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Billet de blog 24 novembre 2015

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Moins de morale, plus de politique

Refusant d’agir politiquement face aux périls de notre temps, la Gauche s’est réfugiée dans un discours moral martial, autrefois réservé à la Droite : une démission qui la condamne à l’impuissance.

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Dans un article précédent, écrit en défense d’Emmanuel Todd au mois d’avril, j’avais dénoncé le caractère injonctif de #JesuisCharlie, hashtag polysémique autorisant toutes les dérives manichéennes (http://blogs.mediapart.fr/swank/blog/020515/en-defense-demmanuel-todd). L’objectif - conscient ou inconscient – de ceux qui s’en réclamaient, était de se ranger confortablement du côté du Bien, tout en mettant de côté l’analyse critique et politique du drame. Todd, dans son livre polémique « Qui est Charlie ? » publié au mois de mai dernier, avait d’ailleurs parfaitement analysé ce « flash totalitaire » qui avait ébloui pendant quelques jours une France sonnée, accusant le coup face à un type de violence qu’elle n’avait jamais connue sur son territoire. Quelques jours où le charlisme prit la forme d’une véritable sommation, stigmatisant toute forme de critique réflexive sur les événements tout en cautionnant un Etat et ses médias aux ordres qui, au nom de l’émotion, s’autorisaient à bafouer quelques règles élémentaires de droit commun.

Il serait pourtant faux d’affirmer que nous avons assisté au même type de scénario au lendemain du 13 Novembre. Malgré quelques réflexes pavloviens inoffensifs, typiques de la meute numérique (#JesuisParis ou encore le drapeau français calqué sur la photo de profil Facebook), a assez rapidement surgi un discours plus critique, mettant nos dirigeants face à leurs responsabilités. Est ainsi réapparue des entrailles du Net, largement relayée sur les réseaux sociaux, une vidéo montrant Dominique de Villepin dénonçant lors d’une émission de « Ce Soir ou Jamais », notre approche belliciste quant au problème du terrorisme. Le slogan « Vos guerres, nos morts » qui a beaucoup circulé sur ces mêmes canaux, allait dans le même sens : il montrait une prise de distance de nombreux Français vis-à-vis des décisions du pouvoir. Alors qu’en janvier, le charlisme qui avait envahi le pays et contaminé les médias, assimilait tout point de vue alternatif à une apologie du terrorisme, j’eus cette fois-ci des débats très riches sur les causes profondes de cette situation désastreuse. Comme si, après la sidération du mois de janvier avait succédé une longue réflexion du peuple français. Le choc émotionnel du 13 Novembre fut tout aussi puissant voire davantage - les commandos jihadistes de Daech s’attaquant désormais indistinctement à tout le monde. Mais la maturation des événements tragiques du début d'année avait armé les citoyens français d’une meilleure connaissance du problème et aiguisé leur regard critique. La France était redevenue la France : un pays où l’on peut débattre, discuter, dialoguer, voire s’engueuler, plutôt qu’un pays qui marche au garde-à-vous derrière son Président fantoche.

Mais l’arrogance française étant ce qu’elle est, un nouvel hashtag, parodique de #JesuisCharlie, fut abondamment relayé sur les réseaux sociaux au lendemain du 13 Novembre : #Jesuisenterrasse. Si ce dernier n’est pas sans humour – et dieu sait qu’en ces temps sombres, d’humour nous avons besoin -, si il affirme une fermeté absolue face aux obscurantistes fascistes qui attaquent violemment notre mode de vie libre, léger et tolérant, il pose question, tout comme son prédécesseur Charlie. Comme le notre très justement Sarah Roubato dans un article du Club de Mediapart (http://blogs.mediapart.fr/sarah-roubato/blog/201115/lettre-ma-generation-moi-je-nirai-pas-quen-terrasse), il sous-entend que nous aurions été uniquement attaqué pour ce que nous sommes et non pour ce que nous avons fait (et ce que nous continuons de faire). Comme si les causes politiques qui ont menées à cette situation ne devaient être ni mentionnées ni examinées. Face à cette négation de l’esprit critique - pourtant l’un des plus beaux héritages des Lumières - il faut réaffirmer ceci haut et fort : tenter d’analyser et de comprendre les causes du jihadisme n’est en rien le cautionner. Porter l’examen sur notre politique économique et sociale, notre politique d’intégration, notre dépendance aux critères de stabilité européens, pointer les failles du renseignement intérieur et extérieur ainsi que l’incohérence stratégique de notre politique étrangère,  n’est en aucun cas excuser les auteurs de ces actes innommables. C’est bien tout le sujet de cet article : régler des problèmes aussi complexes et amples que le terrorisme exige non pas de se réfugier derrière des postures morales ni de se placer au-dessus de la mêlée, mais bien de faire de la politique en auscultant les racines du mal.

