Monsieur le Président,
Je m’adresse directement à vous en tant que simple citoyenne, une citoyenne ordinaire de 50 ans, pas une « première de cordée » d’après ce qui pourrait être vos critères, mais une citoyenne suffisamment instruite pour avoir appris à penser correctement par elle-même et exercer son libre-arbitre.
Si je me permets de m’adresser aussi directement et aussi longuement à vous, de façon si peu commune j’en conviens, c’est que vous n’êtes pas un président commun, c’est le moins que l’on puisse dire.
Je suis une femme donc, qui suit l’actualité de son pays et se sent concernée par les questions politiques, comme beaucoup d’autres. Personnellement, je suis l’actualité de loin parce qu’elle est décidément trop anxiogène. Mais je la suis de près quand même, parce que la France est un pays que j’aime, tout autant que vous j’imagine. Et puis, je suis aussi une femme avec une sensibilité de gauche ; une femme qui s’est toujours sentie naturellement concernée par le bien-être moral et psychologique de ses contemporains et de tous les peuples en général. Une femme qui se sent toujours touchée par les injustices susceptibles de fragiliser les sociétés humaines et faire souffrir les populations.
Et c’est bien parce que je ressens aujourd’hui beaucoup trop de souffrances et d'injustices dans notre pays, et beaucoup trop de dangers, que j’éprouve le besoin de vous parler ouvertement, de femme à homme, si je peux me permettre de le dire ainsi.
Nous sommes le 23 septembre 2024 et je me pose beaucoup, beaucoup de questions ; des questions importantes de citoyenneté et de société comme vous verrez. Je m’inquiète moi aussi, comme vous, pour mon pays, bien que sûrement pas du même point de vue, ni de la même façon que vous.
Je m’inquiète et j’ai besoin de vous faire part des raisons de cette inquiétude. J’ai besoin de vous en faire part à cœur ouvert, publiquement, afin que vous preniez peut-être la pleine mesure de ce qui peut profondément préoccuper, déranger et finalement blesser une grande partie des françaises et des français de la France d’en bas dont je fais partie.
Je m’interroge en effet à propos de votre déontologie d’homme d’État et à propos des dégâts que votre politique viriliste (oui « viriliste » me semble être le mot le plus approprié) pourrait irrémédiablement causer à la société française. Je m’interroge sur ce que vous avez réellement en tête, et je me permets de vous le dire sans détour : je trouve que c’est finalement l’opacité de vos intentions pour la France, tout comme l’inintelligibilité de votre entêtement et de vos projets qui sont les plus problématiques dans la façon avec laquelle vous dirigez notre pays depuis 2017.
Début septembre, vous avez fini par nommer, sous l’œil attentif du RN, Michel Barnier du parti Les Républicains, Premier ministre de votre nouveau gouvernement, ne respectant pas en cela le résultat des urnes, le LR disposant seulement de 8% des députés à l’Assemblée, contrairement au NFP qui dispose de 32% de députés comme majorité relative. Et depuis deux jours, après un nouveau et long suspens, cela est désormais acté : le nouveau gouvernement fraîchement nommé par Monsieur Barnier, sous votre œil attentif en coulisses cette fois, est un gouvernement très majoritairement et très franchement de droite, votre parti étant le plus représenté suivi du LR et du MoDem (1).
Et nul doute, au vu des premières réactions de votre Premier ministre durant ces 15 derniers jours à propos de l'état des finances publiques, que la feuille de route qui lui a été donnée soit celle de mener à bien _et bien que le Premier ministre revendique son indépendance_ les principaux projets qui étaient les vôtres avant la dissolution.
Et donc, pourquoi avoir fait si peu de cas du message pourtant clair de contestation de votre politique, envoyé par les françaises et les français à votre intention depuis les européennes, alors pourtant que vous avez pris vous-même tout seul ce risque de convoquer des élections législatives anticipées ?
Alors évidemment, il est facile de voir dans la composition très calculée de ce gouvernement votre volonté de pouvoir continuer à faire entériner la nature économique et comptable de vos projets pour la France, « coûte que coûte », et malgré la volonté grandissante de votre peuple à vouloir une alternance.
