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Billet de blog 8 mars 2016

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Lettre à Lutte Ouvrière

Longue lettre de contre-argumentation à lutte ouvrière, après une rencontre d'une heure, et un discours que j'ai trouvé décevant

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Commençons.

Je pense tout d’abord qu’il y a urgence au fait de moderniser ce parti, et ce à plusieurs niveaux.

Sur la forme : la couleur rouge, et le logo que vous arborez renvoient volontairement à l’âge d’or du communisme léniniste. Du fait du système éducatif, nos générations ont un rapport pavlovien à l’Histoire. La faucille, le marteau, et le rouge renvoient immédiatement vers les années très sombres de tueries, de purges, d’autoritarisme, de coercition, de Stalinisme, de Maoïsme, de Castrisme etc. Le communisme enseigné est un communisme dégénéré, rigide, autoritaire et meurtrier. Au mieux, nous nous souviendrons de Trotski comme d’un révolutionnaire communiste idéaliste, un théoricien non praticien, ce qui achèvera l’idée même d’un modèle juste et applicable de l’idéal communiste.

Sur le fond : là, ça se complique. En premier lieu, il y a deux lignes de fond qui me dérangent ; tout d’abord cette vision d’un monde duel sans réelle distinction, entre le Grand Capital et les Ouvriers, et j’y reviendrai. La seconde, c’est cette idée de « Révolution » qui sonne comme une promesse, un but à atteindre. Or sur ce point précis, attention à ce que nous voulons, et je m’étendrai un peu sur ce point.

Les élans révolutionnaires sont quasi exclusivement mus par des formes diverses de nihilisme : on souhaite détruire l’ancien, pour imposer le nouveau. Dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, une révolution se traduit par un cycle de violence meurtrière, et une inversion des forces : le dominant devient dominé, l’oppresseur devient oppressé, et finalement, la société qui émerge de ce processus ne change pas, voire régresse. Rien de bien ne peut selon moi, émerger de la violence. 1789 en France, est à mon sens un produit de consommation idéologique que l’Education Nationale distille au mieux. Elle assure aux « dominants », une docilité citoyenne grâce à ce message : « vous avez été braves un jour, et si vous souscrivez à cette légende Révolutionnaire, vous serez à tout jamais des rebelles, des insoumis ». Or, nous observons que la Révolution de 1789 n’a pas eu les effets escomptés.

Il y a des processus sociologiques et « chimiques » très alambiqués dans la réalisation révolutionnaire. Dans la Révolution française, se mêlaient de nombreuses idées sous-jacentes comme celle de « tuer Dieu », en la personne du Roi, de mettre fin à la verticalité des processus décisionnaires, mais surtout, de permettre à la classe moyenne supérieure d’accéder au Pouvoir. Le peuple a été utilisé comme un marchepied pour promouvoir les ambitions bourgeoises. Les Lumières, constituantes des assemblées, étaient avant tout des bourgeois, rentiers, intellectuels etc (l’une des premières mesures de cette assemblée des Lumières, une fois parvenue au Pouvoir, a d’ailleurs été de s’accorder une rémunération non déclarée...). Les valeurs humanistes prônées sur l’instant, et les têtes coupées ont calmé les ardeurs des foules qui se sont reposées sur leur succès, alors même que se fabriquait dans l’ombre l’oligarchie qui règne aujourd’hui (je pense aux maurassiens et au retour des valeurs religieuses rigides notamment). Cette période aura au moins eu le mérite d’accoucher de la Charte des Droits de l’Homme. Le plus souvent, dans la conscience collective, il y a une confusion de genre entre Révolte, qui ne concerne que l’aspect destructeur et sans but d’une insurrection interindividuelle et Révolution ; comprenez « un moyen de dépasser un modèle obsolète pour tendre vers le meilleur ». Le danger, pour une société, est de penser que l’une mène automatiquement à l’autre.

En ce qui concerne le fond, je crois que l’on peut évoluer dans une société mue par des idées, mais que les idéologies sont néfastes. Une idéologie fonctionne sur le modèle de l’adhésion du plus grand nombre. Par essence, elle écartera ceux qui sont impossible à  convaincre. Pire, elle pourra les désigner comme des ennemis pour s’en nourrir et se renforcer. Les régimes théocratiques, ou reposants sur un mythe national en sont un exemple criant à travers l’Histoire. Le fait même de poser un discours dans lequel la société est séparée en deux hémisphères : Capital et Ouvriers est donc un problème en soi parce qu’en cas de réalisation, une « révolution en l’état » donnerait naissance à une société inversée.

