**Alors que des mouvements populaires contre l’austérité se développent en Espagne, au Portugal, en Angleterre et en Allemagne, en plus de la Grèce, la mobilisation - contre le traité européen, pour un référendum, pour une autre politique économique… - vient de franchir un cap en France.**
Succès de la manifestation nationale du 30 septembre, débat contradictoire émergent à gauche, fébrilité du côté des partisans du traité négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy… en France, un tournant par rapport à l’apathie habituelle des lendemains d’élections a peut-être été engagé ces derniers jours. Certes, l’adoption du texte, prévue le 9 octobre, ne fait aucun doute si le gouvernement va au bout du choix présidentiel de la voie parlementaire, mais la contestation multiforme et de plus en plus nette des grands choix économiques du tandem Hollande - Eyrault se développe.
Côté parlementaire, le seul suspens concerne l’existence ou non d’une majorité absolue de voix de gauche pour adopter le traité : si elle n’existe pas, le texte sera adopté grâce aux voix de l’UMP. En attendant, si le Premier ministre a calmé le jeu lors de son discours à l’Assemblée nationale, mardi 2 octobre, affirmant « comprendre ses amis » socialistes critiques, plusieurs quotidiens n’en révèlent pas moins que se profilent des orientations inspirées directement des programmes politiques de la droite, tout particulièrement en matière de baisse des charges patronales (pour provoquer un « choc de compétitivité »).
Les journaux ont mis l’accent ces derniers temps sur les points de vue d’économistes qui s’interrogent sur le remède de cheval promis à l’occasion de la préparation du budget 2013 de l’État : coupe de 10 milliards dans les dépenses publiques, effort fiscal de 20 milliards, soi-disant équilibré… Un appel de 120 économistes(1) publié dans Le Monde vient d’ailleurs de souligner : « En limitant plus que jamais la capacité des pays à relancer leurs économies et en leur imposant l'équilibre des comptes publics, ce traité est porteur d'une logique récessive qui aggravera mécaniquement les déséquilibres actuels. »
Mais l’autre fait nouveau, c’est qu’avec 80 000 manifestants sur le pavé parisien le 30 septembre, la mobilisation a changé d’échelle, en France aussi. Quatre mois seulement après les élections législatives, la très grande variété des militants associatifs, syndicaux et politiques présents, bien au-delà des composantes du Front de gauche (65 organisations ayant signé l’appel à la manifestation), a commencé à exprimer l’exigence d’une politique alternative.
On retrouve cette diversité, avec la ferme conviction qu’il va falloir ramer fort, longtemps et ensemble, dans une multitude de textes et de prises de position.
Cerises propose ici un aperçu, nécessairement partiel, de prises de positions syndicales et politiques, en particulier des points de vue issus d’EELV et du Parti socialiste, qui s’expriment malgré les pressions de l’exécutif.
Paris 30 septembre 2012
Lettre ouverte à François Hollande
A l’initiative d’Attac et de la Fondation Copernic, une lettre de responsables associatifs, syndicaux et politiques et des chercheurs : "Non au Pacte budgétaire, pas d’Europe sans citoyens !" (17 000 signatures) :
(…) Ce traité durcit et rendrait irréversibles les politiques d'austérité en Europe en interdisant définitivement tout déficit "structurel" supérieur à 0,5%. Le déficit "structurel", notion incompréhensible des citoyens et fort controversée parmi les économistes, sera évalué de façon arbitraire par les experts de la Commission. Le Pacte budgétaire prévoit des sanctions automatiques contre les pays contrevenants, coupant court à tout débat.
L'aide aux pays en difficulté, prévue par le Mécanisme européen de stabilité, sera conditionnée par l'application de plans d'austérité, de privatisation et de libéralisation. Les marchés financiers et les banques, activement soutenus par la BCE, continueront à imposer leur loi aux gouvernements. S’enfonçant dans la dépression et le déni de démocratie, l’Europe deviendra synonyme de chômage et de misère pour le plus grand nombre. L'extrême droite continuera à se renforcer jusqu'à imposer ses thèses autoritaires et xénophobes sur les débris de l'Union européenne.
Pour éviter cela vous souhaitez « ajouter un volet sur la croissance » au Pacte budgétaire. La croissance ? Nous ne voulons plus de cette croissance prédatrice et inégalitaire portée par le néolibéralisme. Des appréciations différentes existent parmi nous sur la possibilité et la désirabilité d’une croissance verte. Mais en tout état de cause les mesures d’austérité prises simultanément dans tous les pays ne peuvent qu’aggraver le chômage et bloquer la transition écologique et les dispositions du Pacte de stabilité sont contradictoires avec votre exigence de croissance.