Néanmoins, pourquoi prenez-vous le risque de vous désavouer de façon si grossière et si manifeste aux yeux du monde entier, dans la mesure où vous aviez pris la peine et le temps de nous écrire, dans une lettre aux Français le 23 juin, que « [nous] demander de choisir, [nous] faire confiance, n’est-ce pas là le sens même de la démocratie et de notre République ? »
Pourquoi aussi, durant toute la brève campagne de ces législatives, les partisans de votre camp et de la droite ont-ils fustigé à ce point le programme du Nouveau Front Populaire, le qualifiant tour à tour de « dangereux » ou de « catastrophe » pour notre pays ? (2)
Mais quel danger exactement représenterait ce programme pour la France, à vos yeux ? Hormis le fait qu’il aurait évidemment remis à plat et contrarié votre politique depuis 2017 comme vous avez fini par l’admettre… Mais sinon, comment, en quoi, et de quelle façon aurait-il été si catastrophique, dans le fond, pour notre pays ? Pouvez-vous nous éclairer ?
En quoi ce programme, en dehors du fait qu’il soit de gauche (mais justement aussi peut-être à cause de cela) vous fait-il si peur, au point de nier cette fois-ci, de la plus offensante des façons, vos obligations morales envers notre démocratie et envers nous, votre peuple ?
Pourquoi autant de parti pris et de mépris alors même que 300 économistes, dont des spécialistes de renom, ont pourtant défendu la viabilité économique de ce programme de rupture, ce qui laisse déjà la possibilité de légitimement débattre de sa viabilité pour le futur de notre pays et plus largement pour son avenir au sein de l’Europe ? (3)
Pourquoi également autant de ferveur à vouloir diaboliser LFI quitte à sympathiser dangereusement avec le RN à chaque fois que cela va dans le sens de vos intérêts ? (4)
Pourquoi, après l’avoir qualifiée injustement et incorrectement de parti d’extrême gauche durant toute la campagne des européennes et ensuite des législatives, semblez-vous partager ce point de vue que LFI serait, elle aussi, « sans doute le plus grand danger politique pour notre pays » ? (5)
Le Conseil d’État a pourtant, le 11 mars 2024, bel et bien rangé LFI du côté des partis de gauche respectant la tradition républicaine, à la différence du RN qu’il qualifie toujours, après examen, de parti d’extrême droite.
Pourquoi donc laisser assener des contrevérités sans prendre la peine de les argumenter et sans prendre la peine non plus de justifier réellement aux françaises et aux français le bien-fondé de votre entêtement ?
Pourquoi autant de malhonnêteté intellectuelle et de mauvaise foi de la part de votre camp et pourquoi autant d’opacité à vouloir garder pour vous les raisons véritables de toute cette diabolisation (par ailleurs terriblement risquée puisqu’elle s’accompagne d’une dédiabolisation toujours plus grande du RN) ?
Dans la même veine, pourquoi autant d’acharnement à vouloir aller jusqu’au bout de votre politique brutale de réduction des dépenses publiques et de la dette (et donc de votre politique d’austérité budgétaire et de paupérisation des plus précaires), alors que tout indique que cette obsession autour de la dette comporte de nombreux partis pris et biais idéologiques ? Car oui, la question de la dette publique pourrait, en réalité, être largement débattue et différemment abordée au sein de notre pays, mais aussi au sein de l’Europe. Alors pourquoi ne la présenter aux françaises et aux français que sous l’angle de la catastrophe ? (6)
On vous dit intelligent Monsieur le Président, alors j’en appelle à votre intelligence d’être humain et d’homme. POURQUOI autant de mystère, d’opacité et d’entêtement outranciers ? Êtes-vous bien sûr de mettre votre intelligence et votre cœur au service du peuple français et pouvez-vous nous en apporter la garantie ?
Je me permets de vous rappeler que vous n’avez été élu que par l’avantage qu’ont consenti à vous donner les électrices et les électeurs pour faire barrage au RN mais que, dans les pourcentages exprimés à l’issue de vos deux premiers tours aux présidentielles de 2017 et 2022, votre projet, plutôt équivoque et affiché comme étant « ni de droite ni de gauche », a été loin de remporter une adhésion solide. (7)
Je vous rappelle aussi (mais vous le savez très bien) que, en France, il est d’usage de nommer un Premier ministre dont le parti reflète les idées du groupement politique arrivé en tête aux législatives. Et non pas de désigner un Premier ministre issu d’un parti minoritaire, validé par l’extrême droite, et aux valeurs historiquement opposées au groupe sorti en tête.