Côté pratique maintenant : à supposer que nous ayons surmonté toutes ces petites difficultés conceptuelles, et adouci nos mœurs pour tendre vers un peu moins de manichéisme ; une révolution doit concerner des pans de société et doit pour exister, faire bouger les masses. Ces masses seront déterminées principalement par la notion de « pouvoir subi ». Or je pense qu’il y a dans notre société actuelle, et je vais essayer de m’expliquer, une forme d’intersubjectivité du Pouvoir. C’est ce qui empêche toute coagulation des mouvements quels qu’ils soient. De plus, pour renverser un système inique, il faut pouvoir attraper, non pas sur la simple base de soupçons ou de ce que voudrait la morale, mais sur des faits tangibles, tombant sous le coup de la loi, les personnes responsables du maintien du tout. Là ça se complique.

Je pense à François Hollande et son discours du Bourget « Mon ennemi, il n’est pas élu, il n’a pas de visage, mais il gouverne. Mon ennemi c’est la Finance ». Brillant. La finance, comme tant d’autres domaines clé du pouvoir, se sont dilués dans les échelons et on ne peut de façon précise, désigner un coupable des méfaits engendrés à grande échelle. Je pense à Michel Foucault et son livre « Surveiller et Punir », dans lequel il explique très justement que la Justice n’a eu de cesse au fil du temps, de transférer son pouvoir vers d’autres instances, afin de se déresponsabiliser de punir. Imaginons le cas suivant : un homme est emprisonné pour assassinat. On se rend compte au bout de dix ans qu’il n’était pas coupable. Qui est responsable ? Le juge ? L’expert psychiatrique ? L’un des experts scientifiques ? L’avocat ? La décision finale ayant transité par nombre d’intervenants, il sera difficile de désigner un coupable réel. Pourtant, un préjudice important aura été infligé. Et le pouvoir d’enfermer cet homme aura bien été exercé.

Ceci n’est qu’un exemple simple et caricatural mais qui montre bien la difficulté de désigner un coupable et donc de combattre un adversaire supposé.

L’autre face de cette pièce qu’est l’imbrication, c’est l’intersubjectivité. Je pense à la hiérarchisation de la société, et au corporatisme. Il ne vous aura pas échappé que les manifestations concernent toujours des corps de métier précis. Jamais d’ensemble. On parlera de corps médical (soit infirmiers, soit médecins mais pas les deux), des avocats, des notaires, des taxis, des agriculteurs... Chaque corporation possède des avantages par rapport à une autre. Il n’y a plus d’intérêt commun. Et chacun protège donc ce qu’il a, parfois au détriment des autres. L’idée d’un grand mouvement révolutionnaire s’achève donc ici. Le pouvoir est en réalité disséminé dans les différentes couches corporatistes, qui ne peuvent réellement en disposer qu’à échelle plus petite. Cela me fait penser à Guy Debord et à sa Société du Spectacle, et à la manière dont il explique que la bureaucratie d’Etat, disperse les forces sociétales par la fragmentation du pouvoir, empêchant le moindre élan révolutionnaire. Ce livre est d’ailleurs très intéressant car il détaille également avec précision, les mécanismes qui ont permis la captation des forces vives par les lois du marché. Je pense à la bureaucratie car elle est le meilleur exemple dans cette France administrative, avec la multiplication des instances de traitement de la vie citoyenne, du pouvoir conservé dans la dissémination.

En définitive, cette intersubjectivité du pouvoir pourrait être définie par la conscience et la jouissance immédiate d’un pouvoir individuel découlant d’un statut particulier, générant un ratio de reconnaissance au sein des différentes sphères sociales normées. Ce pouvoir valorise et accomplit l’individu qui devient un rouage essentiel au maintien d’un système qui le nourrit, même si ce système est foncièrement inique avec d’autres. Cette vision écarte d’emblée les éventuelles théories du complot, qui visent à expliquer la domination par des ententes secrètes entre les acteurs clé du secteur économico-politique. L’injustice sociale existe du fait que certains protègent leurs intérêts, leurs acquis, aux détriments d’autres. Ce même mécanisme conduit une population qui jouit d’un certain pouvoir, à rester docile et indifférente face à la domination de quelques autres. Plus directement, c’est cette lutte pour la conservation du pouvoir qui fera qu’une société rejettera les plus faibles, comme les pauvres, les roms, les chômeurs etc. Vous pourrez toujours me rétorquer qu’il existe de grands mouvements de solidarité tels que les Restos du Cœur, ou le Téléthon, mais il s’agit en réalité de charité ordonnée en spectacle pour rassurer l’opinion sur l’application concrète de valeurs censées animer le public (le plus souvent issues du corpus idéologique religieux), mais qui sont en réalité, diluées dans l’individualisme sériel d’époque. Je ne dis pas que c’est intentionnel, mais inconsciemment, observer et agir sur la misère nous aide à nous sentir privilégiés et donc mieux. Attention donc, dans cette notion de « recherche de coupable » développée brièvement plus haut, dans laquelle se sont égarées des sociétés à travers l’Histoire. Un glissement est possible entre le « coupable » comme perturbateur de l’ordre social, et le « coupable » comme frein à notre jouissance de pouvoir.