Dès le lendemain de son élection au printemps 2012, François Hollande a enclenché une politique calquée sur celle de son prédécesseur à l’Elysée : ultra-libérale, sécuritaire et néo-conservatrice. Malgré les nombreux signaux d’alarme et les critiques d’une partie de sa majorité et de ses alliés politiques, il a persévéré dans cette pente dangereuse, accentuant le dénivelé au fil des mois et accélérant le rythme de ses réformes. Sur le plan économique, il s’est immédiatement mis sous la tutelle de la Commission Européenne et des marchés de capitaux en pratiquant une politique de l’offre au caractère antisocial prononcé – une faute impensable en période de crise historique de demande – mise en musique d’abord par le très libéral Pierre Moscovici puis par un ancien banquier néo-thatchérien jamais élu : Emmanuel Macron. Sa politique intérieure n’a pas été plus progressiste. Candidat, il promettait de pacifier la société française mise sous tension par Nicolas Sarkozy mais il n’en a rien été. La mort de Rémi Fraisse, ce jeune écologiste de 21 ans tué sur le plateau de Sivens par une grenade offensive lancée par des gendarmes reste comme l’une des tâches indélébiles de son quinquennat. Elle symbolise un exécutif autoritaire, criminalisant tous les mouvements de contestation, aussi légitimes soient-il et se soumettant aux ordres des représentants carnassiers du capitalisme dérégulé. Ce visage conservateur et réactionnaire s’est particulièrement dévoilé dans l’incohérence d’une politique étrangère, plus atlantiste que jamais, stupidement guerrière, faite d’alliance douteuses avec des pétromonarchies, rappelant les pires erreurs géopolitiques de l’Amérique post-11 Septembre (cf. l’excellent article de Thomas Cantaloube : http://www.mediapart.fr/journal/international/211115/du-11-septembre-au-13-novembre).

La tragédie du 13 novembre qui a bouleversé toute la France -  pays qui n’avait jamais été confronté à un tel niveau de barbarie depuis la Seconde Guerre Mondiale - signe ainsi la faillite complète de ce modèle de société qu’a contribué à mettre en place et à développer Nicolas Sarkozy et que François Hollande a poursuivi à un niveau d’intensité inouï, au mépris des valeurs historiques de la Gauche. La crise des banlieues de 2005 qui traduisait une profonde crise sociale et accusait l’amplification de politiques inégalitaires et discriminantes, n’a provoqué qu’un tour de vis sécuritaire de plus. Le krach financier de 2007 qui disqualifiait en direct live l’idéologie néo-libérale fondée sur le libre-échange, la toute puissance actionnariale et la dérégulation financière a été le moyen paradoxal pour renforcer ce même système, à la source du chaos. La crise de l’Euro, débutée en 2010, n’a entrainée que des politiques de rigueur désastreuses, dénuées de toute vision macro-économique, dont le couronnement a été la mise sous tutelle de la Grèce à l’été 2015 via un mémorandum absurde, criminel et antidémocratique renvoyant aux pires heures du colonialisme. Enfin les attentats terribles qui ont ensanglanté la France en janvier dernier n’ont conduit à aucune remise en question profonde de nos politiques mais à la démonstration d’une union sacrée factice qui a conduit quelques mois plus tard à une loi sécuritaire de plus, liberticide tout autant qu’inefficace. Une fois de plus, les intuitions de Naomi Klein qu’elle développait dans son essai fondamental, « The Shock Doctrine », ont été concrètement vérifiées : tous ces chocs ont été utilisés par le pouvoir pour briser nos valeurs démocratiques sur l’autel de la loi du marché et des thèses sécuritaires et guerrières. En clair : la consécration d’un capitalisme du désastre.

Dans un article de référence, publié dans les colonnes de Libération en 1997, l’éminent sociologue Jean Baudrillard jetait un pavé dans la mare (http://www.liberation.fr/tribune/1997/05/07/opposer-a-le-pen-la-vituperation-morale-c-est-lui-laisser-le-privilege-de-l-insolence-la-conjuration_206413).  Il titrait ainsi : « Opposer à Le Pen la vitupération morale, c’est lui laisser le privilège de l’insolence. La conjuration des imbéciles ». Sa thèse, développée à l’époque où Jean-Marie Le Pen commençait à afficher des scores électoraux inquiétants, n’a cessé depuis lors d’être brûlante d’actualité. Le Pen est parvenu à atteindre le second tour de l’élection présidentielle en 2002, et sa fille, qui a repris la boutique, plane à des niveaux jamais atteints par un candidat d’extrême-droite sous la 5ème République. En face, une gauche cryogénisée dans le conservatisme, vulgairement gestionnaire et politiquement inerte, incapable de penser le monde et encore moins de le transformer.  Une gauche drapée dans la morale, livrant des leçons que plus personne n’écoute (le vote utile, le front républicain, l’antiracisme, la laïcité et Je suis Charlie). De la « pensée molle » aurait dit Gilles Deleuze.