Alors par quelles chaînes puissantes et obstinées vous sentez-vous donc tenu ? A qui donnez-vous donc aussi fougueusement votre loyauté et votre fidélité (en dehors de votre femme j’entends) au point de nous trahir ? A qui, à quoi exactement êtes-vous lié, au point de mettre autant à mal notre démocratie et la stabilité de notre pays, tout en voulant nous faire croire le contraire ?
En quoi devrions-nous vous croire quand vous vous comportez depuis 2017 comme si vous étiez investi d’une mission divine (celle d’être le grand sauveur envers et contre tout du destin de notre pays) alors que vous ne prenez à aucun moment la peine de nous expliquer clairement en quoi consiste cette mission ? Ni en quoi consistent votre vision des choses et vos intentions en marche forcée pour la France ?
Pourquoi devrions-nous vous faire confiance alors que votre façon de gouverner en solo ne cesse depuis sept ans de mettre le pays dans la rue et d’interroger les journalistes politiques du monde entier ? (8)
Vous auriez en tête de sauver notre pays de quoi EXACTEMENT ? De qui ? De quelle façon et pour quels objectifs précisément ? Et dans ce cas, pouvez-vous nous dire dans quelle direction avez-vous en tête de nous emmener ? Vers quel futur ?
On vous dit intelligent, mais on vous surnomme aussi « Jupiter », le « monarque », « l’autocrate », le « président des (très) riches », « l’ami des grands patrons ». On dit aussi de vous que vous êtes solitaire et que vous n’hésitez pas à vous comporter en traître quand vous le jugez nécessaire (9).
Et on ne peut finalement qu’apprécier à leur juste valeur tous ces qualificatifs même si l’on souhaiterait tellement l’inverse de votre part.
Parce que si l’on vous dit intelligent, vous, de votre côté, vous semblez en revanche complètement sous-estimer l’intelligence du peuple français tout comme sa capacité à l’utiliser avec sagacité pour entrer en résistance quand il le faut.
Juste après les législatives anticipées, le 25 juillet, vous avez préféré rencontrer en privé et en primeur une quarantaine de grands patrons français et étrangers, avant même de recevoir les membres du NFP et alors que vous aviez prétexté les JO pour suspendre durant l’été la nomination du nouveau Premier ministre. (10) (11)
Alors, certes, on imagine bien que de votre place d’en haut, vos importantes fonctions vous obligent à composer avec de nombreuses forces en présence, y compris les forces économiques et financières utiles à notre pays. Néanmoins, comment, de notre point de vue de citoyennes et de citoyens d’en bas, ne pas voir dans cette rencontre privilégiée un énième symbole aussi irrespectueux qu’autocratique ? Comment ne pas y voir encore le signe d’un mépris du fonctionnement de notre démocratie mais, aussi et encore, un des signes les plus évidents que vous prenez un soin particulier à ne pas tout nous dire des véritables priorités politiques que vous pouvez avoir en tête depuis le début ?
Parce que, qu’est-ce qui peut justifier, d’un point de vue démocratique, au moment où les résultats d’élections législatives (voulues par vous) vous obligent à renommer un Premier ministre (en accord donc avec la nouvelle cartographie politique de l’Assemblée), que vous privilégiez en premier réflexe une rencontre et des discussions privées avec le grand patronat français et étranger ?
Est-ce que c’est NORMAL que ce soit au grand patronat que vous vous sentiez en premier lieu obligé de rendre des comptes pour diriger notre pays ? Pour faire QUOI ? Pour lui expliquer vos choix, le rassurer ? « Pauvre chou », a-t-on envie de dire… Et est-ce que c’est normal que tout cela soit fait de façon décomplexée mais, surtout, sans faire part au peuple français, à aucun moment, de la teneur exacte de vos échanges avec lui ni des projets que vous partagez ensemble pour notre pays ? Est-ce que vous ne croyez pas que cela donne à penser à votre peuple que, à bien des égards, vous privilégiez une façon de gouverner oligarchique et ploutocratique à un mode de fonctionnement démocratique ? (12)
Alors, vous en conviendrez, comme beaucoup de françaises et de français, je ne peux que me poser beaucoup de questions.