Dans cette optique d’intersubjectivité, le souhait de Lutte Ouvrière de capter un grand mouvement révolutionnaire ouvrier national semble effectivement s’effondrer. Vidée de sa substance, la Révolution ne représente guère pour beaucoup, que l’idée d’un bref sursaut colérique qui résoudrait tout et améliorerait avant tout, sa condition propre. De nos jours l’idée révolutionnaire est au mieux, devenue un produit marketing : combien d’ados ont-ils collé sur leur mur, cette mythique pièce de tissu multicolore à l’effigie du Che ?  Posée dans un recoin poussiéreux de notre conscience, elle ressort, pour les plus habités d’entre nous comme une idée géniale à réactualiser pour apporter justice, félicité, bien-être etc. Cette idée fait fi au passage, de toute réalité sociologique, de tout son cortège historique de destruction, de mort, de nihilisme, de persécution, de violence, de sa vacuité, son inadéquation et son inefficacité.

Comme je l’ai écrit, je pense donc que l’erreur fondamentale de Lutte Ouvrière est de « considérer des ensembles » et de transposer ces schèmes sur l’Europe (voire le monde). Je pense qu’on peut difficilement changer un système au niveau macromoléculaire, mais plutôt au niveau micromoléculaire, tout système portant en lui, le germe de sa propre destruction. Ce qui constitue le socle de réflexion de Lutte Ouvrière est la condition de l’Ouvrier, et l’accumulation de Capital, cause de l’aliénation du salariat. Redéfinir le statut de l’ouvrier, reste cependant un point crucial. En effet, dans cette société post-industrielle qui caractérise notre époque, et qui tend vers une seconde révolution industrielle axée sur la robotique et l’intelligence artificielle, l’ouvrier n’est plus le même qu’il y a 70 ans. Il est secondé (sinon remplacé) par la machine. Les travaux ne sont plus aussi physiques, (dans le sens premier du terme) qu’autrefois. L’ouvrier a laissé place à l’ouvrier spécialisé, parfois installé dans des bureaux. L’ouvrier se confond avec le salariat, et il est parfois entrepreneur. Cette époque n’a eu de cesse, en France en tout cas, de maximiser la productivité de l’ouvrier tout en améliorant son cadre de travail. Le but pour les entreprises étant principalement d’accroitre la productivité. Il y a d’abord eu l’avènement du taylorisme avec la spécialisation des postes, puis celui  du fordisme avec les montages en série, le travail à la chaine, puis le toyotisme qui concerne l’optimisation des postes (faire le moins de pas possibles pour aller d’un point A à un point B, par exemple). Les entreprises au fil du temps, se sont mises à proposer de la formation continue, organisent des sessions de groupe, des sorties, pour que le salarié s’identifie à l’entreprise, tisse des liens, soit plus performant etc.

La violence subie aujourd’hui par les ouvriers, n’est plus vraiment physique au sens pur, ou liée à des conditions déplorables. Elle est avant tout morale et psychologique. L’usure physique est aujourd’hui liée à la répétition des gestes, à la cadence soutenue qu’exigent le plus souvent les machines, aux horaires en contradiction avec le cycle biologique etc.

Je choisis de traiter l’angle des violences subies pour redéfinir la classe ouvrière pour plusieurs raisons : la première c'est qu’il me semble juste de considérer cette classe comme non uniforme, et que je préfère y voir une vaste classe d’exploités, qui à ce titre subit l’autorité ou dépend de jeux de pouvoirs. Ces jeux de pouvoir, cette autorité, vont le plus souvent à l’encontre des désirs individuels par la contrainte. La seconde raison est que de mon point de vue, lorsqu’un système autoritaire impose telle ou telle chose à un individu, c’est pour empêcher le dysfonctionnement dudit système. Plus concrètement : traiter la question des violences subies pour redéfinir la classe ouvrière, nous permettra peut-être de dégager quelques moyens possibles d’émancipation, et donc d’espérer équilibrer progressivement le rapport de force entre exploiteurs et exploités (toujours vu sous l’angle de pouvoir disséminé), et de penser une révolution autrement. L’un des premiers éléments de redéfinition de l’ouvrier, au-delà de la personne dotée d’une connaissance et d’un savoir-faire technique, seraitdonc à priori lié à son exploitation plus ou moins forcée à un système autoritaire.