(…) Le Pacte budgétaire empêcherait d'aller dans ce sens et doit donc être rejeté. C’est la condition pour enclencher la nécessaire refondation de l'Europe, qui ne peut provenir que d'un sursaut démocratique des sociétés européennes. C’est pourquoi un débat public s'impose : donner la parole au peuple est un impératif. Des résistances sociales et citoyennes émergent dans de nombreux pays contre les politiques d'austérité. Face à la montée de l'extrême droite, il faut d'urgence, non pas moins, mais plus de participation populaire, plus de démocratie en France et en Europe.
Vous pourrez y contribuer en convoquant un référendum pour mettre en débat ce traité européen, avec ses éventuels compléments, dont le contenu déterminera l'avenir de l'Europe. (…) (2)
Déclaration commune de la CGT, la FSU, Solidaires et l’UNEF
Les organisations CGT, FSU, Solidaires et UNEF réaffirment ensemble leur opposition à la ratification du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance qu’elles jugent économiquement inefficace et socialement injuste.
Si ce Traité devait être ratifié, il institutionnaliserait de fait l’austérité et enfoncerait les États dans une crise durable. Ce Traité pèserait de manière négative sur leurs politiques et leurs programmations budgétaires. Il aurait des conséquences lourdes sur l'emploi, le pouvoir d’achat, les services publics... pour l'ensemble des salariés, des jeunes, des retraités et privés d’emploi, et particulièrement pour les femmes.
Le Traité continuerait et accentuerait la logique des indicateurs absurdes hérités du Pacte de stabilité et de croissance de 1997 (limitation à 3 % du déficit et 60 % de la dette) sans tenir compte des cycles économiques et de la crise actuelle.
L'austérité n'est pas la solution face à la crise. Il faut sortir de la logique de réduction des dépenses publiques et trouver de nouvelles recettes pour des investissements productifs et socialement utiles. L'alternative à ce TSCG repose donc notamment sur la redistribution des richesses et une réforme fiscale d'ampleur.
A l'opposé de ce Traité, l'Europe a besoin d'une nouvelle politique économique et sociale, créatrice d'emplois de qualité et favorisant le pouvoir d'achat. Une Europe fondée sur la démocratie, les solidarités, la justice sociale et le souci de la transition écologique.
Aucun débat démocratique n'a eu lieu avec les citoyens. Les organisations CGT, FSU, Solidaires, UNEF demandent aux parlementaires de ne pas voter ce Traité.
Elles poursuivront la campagne, et notamment celle initiée par le Collectif audit citoyen de la dette, pour alerter et mobiliser sur les dangers de ce Traité et porter d'autres alternatives.
Europe Écologie les Verts (Conseil fédéral)
L’Europe telle qu’elle est menace de tuer l’idée européenne elle-même. Ce qui, il y a encore deux ans, eût paru inconcevable se discute désormais à voix haute. Ainsi de l’hypothèse de sortie de la zone euro, comme si la sortie d’un seul ne signifiait pas le risque, lourd, d’un effondrement monétaire et économique de toute la zone. Les opinions publiques hier favorables à la construction européenne s’en détournent, particulièrement dans les économies les plus prospères de l’Union, caressent l’idée de faire sécession, aspirant à ne « plus payer pour les autres », accusées de profiter en « passagers clandestins » de la solidarité européenne.
Ce n’est pas seulement un ensemble d’institutions qui est fragilisé, mais le coeur même de la construction européenne, ce désir commun des peuples européens à parfaire leur union, qui est touché.
(…) Pour les écologistes donc, qui n’ont pas varié sur ce point depuis l’adoption du texte, le TSCG est, comme seule réponse, un traité inadapté et facteur potentiel d’aggravation des troubles.
Le Conseil fédéral d’EELV :
- se prononce contre la ratification du TSCG, dont une lecture stricte ne répondra pas durablement aux crises auxquelles est aujourd’hui confrontée l’Union européenne et constitue un obstacle à la transition écologique ;
- exprime le voeu que dans la préparation du budget 2013, l’objectif de réduction du déficit budgétaire à 3% soit différé ;
- soutient les mouvements sociaux européens de lutte contre l’austérité, en particulier l’alter Summit et les mobilisations appelées par la confédération européenne des syndicats.