Est-ce que vous seriez à la solde des grands patrons, c’est cela ? Est-ce que vous vous sentez leur obligé parce qu’ils ont financé votre campagne de 2016 ? Ils vous auraient promis d’importants avantages personnels une fois que vous ne serez plus président, c’est cela ? Ce serait pitoyable, grotesque et indigne d’un homme d’État de votre stature, n’est-ce pas ? Mais on se pose légitimement la question à force… Parce qu’avec vos façons de procéder et dans un contexte où la délinquance en col blanc est de plus en plus criante dans notre pays, il y a quand même, de notre point de vue d’en bas, de quoi devenir sérieusement partisan de certaines théories du complot, ne trouvez-vous pas ?
Ou alors (cela paraîtrait plus plausible), est-ce que les grands patrons tiennent idéologiquement votre esprit et votre cœur ? Ils vous tiennent par un de leurs coutumiers chantages à l’emploi ? Ou par un dangereux chantage à la dette et aux notations de la France sur les marchés financiers ? Par le fait qu’ils ont réussi à vous convaincre qu’une politique de l’offre est définitivement plus efficace qu’une politique de la demande si l’on veut éviter à la France de se retrouver mise à mal au sein de l’Europe à cause de sa dette ou encore à cause d’une fuite massive de leurs capitaux, c’est cela ? (13) Ou alors, plus prosaïquement, vous avez une foi commune et illimitée dans les bienfaits du néolibéralisme économique et, vous et vos copains, souhaitez enfin le voir librement appliquer dans sa version française et ruisseler (mais ce ruissellement reste à prouver) au pays des gaulois ?
Quitte à rejouer avec cynisme et fracas le scénario d’accointance stratégique et d’intérêts mutuels entre le grand capital et les extrêmes de droite qui a laissé le fascisme arriver au pouvoir en Europe dans les années 1930 ? (14)
Mais dans ce cas-là, faites-en part ouvertement aux françaises et aux français ! Jouez franc jeu avec nous et ne nous laissez pas dans cette obscurité !
Faites-nous savoir clairement, explicitement, publiquement ce qui, d’après vous, menacerait terriblement NOTRE PAYS d’un point de vue économique s’il adoptait le programme économique et social du NFP ! Et dites-nous ce qui menacerait notre pays, d’après vous, tant au niveau national, européen, qu’international, dans un tel programme ! Et expliquez-nous aussi ce que, a contrario, vous avez l’air d’avoir farouchement et personnellement en tête comme projet d’avenir avec les grands patrons pour soi-disant le sauver !
Parce qu’au vu de la violence de nombreux de vos comportements pour faire passer vos choix politiques depuis 2017, tout nous donne à penser, à nous peuple français, que vous entretenez surtout une connivence de classe avec le grand capital et que derrière votre politique, c’est lui qui tire officieusement les ficelles. Oui, TOUT nous donne à penser, de notre point de vue d’en bas, que vous partagez avec lui des intérêts privés ou idéologiques qui nous échappent et dont vous souhaitez nous tenir éloignés. Tout nous indique que vous vous sentez engagé par des convictions personnelles profondes, même si cela doit se faire au dépend des valeurs de notre pays et de la volonté qui vous a maintenant été exprimée dans les urnes… Et TOUT nous montre aussi que vous préférez taire ces convictions, que vous n’avez pas envie d’avoir à les assumer ni à les justifier officiellement devant nous, quitte à passer en force sans permettre aucun débat de fond, ni choix démocratique. (15)
Parce que nous, citoyennes et citoyens ordinaires, françaises et français de la France d’en bas, au cas où vous ne l’auriez pas encore clairement bien compris… le principal danger, le danger ABSOLUMENT majeur que nous évaluons aujourd’hui, à notre échelle et à notre niveau, c’est la menace que fait peser le dérèglement climatique sur l’équilibre de NOTRE VIE à toutes et à tous sur terre. Or, en la matière, on ne peut pas dire que le grand patronat et ses cabinets de lobbying, tout comme le monde de la finance et du libre-échange économique auquel vous appartenez, soient actuellement d’une quelconque bienfaisance ni d’une quelconque réelle bonne volonté face à ce danger. (16). Ou alors justement, cela serait judicieux de votre part de nous démontrer leurs bonnes intentions et l’intelligence de leurs vues, si toutefois elles existent, et si vous disposez d’informations nouvelles à ce sujet au vu des liens intimes que vous entretenez avec eux.