Il y aurait beaucoup à développer sur l’autorité, l’autoritarisme, la justice, etc. Je n’ai toutefois pas l’ambition d’écrire une thèse ni n’en possède les outils, et je devrais donc passer outre certains thèmes. Je dirais juste ceci : un principe, une règle, un élément, font autorité lorsqu’ils sont capables de fédérer à l’unanimité. Le plus souvent, ce qui fait autorité est incontesté car perçu comme juste : une loi, la Constitution etc. La difficulté de vivre dans une société hiérarchisée, est d’avoir à subir des règles qui ne font pas consensus, car élaborées par une fange possédant son propre axe de réflexion. Dès lors que ces règles ne sont pas acceptées par tous, l’autorité s’effondre et nous rentrons dans des rapports de pouvoir développés plus haut, et qui peuvent mener une société sur les pentes savonneuses de l’autoritarisme. C’est important parce que l’autorité est la pierre angulaire du rayonnement étatique. Or l’Etat est contesté du fait d’une injustice croissante ressentie comme une violence à l’égard du peuple. La défiance engendrée pousse  l’Etat vers l’autoritarisme, initiant un cercle vicieux. Je suis cependant coincé dans ma réflexion par le fait que potentiellement, il existerait deux domaines inconciliables que sont l’homme comme entité politique, et l’Homme Anthropos.

Essayons de lister les violences subies.

Notre système économique est basé sur la croissance, qui repose en majeure partie sur la consommation. Pour favoriser cette consommation, ce système valorise les objets produits (par le marketing, la publicité etc) tout en écartant l’ouvrier à l’origine de sa production. Un exemple parlant : l’agroalimentaire. Plantons le décor publicitaire : un poulet, libre comme l’air qui gambade avec insouciance sur l’équivalent d’un terrain de football de pré verdoyant, une voix-off douce et chaude qui commente, un agriculteur heureux, souriant et propret. Puis, le produit fini : un appétissant poulet parfaitement rôti, sorti du four tel Vénus sortant des Eaux... Annonce d’une marque que l’on peut associer à cette image d’Epinal. Rideau. 

Cette mise en scène d’un produit quel qu’il soit a deux effets pervers : elle occulte la terrible réalité des industries d’abattage, de la condition paysanne, du mode de production réelle et des ouvriers qui lui sont toujours rattachés. Il y aurait là encore beaucoup à dire sur l’hypocrisie de ce système, comme celle du consommateur que nous sommes. Toujours est-il qu’en nous coupant volontairement ou non de cette réalité, nous favorisons l’exploitation des uns pour un instant d’apparente jouissance personnelle.

Le deuxième effet pervers, c’est que ce type de mise en scène accorde une plus-value au produit, le rendant inaccessible à une frange importante de la population, notamment celle des producteurs. Le rapport de violence se situe ici : l’ouvrier producteur de biens et de services, est condamné à voir s’éloigner de lui ce qu’il créé. Non seulement du fait de sa mise à l’écart dans la mise en scène, il n’est jamais valorisé, mais en plus le système dans lequel nous vivons, en apposant un idéal libertaire sur le consommable, invite cet exploité à se dépasser pour atteindre un objectif de consommation afin de s’accomplir. Cet accomplissement illusoire par la consommation trouve diverses formes : une belle voiture, un nouveau téléviseur, même le fait de correspondre à une norme (marié, deux enfants, un labrador dans le jardin, un 4x4 dans le garage...). Je dis illusoire car l’objet de désir obtenu, devient par nature aussitôt obsolète (n’en déplaise à madame...). Et le cycle de se reporter sur un objet nouveau et de recommencer.

Pour atténuer ce cycle violent de frustration programmée et de mise à l’écart, seule une prise de conscience générale sur le fait que nous ne devons pas confondre idéal libertaire avec une réalisation par la consommation, semble importante. Cela pourrait revenir à terme, à reconsidérer un modèle de croissance perpétuelle auquel pour l’heure, nous sommes si fermement attachés, et qui rend tous les segments de société esclaves de ses désirs, amorçant dans le même mouvement l’exploitation des uns par d’autres.

