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Billet de blog 29 novembre 2014

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Mais qu'est-il arrivé aux colos itinérantes?

Ah, ces jolies colonies de vacances chantées par Pierre Perret ou mises en scène dans « nos jours heureux ». Chaque année, elles permettent à environ 1 million d’enfants de toutes les classes de la société de s’épanouir l’été en découvrant de nouvelles régions, de nouvelles cultures, en apprenant à s’émanciper de leur parent, à se socialiser, ou à vivre sans télé. Pourtant, les colos pour adolescents ont perdu de leur essence ces dernières années.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ah, ces jolies colonies de vacances chantées par Pierre Perret ou mises en scène dans « nos jours heureux ». Chaque année, elles permettent à environ 1 million d’enfants de toutes les classes de la société de s’épanouir l’été en découvrant de nouvelles régions, de nouvelles cultures, en apprenant à s’émanciper de leur parent, à se socialiser, ou à vivre sans télé. Pourtant, les colos pour adolescents ont perdu de leur essence ces dernières années.

C'était il y a maintenant 10 ans. Habitué aux colos depuis mon plus jeune âge, j'allais à 15 ans passer à l'étape supérieure, ma première colo itinérante, en Sardaigne. Fini le cadre strict des colos classiques :

8h00-9h00 levé et petit déjeuner

9h15 brossage de dents

9h45-11h45 activité

12h00-13h00 repas

13h00-13h30 temps libre

13h30-14h00 temps calme

14h00-16h30 activité

16h30-16h45 goûter

16h45-17h30 temps libre

17h30-19h00 douches

19h-20h repas

20h-21h30 veillée

21h30-22h00 couche

Place désormais au monde adulte! Dès le train entre Paris et Marseille, le couleur est donnée : nous dormirons sous tente, nous choisirons nos activités, nos destinations, nous ferons nous même nos courses et élaborerons notre propre repas. Les transports se feront uniquement en transports en commun ou à pieds. Quel vent de liberté de ne plus être contraints par un rythme scolaire, de pouvoir en fonction de l'énergie et des envies du groupe partir à la montagne ou à la mer, d'organiser la veille pour le lendemain une grasse matinée ou une excursion.

Avec l'équipe d'animation, un respect mutuel s'engage au fil des jours. Dire que tout a été parfait que nous avons été exemplaires serait mentir, mais elle nous faisait globalement confiance. Pas d'heures de coucher imposées, nous flânions sur les falaises pendant de longues et agréables nuit blanches. Les plus couche-tôt d'entre nous retournaient tranquillement dans leur tente, à leur rythme Le lendemain, fatigués ou non, nous assumions le programme prévu la veille : visites, bateau, randonnées, camping sauvage, kayak...

Au restaurant, nous apprécions le réconfort après de nombreux efforts par une bonne pizza et une bière, financée elle aussi par la colo. En ville, on pouvait nous laisser une journée entière avec un budget pour manger le midi, et une heure de retour prévue directement au camping. Sur des journées de repos/lessive, les plus baroudeurs d'entre nous partaient parfois par petits groupes visiter quelques îles, sans animateur, pour revenir le soir et préparer un repas élaboré par nous même avec les moyens du bord assis à même le sol. Cette fièvre de liberté m'a construit, et j'ai profité de mes 16 et 17 ans pour récidiver au Portugal, puis en Norvège. Visites et dégustations de caves à Porto, nuits à la belle étoile sous le soleil de minuit, camping sauvage sur des îles sauvages, temps libres d'une journée à Oslo ou Porto, et autres excursions agrémentèrent ces fabuleux séjours emprunts de liberté. Bien évidemment, le tout sans téléphone portable.

C'est donc naturellement que j'ai voulu passer le BAFA, le précieux sésame permettant de passer de l'autre côté, celui des animateurs. Faisant mes gammes sur les plus jeunes, j'ai monté progressivement dans les âges pour me rapprocher de mon objectif ultime : repartir en itinérance, et partager ce goût de liberté aux jeunes comme d'autres me l'avaient fait découvrir avant.

Je vais être clair, malgré quatre tentatives pour quatre organismes différents, j'ai échoué, et de loin.

D'une liberté extraordinaire, les colos itinérantes sont devenues un champ de contraintes impressionnants : Les séjours sont parfaitement prédéfinis à l'avance, les campings sont déjà réservés avec parfois une cuisine réservée. Un cadeau qui se révèle bien vite être un cadeau empoisonné. Fini les souches d'arbre en guise de plan de travail, il faut désormais astiquer la cuisine en zone poussiéreuse, garder les étiquettes de tout ce qui a été consommé (éviter les fruits du marché qui n'ont pas forcément d'étiquette), faire un repas témoin à conserver au frais (plus important que si les jeunes ne mangent pas à leur faim), astiquer à nouveau, et bien sûr jeter systématiquement tous les restes. Pour les pique-niques, hors de question d'emporter jambon ou fromage, place désormais au sandwich Sodebo! Les jeunes sont toujours responsabilisés, plus pour faire les courses ou les repas, mais plutôt pour astiquer, faire la vaisselle, et encore astiquer.

Le soir, coucher strict à minuit. Plus un bruit, les animateurs doivent veiller à ce qu'ils interrompent toute discussion et rechargent leurs batteries pour la super activité sous la pluie organisée par le CE 6 mois plus tôt. Dès que les animateurs succombent au sommeil, les jeunes en profitent pour sortir et pour rester éveillés jusqu'au petit jour. Résultat le lendemain: des jeunes et des animateurs exténués. Un jeune a les yeux légèrement rougis : mis en garde à vue pendant une heure pour suspicion de consommation de drogue et d'alcool. Temps libre dans les villes : 1h30 grand maximum. "De toute façon, vu ce qu'ils nous ont fait subir ils devraient déjà s'estimer heureux de pouvoir aller en ville". Les animateurs tournent et s'assurent qu'aucun produit licite n'a été acheté ou consommé, avec dans certains cas même des fouilles des achats ou des vérifications de tickets de caisse par rapport à l'argent de poche laissé par les parents.

Même si j'ai un peu idéalisé les colos que j'ai vécues il y a dix ans et un peu caricaturé celles que j'ai animées, je ne peux que constater complètement impuissant l'aseptisation et l'obsession de la sécurité voire même du confort qu'ont prises les colos itinérantes où on apprenait à vivre de peu et de rien, loin des contraintes de la vie courante.

Simple animateur, et non pas directeur, il n'est pas toujours simple de partager son opinion au risque de casser la cohésion d'équipe. S'appuyer sur son vécu en tant que colon est rapidement balayé du revers d'une main. "Tu ne comprends pas, les jeunes de maintenant ont changé".

Et si c'était pas plutôt nous qui avions changé?

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