Et le deuxième danger qui nous fait TERRIBLEMENT peur, mais qui, pour vous, semble manifestement accessoire ou utile selon ce qui vous arrange, c’est la montée des extrêmes droites dans le monde et en Europe et, maintenant, plus que jamais, aux portes de notre pays.
Parce que, au sein du peuple français et dans la tradition des Lumières qui lui est chère, je me permets de vous rappeler qu’il n’y a pas que les économistes libéraux et les grands patrons à même d’éclairer les choix des hommes politiques. Il y a aussi des historiennes et des historiens respectés, des philosophes et des spécialistes réputés de science morale et politique qui œuvrent au quotidien à prendre du recul. Il y a des universitaires et des sociologues qui étudient les erreurs du passé et qui savent, eux, en quoi un libéralisme économique débridé, dans ce qu’il a de plus « violent » pour les populations, a toujours fait le lit des partis d’extrême droite en Europe.
Il me semble que vous devriez vous intéresser plus sérieusement à ces sujets… ou alors, peut-être vous croyez-vous plus fort que l’Histoire ? Ou pire, peut-être que, très cyniquement, vous vous fichez tout simplement comme de votre première chemise de l’éventuelle arrivée au pouvoir de l’extrême droite dans notre pays ? De votre point de vue d’en haut, tant pis si sa dédiabolisation s’avère un dégât collatéral suite à vos deux quinquennats, du moment que vous aurez pu mener à bien votre mission divine ? Ou bien, stratégiquement et très sordidement, vous misez peut-être sur le sursaut républicain des électrices et des électeurs pour faire de nouveau barrage au RN au second tour à chacune des prochaines élections présidentielles ?
Alors, pour toutes ces raisons, et au nom de toutes ces questions, très importantes vous en conviendrez, je me permets de vous le demander très ouvertement et avec toute la ferveur dont je peux être capable moi aussi : Monsieur le Président, si vous avez quelque chose à dire aux françaises et aux français d’en bas, dites-le.
Comportez-vous sincèrement, loyalement et dignement avec nous, comme on est en droit d’attendre d’un président de la République française et non pas comme un président de république bananière. Comportez-vous à la hauteur de ce que signifie être un président au pays des Lumières, des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Ayez le courage de vos idées, arrêtez de nous traiter comme un vulgaire bétail à manœuvrer, à mater et à soumettre « quoi qu’il en coûte », tout cela en usant et abusant des « en même temps », mais aussi des outils spéciaux mis à votre disposition dans notre Constitution et par le biais de notre Vème République.
Donnez-nous les moyens de décider de notre destin en connaissance de cause. Éclairez-nous, une bonne fois pour toute, sans langue de bois et sans sophisme crapuleux, sur ce que vous avez en tête et laissez-nous juger par nous-mêmes, en toute transparence, des dangers que nous souhaitons faire prendre ou pas à notre pays.
Arrêtez de surfer dangereusement avec l’extrême droite et donnez-nous les moyens de débattre véritablement des sujets de fond, pour savoir si votre vision et celle de vos copains-les-grands-patrons nous convient ou si l’on souhaite y opposer une alternative.
Arrêtez de vous entêter à vouloir nous diriger par la force, le mépris et l’opacité.
Et surtout, acceptez que notre volonté de peuple puisse diverger de votre volonté personnelle.
Je vous prie d'agréer, monsieur le Président, l’assurance de tout mon respect et de toute mon attention.
Sykita
Notes, sources non exhaustives
(1) Sur 39 ministres nommés, 18 sont affiliés à votre parti Renaissance et 10 affiliés au LR, soit une proportion de 72% consacrée à ces deux partis, désormais tacitement alliés maintenant que vous avez décidé, en coulisses, de cette nouvelle stratégie. La composition des 17 ministres de plein exercice est la suivante : 8 Renaissance dont 4 se sont vus confier les ministères les plus clairement stratégiques pour assurer la continuité de votre politique (ministère de l’Économie, des Finances, et de l’Industrie / ministère de la Fonction publique, de sa simplification et transformation / ministère chargé du Budget et des Comptes publics / ministère du Travail et de l’Emploi) ; 3 LR dont l’Intérieur ; 2 MoDem ; 1 divers droite ; 1 Horizons ; 1 divers gauche ; 1 LIOT.