Une autre des violences que je peux lister, est celle de la vacuité du travail. Ce qui fait qu’un individu se sent accompli en travaillant, c’est qu’il trouve du sens dans ce qu’il fait. L’individu en général est en recherche de sens, voire d’une forme de transcendance. Ce fil rouge est devenu plus ténu avec la répétition des tâches, avec le management agressif, la suractivité, la non-valorisation du travail, avec la perte d’argent que représentent certains secteurs d’activité (je pense à l’agriculture et à ces « ouvriers de la terre »), avec les difficultés que rencontrent beaucoup pour vivre décemment de leur activité etc. Tous ces éléments qui font que le salarié, l’entrepreneur, auront l’impression de travailler « pour rien ». De cette violence, émerge la dépréciation de l’individu par lui-même. Parfois même, cela conduit l’individu à se suicider. Je pense au Mythe de Sisyphe, et à cette formule de « l’homme renonçant face à l’absurde ». A noter que la France possède l’un des taux de suicide les plus élevés d’Europe. Suite à l’affaire France Telecom, où des employés étaient surchargés de travail, et où le management n’était pas des plus exemplaires, des études récentes ont été capables de corréler emploi et suicide. On se rend compte que le suicide, concerne en majeure partie les personnes souffrant du chômage. On pourrait dire... de ceux qui ne produisent rien.

Il y a donc deux constats simples : chaque personne devrait jouir d’une activité dans un domaine où elle se sent bien, où sa productivité ne sera pas motivée par des mesures coercitives ou par de quelconques impératifs chiffrés. Nous touchons là encore du doigt, la fin du paradigme de l’éternelle croissance, de la productivité à tout prix. Le deuxième constat, c’est qu’il nous faudrait poser une réflexion sur les mécanismes de pression sociale qui poussent l’individu au chômage à se dévaloriser et à être dévalorisé par ses semblables, jusqu’à parfois attenter à sa propre vie et se supprimer. Lorgnons du côté d’Emile Durkheim pour avoir une idée sur la question. Elle est d’autant plus d’actualité que dans notre société-monde, les emplois disparaissent, le chômage est pour beaucoup inévitable mais par-dessus tout, ce chômage de masse est utilisé comme moyen de pression sur les autres salariés en souffrance, jouant sur la compression les salaires, les droits sociaux etc. Il y a donc, au-delà du rapport de force à équilibrer, un nouveau paradigme à bâtir : valoriser l’individu quel qu’il soit, valoriser son potentiel, développer sa créativité, lui assurer une liberté de choix totale d’orientation, et ce à tout moment de sa vie. Instaurer la coopération comme remède à la compétition. Mettre l’entreprise au service de l’Homme, non l’inverse. Cela devrait conduire entre autre à une baisse globale du temps de travail, sur laquelle je ferai un point rapide un peu plus loin, en abordant notamment le thème de la science-fiction...

Voilà ce que devrait être le centre de préoccupation de Lutte Ouvrière et des partis de Gauche en général : réformer la société dans son ensemble, par le prisme de l’activité à l’échelle individuelle. La guerre entre patrons et salariés n’est qu’un leurre et tout affrontement tournera irrémédiablement en faveur de celui qui disposera en l’instant, du pouvoir le plus important, sans jamais rien changer. Utopie me répondrez-vous ? Pas forcément. Nous voyons fleurir ci et là des initiatives citoyennes, financement participatif, coopératives, auto-organisation, monnaies parallèles, associations diverses. Le tout est de formaliser ces intentions par l’élaboration d’un système éducatif adapté. Une société change avec l’éducation qu’elle reçoit.

