La Nuit Debout est née le 31 Mars, Place de la République à Paris. Ce soir-là, des manifestants ont brandi des lettres lumineuses, qui scintillaient dans la pénombre. Il était écrit : « GREVE GENERALE ». Au fil de la nuit, le G a disparu. Puis le E final. Un nouveau mot d’ordre, d’une réelle beauté poétique, naissait sous nos yeux : « REVE GENERAL ». Comme la réapparition visuelle de quelque chose enfoui depuis trop longtemps en France : l’utopie.
Il n’y a pas d’émancipation sans rêve, pas de politique émancipatrice sans utopie. La démocratie, la République et bon nombre d’avancées sociales et sociétales n’auraient jamais vus le jour sans des penseurs qui rêvaient d’un autre monde. Incontestablement, les personnes qui se rendent aujourd’hui aux manifestations Nuit Debout - quels que soient leur sexe, leur âge, leur condition sociale - ont toutes un point commun : elles rêvent précisément d’un autre monde et rejettent le système existant, celui qui voit se déployer avec une violence inouïe un néo-libéralisme déchainé et inhumain.
Initiée par la galaxie Fakir dans le sillage du film « Merci Patron ! », la Nuit Debout est devenue en quelques jours, un point de rassemblement quotidien, principalement nocturne, où l’on discute à bâtons rompus, où l’on débat de grands sujets politiques, où l’on prend des décisions collectives en AG en votant à main levée. A Nuit Debout, on refait le monde. Aussi réjouissants soient ces rassemblements populaires à l’heure du tout virtuel, aussi stimulantes soient ces discussions politiques de fond depuis trop longtemps reléguées dans l’arrière-cour, il n’en reste pas moins que tout mouvement collectif se doit d’obtenir des victoires concrètes pour se solidifier. Comme l’échec d’Occupy Wall Street l’a montré, l’écueil principal d’un mouvement social horizontal est de tomber amoureux de soi-même.
Revenons donc quelques instants au concret : le projet de loi El-Khomri reste tristement d’actualité. Certes, la pétition en ligne, les manifestations dans la rue et l’occupation des places a permis de faire reculer le gouvernement sur quelques points mineurs mais la bataille est loin d’être gagnée. Plus grave : la mobilisation aussi bien étudiante que syndicale commence à diminuer. De la même manière qu’on finit par ne plus aller voter à force de voter pour rien, on finit par ne plus aller manifester à force de manifester pour rien. Peut-être est-ce le moment de se rappeler l’échec des manifestations contre la réforme des retraites en 2010 qui ont fini par s’épuiser d’elles-mêmes face à l’intransigeance du gouvernement d’alors.
Nous sommes incontestablement à un tournant du mouvement. Pour filer une métaphore footballistique, nous avons dominé la première mi-temps, nous avons eu des occasions mais nous n’avons pas marqué de but. Et nous avons même failli nous en prendre un en contre à la 45ème minute. C’est la mi-temps, et dans les vestiaires, nous devons élaborer une nouvelle tactique pour la seconde période. Celle de nos adversaires, nous la connaissons : faire le dos rond face aux manifestations, lâcher quelques cacahuètes pour diviser le mouvement, tabler sur l’épuisement progressif des manifestants. En clair : la bonne vieille stratégie défensive de 2010. De notre côté, il est illusoire de penser que nous obtiendrons le retrait de la loi El-Khomri par une simple manifestation supplémentaire (qui, fatalement, sera moins suivie que les précédentes). Nous devons donc passer à la vitesse supérieure. Si nous avons épuisé nos adversaires en première période, nous devons les achever en seconde. Le seul moyen : la grève générale.
Comme l’a très bien rappelé Frédéric Lordon lors de son intervention à l’AG du samedi 9 avril (ou plutôt du 40 mars), la grève générale, ça ne se décrète pas. En revanche, ça peut se construire. Nuit Debout est désormais un point de convergence qui peut en être le détonateur. Nous avons une aura médiatique, nous avons construit des relations avec les organisations étudiantes, lycéennes, avec les syndicats de salariés et nous sommes désormais présents non seulement à Paris mais également dans de nombreuses villes de province et de banlieue. Nous avons même une télé et une radio. D’autre part, nous ne devons pas oublier qu’une majorité de Français sont opposés à ce projet de loi. En clair : nous sommes en position de force. Il est donc temps de consacrer toute notre énergie à la construction de la grève générale, à sa diffusion dans l’ensemble du pays. Peut-être pourrions-nous commencer par organiser un vote au sujet de la grève dans toutes les Nuit Debout ? Et si le vote est favorable à la grève, pourquoi ne pas faire un communiqué officiel, une pétition en ligne pour appeler les gens à rejoindre cette initiative ? Ces propositions valent ce qu’elles valent mais comme Lordon, j’ai la conviction qu’il faut bloquer le pays pour que tout se débloque. Le rêve général c’est la fin. La grève générale, le moyen. Alors allons-y.