(2) A propos du programme du NFP, je cite Ellen Salvi dans l’article de Mediapart du 27 aout 2024 « Emmanuel Macron met en échec la démocratie » : le programme du NFP « est « dangereux », selon le patron du MoDem, François Bayrou. « Très dangereux » même, pour le ministre démissionnaire Guillaume Kasbarian. Il « provoquerait une crise », estime Laurent Marcangeli, du parti Horizons. Ce « serait une triple catastrophe pour le pays : économique, fiscale, sécuritaire », complète le député Ensemble pour la République (EPR), Mathieu Lefèvre ».
(3) « Les orientations économiques du Nouveau Front populaire répondent aux défis de notre époque », tribune signée le 25 juin 2024 par un collectif de 300 économistes pour soutenir l’analyse du prix Nobel franco-américain Esther Duflo, pour qui le programme du NFP paraissait tout à fait crédible et ne risquait pas de mettre en péril la stabilité de la France. De la même manière, des dizaines d’économistes avaient déjà soutenu le programme économique et social de la NUPES au moment des législatives de 2022, dont Thomas Piketty, Julia Cagé ou Bernard Friot.
(4) Alors qu’à l’inverse, il semble que les élaborations économiques au cœur du récent programme du RN soient, quant à elles, aux yeux des économistes, irréalistes et dangereuses pour le pays. Voir à ce propos « Les contradictions du programme économique du RN », Fondation Jean Jaurès, 30 mai 2024. Mais il est vrai que vous n’êtes pas vous-même à une contradiction près.
(5) Déclaration du nouveau président du groupe LR à l'Assemblée, le 24 aout 2024.
(6) Je ne suis pas une économiste ni une spécialiste de ces épineuses questions techniques, vous vous en doutez bien. Mais je regrette que ces questions primordiales pour notre pays ne soient pas abordées et communiquées au grand public avec plus de finesse, de pédagogie et d’ouverture d’esprit. De fait, la dette et les dépenses publiques sont agitées par votre camp, par la droite et les médias dominants de droite et d’extrême droite, comme un énorme épouvantail alors qu’en réalité, il est tout à fait possible, intellectuellement et économiquement parlant, de s’appuyer sur des outils méthodologiques sérieux et des questionnements historiques plus fins pour nuancer leur gravité réelle et établir des choix politiques différents, y compris au niveau européen. Le journaliste économique Romaric Godin par exemple (mais je doute que cette référence soit à votre goût) a commencé ce minutieux travail de vulgarisation scientifique, publié sur Mediapart : « Pourquoi il n’y a pas d’urgence à réduire la dette publique française ? », 02 février 2018. Les travaux du chercheur Jean-Yves Grenier nuancent et éclairent également les nombreux partis pris historiques et idéologiques autour de la dette. Et une génération de jeunes économistes s’attèle désormais à analyser les préjugés existant autour de ce concept : « Misère du concept de dette publique » par Baptiste Bridonneau, 2021, CNRS/Université Paris Nanterre.
(7) Vous avez recueilli 24% des suffrages au 1er tour de 2017 et tout juste 28% au 1er tour de 2022.
(8) Quand ce n’est pas l’ONU elle-même qui s’interroge et qui vous confronte face aux violentes stratégies de répression policière menées à l’encontre du mouvement des Gilets jaunes durant l’hiver 2018-2019. L’Organisation, Amnesty International, le Parlement européen et Human Rights Watch ont en effet dénoncé un « usage excessif de la force » contre des manifestants pacifiques, un usage inapproprié « d’armes de guerre » par les forces de l’Ordre et des fouilles et des arrestations abusives… ce à quoi vous avez répondu par un refus de considérer leurs inquiétudes tout comme vous avez également refusé de considérer les inquiétudes des Gilets jaunes en matière d’injustice sociale, fiscale et climatique.
(9) DAVET Gérard et LHOMME Fabrice, journalistes au Monde, « Le traître et le néant », Hachette Pluriel Référence, 2022.