La question de l’Education m’amène à considérer une autre violence faite aux couches disposant d’un pouvoir moindre : l’anomie. Nous assistons depuis quelques années en France, à un appauvrissement du débat d’idées. La pensée, l’analyse dissidente semblent criminalisées. Pire, nous avons mis au point une religion de l’expertise : une poignée d’individus, reconnus par l’intelligentsia sont les seuls à pouvoir émettre un avis. Le plus souvent en accord avec la doxa ambiante. Jamais contredits, pas même lorsque l’erreur est manifeste, ces « experts » font autorité. Ce qui irait contre cet avis est qualifié de populiste. Pourtant, le peuple a des idées. Il vit l’injustice, il constate l’asymétrie dans les rapports de pouvoir, il sait par nature ce qui est bon pour lui. Ce qui lui manque la plupart du temps : la culture, le temps de penser, de réfléchir, de formuler. Aujourd’hui, dans les couches populaires, rares sont les personnes qui ont du temps pour elles. Il leur est difficile de trouver l’énergie d’étudier, de prendre un livre, de fouiller des sujets etc. D’autre part, en France particulièrement, le système éducatif est verrouillé. Corporatisme oblige. Sans moyen et sans réseau, il est quasiment impossible d’intégrer une grande école. Un chirurgien me disait il y a quelques jours que « de son temps » un jeune, quelle que fut sa condition d’origine pouvait prétendre à faire l’ENA. Et qu’aujourd’hui c’était impossible. L’une des pires violences envers les couches populaires est ce constat simple qu’elles ne pourront jamais, sauf dans de rares exceptions, dépasser leur condition d’origine. Il existe une véritable ségrégation culturelle qu’il faut la pointer du doigt, analyser et combattre. Ne rien considérer comme « ordre établi et immuable ». Là encore, je ne peux que donner raison à Lutte Ouvrière lorsqu’elle défend l’emploi d’ouvriers, et qu’elle est fière de ce statut, mais il faut qu’elle aille plus loin, et qu’elle offre un véritable socle de transformation sociale par le vecteur éducatif. Il faut qu’elle ose penser un programme éducatif qui sortirait l’ouvrier de sa condition « déterminée », offrant une chance à ses enfants, et aux enfants de ces enfants. Et mettre ce débat à portée du public. De façon générale, il faut penser l’essor et l’émancipation des classes populaires, même si cela signifie un déclassement de son pouvoir propre. En effet, dans l’éventualité où nous atteindrions l’objectif de ne plus avoir de classe exploitée, Lutte Ouvrière n’aurait plus de raison d’être. Je crois en effet que parfois, des choses sont maintenues en l’état par peur que ce qui gravite autour ne disparaisse. Là encore, il ne s’agit que de jeux de pouvoir. Le tout est de se situer par rapport à ceux-ci pour agir avec justesse.

Il est une autre violence c’est celle du marché du travail. Le terme « marché » contient tout : offre, demande, concurrence, volatilité des postes, délocalisation des sites productifs etc. On sait tous comme le marché s’est globalisé ces deux dernières décennies, et comme il a mis en concurrence des travailleurs de différents pays. La mondialisation est un problème en soi, parce qu’elle incite les principaux décideurs à entrer en compétition avec ses homologues. Elle encourage les autres à en faire partie. C’est cette compétition qui réduit le statut d’ouvrier à celui de charge. Qui créé le lobbying, fait reculer les droits sociaux, et qui au final, asphyxie une société entière, une nation, et au final, cette toute petite planète. On en revient à nos cycles violents, sur l’entité humaine sensible.

La violence à laquelle le travailleur va être quant à lui directement confronté, c’est celle de l’usure physique, du non-respect du cycle biologique, avec le travail de nuit, les horaires décalés, la recherche de productivité accrue etc. L’entreprise met le plus souvent la pression sur les salariés ; je dis bien « entreprise » et non « patron », pour la simple et bonne raison que je garde en ligne de mire, la dissémination du pouvoir. Ce qui pousse l’individu à la cadence infernale, c’est la peur d’être dévalorisé, voire d’être mis à la porte s’il fait moins bien qu’un autre. Ce système se nourrit dans les grandes lignes et dans le désordre de plusieurs éléments : de différents postes à responsabilité limitée au sein des équipes (parfois des rôles de surveillants), en passant par un fonctionnement tacite dans lequel la hausse de productivité d’un seul devient la norme de tous, ou encore d’une distribution de primes individuelles etc. Et tous ces éléments mis en place, poussent l’individu à toujours plus de performance sous peine d’être marginalisé par le reste des salariés, et ne plus être reconnus comme légitime au sein de son entreprise. C’est cette performance « contre-nature » qui conduit à des blessures physiques (et psychologiques). Je rappelle qu’une étude de février 2016 chiffre à six ans, la différence d’espérance de vie entre un cadre et un ouvrier. On en connait tous plus ou moins les causes. Personne ne semble cependant vouloir remettre en question ce fonctionnement. Là encore, il y a un boulevard de réflexion pour les citoyens et les partis : Quelle est la place de l’Homme dans une société de rendement cadencé par la machine ?

