victimes se heurtent à l'impressionnante surdité des instances qu'elles sollicitent et auxquelles elles demandent de l’aide, en vain.
Lorsque les agents de droit public alertent sur leur souffrance, l’enseignement catholique se défausse et leur rappelle que leur employeur est l’État alors que les chefs d’établissements de l’enseignement catholique comme tous les chefs d’entreprise ont une obligation de résultat en matière de santé et de sécurité au travail.
Cette loi du silence participe à donner à certains chefs d’établissement un sentiment de toute puissance. De son côté, l’État, pourtant employeur des enseignants sous contrat, botte en touche et répond qu’il n’a pas de moyens d’intervention étant donné que le recrutement des chefs d’établissements du privé sous contrat tient de la responsabilité des autorités de leurs réseaux. L’État n’est-il pas cependant le premier financeur de ces établissements sous contrat ?
Il n’est pas sans possibilités de contrôle de ceux-ci mais il répugne à le faire comme le déplore le rapport de la Cour des comptes concernant l’enseignement privé sous contrat de juin 2023. Et l’État n’a-t-il pas également le pouvoir de ne pas renouveler (voire de résilier) le contrat (simple ou d’association) souscrit avec un établissement en cas de dysfonctionnement grave ? Pourquoi préfère-t-il fermer les yeux plutôt que d’y mettre bon ordre ? Pourquoi ne le fait-il pas ? Pour ne pas faire de vague ? Par respect pour le « caractère propre » des établissements ? Celui-ci n’autorise pas d’outrepasser les lois de la République. L’enseignement privé est coupable de tolérer des pratiques de harcèlement dans ses établissements et l’État est coupable de ne pas intervenir pour les faire cesser.
Pour conclure, nous nous réjouissons, Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale, que vous ayez fait de la lutte contre le harcèlement scolaire entre élèves, votre priorité. Il est aussi urgent et primordial que vous vous engagiez pour mettre un terme aux méthodes managériales délétères et illégales source d’une très grande souffrance pour les personnels des établissements sous votre responsabilité qui les subissent, qu’ils soient ou non sous contrat. Il est urgent et primordial de faire reconnaître et qualifier pour ce qu’elle est cette souffrance de tous les personnels du système éducatif français.
Peut-on demander à une institution maltraitante envers ses personnels d’éduquer les élèves à l’« empathie » ? Quels en seraient alors les principes? Quel enseignant pourra légitimement s'approprier ce cours qui ne correspond pas à la réalité de son propre métier ? Quelle école privée pourra, sans fard, mener ces leçons d' « empathie » , alors que nous avons collecté tant d'affaires de dérives jamais reconnues comme telles et sanctionnées?, et ce n'est qu'un échantillon de celles médiatisées : https://stopsouffranceetablissementscatho.blogspot.com/
Quand, Monsieur le Ministre de l’Education Nationale, seront appliquées les dispositions de la Convention n°190 de l'Organisation Internationale du Travail sur la violence et le harcèlement ratifiées par la France le 13 avril dernier ?
En espérant vivement que ce courrier attirera toute votre attention, nous nous tenons disponibles pour échanger avec vous de vive voix.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale, en l’expression de nos sentiments les plus respectueux.
- Le Collectif Stop Souffrance Établissements Catholiques.