(10) « A l'Élysée, Macron veut rassurer les PDG des multinationales sur l'instabilité politique », La Tribune, 25 juillet 2024. Ou encore : « N’écoutant que lui-même, Macron poursuit sa politique pro-riches », par Mathias Thépot, 30 juillet 2024, Mediapart. Selon le journal, vous avez profité de ce rendez-vous pour leur « expliquer les choix qui ont été les [vôtres], avec notamment la dissolution » de l’Assemblée nationale, tout en les « invitant à continuer à investir dans notre pays », les rassurant sur le fait que vous aviez « l’attractivité chevillée au corps », et que cet élément serait « non négociable » lors des débats parlementaires à venir. A l’inverse, vous avez attendu le 23 août seulement, après les JO, pour enfin rencontrer, comme il se devait pourtant, les représentants du Nouveau Front Populaire, nouvelle majorité relative à l’Assemblée.
(11) Y avait-il d’ailleurs « une femme grande patronne » présente lors de votre rencontre ? La liste complète de vos visiteurs a été tenue secrète par l’Élysée mais la réponse est évidemment négative. C’est un autre sujet mais il mériterait tout autant d’être débattu au sein de notre société.
(12) Un rapide bilan de votre politique du « en-même-temps » depuis 2017 laisse en effet songeuse, tant les grands patrons y sont ménagés sans jamais être contrôlés ni véritablement assujettis à leurs devoirs d’intérêt général : une suppression de l’ISF dont l’intérêt en termes de ruissellement demande encore à être prouvé (« Le coût colossal de la suppression de l’ISF pour les dépenses publiques », Jean-Victor Semeraro, 17 octobre 2023, Capital); une augmentation toujours sensible du taux de pauvreté depuis les années 2000 (« L’essentiel des données sur la pauvreté en France », 6 décembre 2022, Observatoire des inégalités); des aides ponctuelles pour les plus démunis c’est vrai (notamment depuis la crise du COVID et la crise énergétique) mais pas de politique de fond sur le pouvoir d’achat en dehors de la suppression de la taxe d’habitation ; une crise et une dégradation toujours plus fortes des services publics à cause d’une politique drastique de baisse des dépenses qui ne s’accompagne pas d’une vision ni d’une application viables (« Rapport sur l’état des services publics », Collectif Nos services publics, 2023) ; des inégalités de revenus entre les plus pauvres et les plus riches qui ne cessent de ré-augmenter depuis la fin des années 90 (« Les inégalités de revenus remontent », par l’Observatoire des inégalités, 17 juillet 2024)…
… et de l’autre côté :
- la mise en place dès 2017 de la « flat tax », « cadeau fiscal » fait aux plus riches d’après certains économistes et qui a, dans les faits, très peu donné de résultats en termes de retour sur investissement (« "Cadeau aux riches" : ce que change la "flat tax" adoptée par les députés sur les placements et l'épargne », Le Nouvel Obs, 20 octobre 2017 / « La “flat tax” est une bombe à retardement pour les finances publiques », par Gabriel Zucman, Professeur d’économie, pour Le Monde, 25 octobre 2017 / « Fin de l'ISF, "flat tax", impôt sur les sociétés : France Stratégie fait un dernier bilan », 17 octobre 2023, Challenges) ;
- parallèlement, des bénéfices records du CAC 40 durant trois années consécutives depuis 2021 et, de façon générale, des dividendes versés aux actionnaires toujours plus importants depuis les années 2000 alors que les masses salariales, quant à elles, baissent toujours plus sensiblement (« Comment le CAC40 a changé en vingt ans », publié le 12 novembre 2020, par Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales) ;
- un impôt mondial sur les multinationales que vous vouliez à 12,5% alors que les États-Unis plébiscitaient 21% et qui sera finalement ramené à 15% à l’issue du vote par les pays de l’OCDE et du G20 et, pour lequel on se demande ce qu’il changera réellement pour les caisses de l’État français, en plus du fait que le texte a été vidé de sa substance et que, par ailleurs, l’Observatoire fiscal de l’UE le juge déjà insuffisant compte tenu des divers dispositifs de crédit d’impôt et d’avantages fiscaux dont bénéficient les entreprises (« Qu’est-ce que l’impôt mondial sur les multinationales ? » Par Vincent Lequeux, le 01 février 2024, Toute l’Europe/ « Impôt mondial : un projet mort-né », par Martine Orange, 13 mars 2024, Mediapart / « Rapport de 2024 sur l'évasion fiscale mondiale » publié par l’Observatoire fiscal de l’UE) ;