Mon détour par la science-fiction se situe ici : elle nous enseigne le temps libre. Dans l’imaginaire collectif, la science-fiction est peuplée d’humains augmentés, libre de flâner et de faire du shopping sur différentes planètes, totalement secondés par des robots à leur service. Il y règne le plus souvent une atmosphère apaisée, tout est propre, moderne et chacun semble profiter de la technologie disponible. Le Futur, c’est le fruit du génie humain, couplé à l’efficience robotique. Cela suppose en pratique que tout ce qui est produit par la mécanique, génère un revenu distribué aux humains qui profitent d’une baisse globale du temps de travail. Les ordinateurs et les automates ont eu et continuent d’avoir un rôle central dans la transformation de ce monde, le problème de la redistribution n’est pas simplement un problème d’inégalité salariale (sur lequel on pourrait débattre en parallèle), mais c’est avant tout un défaut de logiciel. Je fais partie de ces gens qui pensent que chaque machine présente devrait pouvoir générer un revenu pour chaque humain. Un article de chercheurs à Harvard mentionnait que d’ici vingt ans, 47% des emplois pourraient être remplacés par la machine. Aux Etats-Unis, il s’agissait d’un article stipulant que 20% des emplois pourraient être remplacés par l’ordinateur aux USA seulement. Même si ces chiffres peuvent être sujets à caution, la tendance est claire : partout sur la planète, l’humain sera à terme remplacé dans l’essentiel des tâches, par la machine. Dans cette optique, il est urgent de penser l’activité humaine non pas comme vecteur de croissance et d’essor sociétal, mais avant tout comme un outil de réalisation et d’épanouissement individuel qui ne doit dépendre que de l’individu concerné. D’autre part, il faut penser la redistribution en ne considérant plus l’humain comme un outil, mais comme une finalité. C’est à dire de changer sa condition d’esclave qui a permis l’essor de nos sociétés et de transférer ce statut sur les machines.

Concrètement, on pourrait décréter que chaque machine dont le rendement est chiffré, génère par son action un revenu pour chaque citoyen. Nous avons là, une base pour le salaire universel, et un outil puissant et juste de redistribution. Quant au temps de travail, il est normal, dans un monde où l’emploi devient plus rare, de partager l’activité entre plusieurs individus. Cela conduirait à une baisse drastique du temps de travail, soutenue par de meilleurs circuits de formation... rémunérés par les machines. Pour aller vite, le salaire universel de base, couplé à un système éducatif et de formation optimisés, offriraient à chaque individu la possibilité de dépasser sa condition d’origine, seulement s’il le choisit. De plus, le temps libre permettrait à chaque citoyen de se cultiver. Ce que nous avons gagné grâce à l’alphabétisation de masse qu’a permis le progrès, nous sommes progressivement en train de le perdre à cause du productivisme.

Pour résumer, je dirais que l’ouvrier aujourd’hui est un travailleur exploité par différents niveaux de pouvoir, lui-même n’en disposant pas de significatif. C’est un acteur économique qui éprouve des difficultés à s’épanouir car soumis à des objectifs non adaptés. Il ne dispose pas d’un pouvoir d’achat ni de temps libre suffisant pour assurer ses loisirs. Son savoir et sa technique sont condamnés à se voir tôt ou tard remplacés par la machine. Il peut difficilement profiter de ce qu’il produit, ou des services qu’il propose. Il lui est presque impossible de sortir de sa condition d’origine.

Nous quittons la vision type fin XIXe siècle strictement productiviste de l’ouvrier de type « Germinal », corvéable à souhait, pour une plus actuelle qui concerne la majeure partie des travailleurs dépendants des conjonctures économiques. En réalité, l’ouvrier est l’artisan de toute l’économie réelle. Loin d’essentialiser, cette définition ouvre le champ à des pistes de réflexion et d’amélioration de la condition même des travailleurs, et de ce qui fait l’économie. D’une façon plus générale, elle permet de décloisonner une vision archaïque et corporatiste de l’ouvrier, et fabrique « du commun », qui manque cruellement pour amorcer une véritable révolution. Une question politique de fond doit demeurer : comment changer cette société pour gommer ces éléments de définition ?

Ce que je souhaite, c’est le retour de l’humain comme objet sacré dans le projet politique et économique. Pas plus, pas moins.