C’est cette gauche atrophiée qui regarde, hagarde et pétrifiée, le péril fasciste frapper la France en plein cœur alors qu’elle est au pouvoir. Il aura ainsi fallu deux vagues d’attentats pour que François Hollande daigne enfin suspendre (et encore, toutes proportions gardées) cet absurde Pacte de Stabilité qui bloquait toute possibilité d’engager une politique anti-terroriste sérieuse. Aux risques d’attentats avérés, aux alertes des services de renseignements débordés comme le notait l’ancien juge anti-terroriste Marc Trédivic, répondaient des investissements minimaux, indignes de la 5ème puissance du monde. La sécurité sacrifiée sur l’autel de l’austérité. Il aura également fallu des mois et ces derniers attentats redoutables pour que notre président, enfermé dans un atlantisme maladif, reprenne langue avec la Russie. Mais depuis le 13 Novembre, c’est bien - comme il fallait s’y attendre - les communicants de l’éxécutif qui ont repris la main. Ainsi vit-on Valls et Hollande, tels des robots programmés par Euro-RSCG, prononcer le mot « guerre » à toutes les sauces possibles dans l’espoir peut-être de ressouder la nation autour d’un discours belliciste qui, à vrai dire, ne rassure plus grand monde.

Car d’abord, à qui fait-on la guerre ? Daech n’est pas un Etat mais une organisation terroriste globale qui fonctionne par embrigadement à un niveau planétaire, diffusant ses vidéos de propagande par Internet. Comme l’a très justement analysé le philosophe et sociologue Raphaël Liogier, auteur du « Mythe de l’Islamisation », le jihadisme n’est lié que de façon très périphérique à ces nouveaux mouvements fondamentalistes tels que le salafisme qui obsèdent la société française. Aussi intégristes soient ces visions de l’Islam pour un esprit émancipé, elles ne doivent pas nous détourner du cœur du problème : pour Daech, l’Islam n’est qu’un vernis qui cache avant tout une organisation politique qui a investi le marché de la terreur. Une terreur qu’ils diffusent à coups de vidéos savamment mises en scène, violentes et stylisées sur Internet, pour mieux recruter sur le terreau fertile d’une France des laissés-pour-compte, celle qui subit la discrimination et le chômage de longue durée. A l’heure où le gouvernement se focalise sur les mosquées radicalisées, il laisse de côté ces jeunes en processus de désocialisation, parfois illettrés, qui ont cultivé une haine de la société et dont les éléments les plus mentalement fragiles peuvent basculer en quelques mois de la petite délinquance au jihadisme sans même passer par la case Islam, au nez et à la barbe des services de renseignement. Lire l’histoire des frères Kouachi ou celle de Hasna Aït Boulhacen permet d’appréhender concrètement ce nouveau processus de radicalisation, qu’il s’agit aujourd’hui non seulement de penser mais surtout de contrer.

Face aux périls de notre temps – dont le jihadisme constitue la forme la plus avancée, la plus sanglante et la plus barbare – il est temps, comme l’affirme remarquablement Christian Salmon de « changer d’imaginaire » (http://www.mediapart.fr/journal/france/221115/apres-les-attentats-changer-d-imaginaire).  A la révolution nihiliste et apocalyptique vendue par Daech, il s’agit de proposer une toute autre vision révolutionnaire, émancipatrice et universaliste.  Nous ne ferons pas l’économie d’une remise en cause radicale de ce capitalisme néo-libéral violent, perpétuant et intensifiant des inégalités criantes et des processus de domination d’un autre temps, et faisant de la frustration l’arme la plus dangereuse des déclassés pour faire exploser notre société et la livrer à des factions barbares. On a certes bien le droit de défiler en se disant Charlie et ultra-courageux, en défendant notre mode de vie comme un étendard. Mais au delà des leçons de morale que l’on assène constamment aux autres, il faudra bien un jour avoir la volonté de refaire, au sens le plus noble du terme, de la politique pour que la Cité redevienne un lieu de vie pour tous.

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