- un positionnement ambiguë et trop tardif en 2022 concernant la taxation des super profits des Majors pétrolières et, un impôt finalement sommairement ficelé, qui leur a surtout permis d’échapper à leur devoir citoyen grâce au crédit d’impôt existant dans le droit fiscal français, leur donnant la possibilité de reporter les pertes des années précédentes tout en jouant sur la nature des activités déclarées (« Superprofits du CAC40 : pourquoi le débat sur leur taxation est légitime » par Olivier Petitjean, Basta ! Observatoire des multinationales, 11 octobre 2022/ « L’impôt sur les superprofits en quête de recettes (1&2) », par Laurent Bach, Professeur de finance à l’ESSEC, Institut des Politiques Publiques, 30 mai 2024 / « Taxer les « super-riches » : pourquoi et comment le faire ? » Note du Groupe Saint-Lazare et de l’économiste Bruno Palier, 28 juin 2024, Terra Nova) ;
- une taxe en vue sur les rachats d’action par les grandes entreprises mais qui pourrait tout aussi bien ne servir à rien si elle est de nouveau maladroitement construite et qui, de surcroît, arriverait un peu tard (« Comment taxer le rachat d’actions ? », par Ophélie Gath de l’Observatoire de la justice fiscale, part.1 et par Natalia Pouzyreff Députée Renaissance des Yvelines, part.2, L’Humanité, mai 2024) ;
- et pour clore le tout, l’adoption en juillet 2018 de la loi sur le secret des affaires, loi chapeautée par les multinationales elles-mêmes et suffisamment ambiguë dans sa philosophie pour leur permettre de l’utiliser à leur avantage face à la liberté de la presse et face aux lanceurs d’alerte (« la loi sur le secret des affaires, une menace pour la liberté d’expression ? » Par William Bourdon, avocat au Barreau de Paris, Légipresse Hors-série, 2019)
(13) « Politique de l’offre : ça ne marche pas, mais Macron ne change pas de logiciel », billet de Jean-Christophe Féraud, Libération, 18 mai 2024
(14) De nombreuses voix s’élèvent pour établir un rapprochement entre la montée du fascisme en Europe dans les années 1930 et la montée des extrêmes droites depuis une vingtaine d’années. Il est désormais établi le rôle central joué par les super puissances financières de l’époque dans cette arrivée au pouvoir ; ce rapprochement peut aussi être fait avec le climat économique actuel en France et en Europe. Tant du point de vue de l’anxiété ressentie par les populations dans le contexte de difficultés sociales engendrées par la crise de 1929 (sur fond, comme aujourd’hui, de sentiment d’injustice et de xénophobie face à l’accroissement des inégalités économiques), que du point de vue du rôle d’influenceur politique qu’a délibérément joué le grand patronat dans ces années-là, parce que leurs intérêts financiers immédiats les conduisaient à préférer l’extrême droite par peur viscérale du communisme d'état (« La crise de 1929 a porté Hitler au pouvoir », par Lionel Richard, Le Monde Diplomatique / Manuel d’histoire critique, 2014 et « Le néo-libéralisme, responsable de la montée de l'extrême droite ? », par Michel Santi, économiste, La Tribune, 30 mars 2024)
(15) Un nombre record de 49.3 a été utilisé par mois depuis votre arrivée au pouvoir, d’après le bilan du Monde (« Avec vingt-trois recours en dix-huit mois, le gouvernement Borne banalise l’article 49.3 », par Pierre Breteau, 21 décembre 2023) ; un usage « limite » de la loi a pu être fait pour réprimer les manifestants, et qui a été soulevé par Amnesty International dans son dossier « France : ces lois qui entravent le droit de manifester » ; et aujourd’hui vous nous imposez un déni de démocratie en refusant d’accepter le choix exprimé aux législatives par les françaises et les français.
(16) A ce propos, le tout récent dossier de Socialalter (« Fric fossile : Qui finance la fin du monde ? », n°65, août-septembre 2024) complète la liste déjà longue (établie par les associations de défense de l’environnement et les médias écologistes indépendants) des situations économiques, politiques et géographiques où les grandes entreprises du monde entier privilégient, avec un égoïsme et un cynisme à peine voilés, leurs intérêts d’accumulation capitalistique au dépend de l’équilibre des écosystèmes, des ressources, du climat et de la dignité de vie des populations sur terre.