Je souhaitais terminer cette lettre par une proposition concrète d’ordre économique. Tout n’est pas mauvais dans le capitalisme. Il a, entre autres choses, permis l’essor des sociétés, en offrant la création rapide d’infrastructures, ouvert la voie du progrès médical et de l’hygiène, menant l’homme à vivre mieux et plus longtemps. Aussi, se prononcer absolument contre le Capitalisme est absurde. Nous en connaissons cependant tous ses dérives, et le fanatisme de ses défenseurs devrait nous interroger. Leur raisonnement est le suivant : si les populations s’appauvrissent avec le libéralisme, c’est qu’il n’y a pas assez de libéralisme. Même Joseph Stiglitz, brillant économiste est ambigu sur la question ; son angle d’attaque du capitalisme étant principalement basé sur la différence d’information entre les acteurs. Il y a comme une religion capitaliste. Lorsque je parlais du besoin de transcendance de l’humain, je crois qu’à la « mort de Dieu » annoncé par Nietzsche, l’Homme s’est tourné vers ce second Dieu qu’est l’économie et l’argent. Le fait même d’avoir comme principe dominant en économie ce qu’Adam Smith appelle « Main Invisible », devrait nous mettre la puce à l’oreille. Ce père spirituel du capitalisme, son passé de philosophe religieux, issu d’une Nation qui s’est bâtie sur l’esclavage devraient nous alerter. Voilà donc un angle de réflexion qu’un Parti politique pourrait porter : quel poids avons-nous donné à une doctrine ? Peut-on la contester ? Par quels moyens concrets ?

J’imaginais naïvement peut-être, que l’on pourrait fendre l’une des briques de cette doctrine, en créant une Bourse citoyenne. Je m’explique :

Pourrait-on donc imaginer un système Boursier dépendant du Conseil Régional par exemple, où l’on prévoirait un plafonnement d’investissement pour chaque citoyen, sur des entreprises qui s’implanteraient dans la Région. Chaque entreprise voulant entrer en Bourse devrait passer devant un Conseil Citoyen, dossier à l’appui. Des règles pourraient imposer à l’entreprise qui bénéficiera d’investissements, un quota d’apprentis ou de stagiaires à l’année et des objectifs d’emploi. Nous avons là un retour pratique à la formation en entreprise, par l’employeur. Ce qui mettrait fin à cette lubie de beaucoup d’employeurs de vouloir récupérer des gens parfaitement formés, avec expérience et payés au smic... On pourrait plafonner les revenus boursiers par entreprise, graduellement selon l’ancienneté. Une entreprise nouvellement intégrée sur ce marché boursier public bénéficierait d’un plafond d’investissement relativement bas. Ce plafond étant négociable tous les six mois en commission. A l’inverse, une entreprise qui réussirait ses objectifs verrait son plafond augmenter. L’objectif de plafonner les investissements par citoyen ou par ménage, c’est avant tout pour donner les mêmes opportunités d’investissement à tout le monde. Plafonner les investissements par entreprise interdit toute forme de spéculation, et encourage la fidélité.

Ces placements boursiers génèreraient pour les citoyens un revenu dès un an, voire deux et ce, en fonction de son investissement. Il y a là un point crucial : le profit n’est jamais immédiat. C’est une sorte de rééducation de la vision à moyen terme, qui fait défaut dans la doxa libérale aujourd’hui.

Cela pourrait prendre la forme d’un site boursier régional en ligne, qui permettrait de suivre l’activité des entreprises, offrant le choisir d’investir ou non. L’idée est d’instaurer un contrat entre l’entreprise et le citoyen. Le citoyen s’engagerait à soutenir une entreprise durant un an minimum, sachant que plus il est fidèle, son retour sur investissement sera important. Quant à l’entreprise, elle s’engage à proposer des sessions de formation, accueillir des stagiaires, des apprentis, et à terme créer des emplois. Le but est qu’elle s’insère dans le tissu social et qu’elle dynamise l’économie locale. On pourrait même imaginer un partenariat avec des banques pour proposer à ses clients futurs, un CAL (Compte d’Activité Locale) de bienvenue, à investir où bon nous semble. Ce qui reste à définir, c’est en cas d’innovation ou de la déposition éventuelle de Brevet. On pourrait convenir par exemple que 50% du Brevet appartienne à la Région, et que de ce fait, une entreprise bénéficiaire d’investissements boursiers citoyens, et qui voudrait les vendre à l’étranger ou délocaliser son activité, devra d’abord racheter ses parts à la Région.

Voilà, c’est une idée parmi d’autres mais qu’un Parti pourrait affiner, mettre sur pied, amplifier et généraliser si c’est concluant. Toujours est-il qu’un Parti quel qu’il soit ne devrait pas avoir peur de proposer des débats de haute volée, ne devrait pas avoir peur de mobiliser la population sur des sujets techniques, philosophiques, ou jugés complexes. Il y a tant et tant à dire, tant d’idées à développer pour fonder les bases d’un monde nouveau, qu’on ne peut plus se permettre de verser dans le futile, le manichéisme et la démagogie. Il est tant d’élever le débat, pour donner au peuple, voix au chapitre.

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