Il est tôt, ou tard dans la nuit, mais le sommeil ne vient pas. La fatigue n'arrive plus à dépasser ce qui passe et repasse dans ma tête. Alors au lieu de perdre ce temps je choisis de le mettre à profit pour en faire quelque chose d'utile. Ce témoignage est une bouteille à la mer, un retour d'expérience, qui permettra peut être une prise de conscience chez certains soignants.
Cela fait maintenant une semaine que je suis confronté à cette machine complexe qu'est aujourd'hui l'hôpital public. Mon fils d'un an y est hospitalisé après plusieurs semaines d'errance diagnostic, devant des symptômes obscurs qui laissent perplexes les medecins de ville. Nous avons accueilli cette nouvelle avec beaucoup d'espoir, enfin on allait faire ce qu'il fallait, enfin les examens pourraient être réalisés sans délai, enfin des experts allaient se pencher sur son cas. Et pourtant...
Très vite nous avons été confronté à la première forme de violence : les décisions des médecins étaient prises non dans l'intérêt du patient, mais d'abord pour se couvrir sur le plan médico-légal, quitte à aller contre les besoins du même patient :
Nous avons été contraints à l'hospitalisation (et le terme est juste car l'hôpital retient le carnet de santé de l'enfant tant qu'ils n'ont pas décidé de vous faire partir) et ceci en l'absence de tout signe d'urgence nécessitant cette hospitalisation. Nous étions même prêt à signer toutes les décharges possibles, impossible de partir.
Car quand on parle d'hospitalisation ici il faut comprendre patienter dans un couloir éclairé, avec passage et environnement sonores incessants (les fameux bips des constantes vitales, quand il y en a un c'est fatiguant, quand il y en a 10 ça vous rend fou). Et ça toute la nuit. Alors comment espérer améliorer l'état de santé d'un nourrisson dans cette situation, quand on connait l'importance du sommeil à cet âge.
Alors, je suis moi-même soignant, et j'exerce depuis de nombreuses années en cabinet de ville. Je constate également le glissement judiciaire de la part de certains patients. Mais cela ne doit pas empêcher de réfléchir et d'agir en fonction du tableau clinique présenté par le patient. Le problème ici se résume en un point : chat échaudé craint l'eau froide. L'hôpital public à reçu tellement de plaintes ces dernières années que l'on a l'impression qu'il vit dans cette crainte perpétuelle, ce qui le biaise dans son raisonnement clinique.
Dans mon cas : absence totale de signe infectieux, inflammatoire, constante vitales parfaites... le problème n'est pas d'apparition brutale et évolue depuis plusieurs semaines. Malgré tout nous sommes hospitalisés, nous serons relâchés le lendemain matin, afin d'attendre un examen d'IRM qui n'était pas disponible avant plusieurs jours.
De retour pour cet examen, nous sommes confrontés au second dysfonctionnement : l'absence totale de communication avec les médecins. Nous apprenons seulement quelques minutes avant de réaliser l'IRM, les indications et le diagnostic posé par le médecin. En l'occurrence ici le médecin demande une IRM pour éliminer une fracture de hanche. Le souci c'est que ce diagnostic ne colle pas du tout avec le tableau clinique (mon fils présente une perte totale de la marche, ainsi que de la station assise, avec perte du tonus axial, altération de l'état général et perte d'appétit, sans contexte traumatique), une radiographie de la hance / bassin a même déjà été réalisée.
Et là vient un troisième problème, personne ne veut prendre la "responsabilité" de modifier l'acte demandé, que ce soit le médecin radiologue, ou même le pédiatre (différents de celui qui a examiné mon fils). Impossible d'aller contre l'avis émis par un confrère, celui-ci est inscrit dans le marbre, même s'il semble ne pas être cohérent avec le tableau clinique. On nous propose à la place de reprendre rdv sous plusieurs semaines afin de passer une nouvelle IRM plus en adéquation avec les symptômes.
C'est tout simplement choquant pour ma part. Nous sommes littéralement à 1m de la salle de l'examen qui va décider du diagnostic du problème de mon fils (tous les autres examens n'ayant rien donnés précédemment, les médecins conditionnent la suite de la prise en charge à cette unique IRM). Tout le personnel médical présent est d'accord sur le fait que l'indication de hanche n'est pas bonne, mais aucun ne veut prendre la décision de changer l'indication d'imagerie. Ce fameux "je ne peux pas prendre la responsabilité" mal placé qui permet de justifier une décision qui va à l'inverse du besoin de santé des patients, qui transforme un médecin en simple exécutant de la décision d'un autre, s'empêchant tout avis ou raisonnement personnel, une véritable autocensure pour ne surtout pas gripper les rouages administratifs de cette immense machinerie qu'est l'hôpital public.
Il aura fallu plusieurs heures de bataille afin d'obtenir une révision du diagnostic et d'enfin obtenir une indication correcte pour cet examen. Mais je me sens privilégié, je sais discuter et argumenter avec les médecins, mais combien de patients n'ont pas cette possibilité et/ou n'osent pas pointer l'incohérence de certaines décisions médicales pourtant évidentes.
J'avance dans le temps, le diagnostic est posé après plusieurs jours et un traitement est proposé. Cela nécessite un passage au bloc dans un hôpital parisien spécialisé. Un transfert aller retour est prévu entre les deux hôpitaux. L'aller se passe sans soucis, l'opération aussi, mais il y a un problème au moment du retour. L'ambulance qui devait ramener mon fils est repartie et impossible selon l'hôpital qui gère le transfert de recommander une autre ambulance car la mission de la 1ère n'est pas terminée (elle était censé faire le retour également). Et l'hôpital d'accueil ne veut pas éditer de bon de commande pour une autre ambulance. Le souci c'est qu'il nous est impossible de ramener nous même notre fils car son état nécessite un transfert médicalisé. Résultat chacun se rejette la "responsabilité" (toujours la même) en arguant qu'il est dans son bon droit. Ce n'est qu'à force d'énervement et de plusieures heures de négociation qu'on obtient enfin un rapatriement.
Le retour en chambre se fera tard dans la nuit, et un aller retour qui ne devait prendre que 3h aura nécessité plus de 10h.
Alors oui, le manque de moyens et de personnel est criant, et je ne reviendrai pas sur les raisons évidentes de cet état de fait que tout le monde connait. Mais il ne peut expliquer à lui seul l'ensemble des dysfonctionnements.
Bien sur, le personnel soignant est dévoué dans sa majorité et je ne veux pas laisser croire qu'il ne sont pas professionnels dans leur travail. Mais là est le problème : personne n'est responsable, chacun fait ce qu'il doit faire et malgré ça, la situation vécue lors du parcours de soins est désastreuse. Il faut se battre en permanence contre un système où l'empathie et l'humanité ont laissé leur place à la responsabilité.