Berlin, 29 septembre 2012
Fédération pour une alternative sociale et écologique (membre du Front de gauche)
Il fallait en finir avec Sarkozy et la droite au pouvoir. Leur défaite a été notre victoire. Mais sans un vaste mouvement populaire nous n’aurons pas de changements profonds. Rien ne serait pire que d’attendre. Posons la question de la démocratie et de la transformation sociale et écologique.
Appels et pétitions
Plusieurs appels ont été publiés ces derniers jours sur le même sujet :
- Appel unitaire de Français de l’étranger contre la ratification du traité d'austérité : http://blogs.mediapart.fr/blog/le-fou-de-bassan/280912/appel-unitaire-des-francais-de-letranger-contre-la-ratification-du
- Appel de féministes : http://cadtm.org/Appel-de-feministes-contre-le
- Appel de militants LGBT : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/02/non-au-traite-budgetaire-europeen_1768787_3232.html
- Appel des militants écologistes : http://www.lepartidegauche.fr/actualites/actualite/tscg-appel-unitaire-militant-e-s-ecologistes-contre-la-ratification-traite-europeen-17045
… ainsi que des pétitions :
- Pétition de l’Humanité pour un référendum sur le traité européen - 18 000 signatures : http://www.humanite.fr/
- Pétition « Non à l’austérité perpétuelle » adressées aux parlementaires français » - 20 500 signataires : http://www.france.attac.org/print/3781
Voir aussi le site unitaire "stop austérité" : http://www.stopausterite.org/?p=392
(1) Le Monde, lien ci-dessous
(2) Lire le texte complet sur le site d'Attac
C'est un NON qui dit OUI !
Pour moi, c’est d’abord NON à l’austérité, mauvaise solution pour construire une véritable solidarité européenne. Les manifestations à travers l’Union européenne le montrent : les peuples fragilisés par la hausse du chômage, pressurisés par l’incapacité des dirigeants européens à dépasser la récession et réorganiser l’économie en mettant d’abord les banquiers et les spéculateurs au pas, exigent plus de justice et d’égalité. Ignorer les aspirations populaires aujourd’hui, c’est permettre que l’appauvrissement mène à des dérives xénophobes, aux nationalismes et accélérer la fragmentation de l’espace européen.
Je dis aussi NON à la primauté de l’économique sur le politique. Introduire des règles automatiques sans projet politique, "constitutionnaliser" dans l’urgence un seuil de déficit maximum à 0,5 % alors même que les traités précédents - Maastricht, TCE - ont échoué, c’est appliquer une idéologie ultra-libérale pour sauver le capitalisme libéral-productiviste.
Je dis encore NON à l’autoritarisme. Le TSCG renforce les pouvoirs de la Commission européenne plutôt que ceux du Parlement européen. La Commission européenne est investie du pouvoir de déterminer le niveau de déficit conjoncturel acceptable pour chaque pays, et d'exécuter les sanctions correspondantes. Jamais un exécutif n'a été investi de tels pouvoirs sans contrôle !
Mais je dis OUI à plus d’échanges, de mutualisation, de coopération et de fédéralisme. C’est cela dont l’Europe a besoin.
Par exemple, est-il normal qu’un pays entouré de nations dénucléarisées, puisse s’entêter dans un choix énergétique qui menace la santé et la vie de ses voisins, la souveraineté même de leur territoire ? La pollution nucléaire comme la dissémination des OGM franchissent les frontières !
OUI au dépassement des égoïsmes nationaux, à des transferts de souveraineté de l’État-nation à l’Europe… à la création d’un pôle public européen bancaire, un emprunt pour la transition écologique, des référendums d’initiative populaire… Il faut construire l’Europe autrement, vraiment autrement !
Jacques Perreux
J. Perreux est membre d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), Conseiller général du Val-de-Marne, Conseiller régional d’Île-de-France.
Des "non" socialistes au traité austéritaire
Plusieurs parlementaires socialistes ont fait connaître leur intention de vote contre le Traité européen. Extraits de leurs argumentations, qui, à la fois, croisent et se différencient de ceux du non du Front de gauche, des syndicats et des associations.
Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris : « Ce traité est dangereux. Je pense qu’il instaure une austérité durable et prive les Parlements et les citoyens des arbitrages budgétaires. Il tourne le dos aux capacités d’impulser des politiques de relance et ne fait qu’accroître, amplifier et durcir la politique qui a déjà été menée et qui nous a amenés, avec le traité d’Amsterdam, à cette période de très faible croissance, depuis maintenant bien longtemps. François Hollande avait annoncé, pendant la campagne, qu’il fallait renégocier le traité, en le complétant et en le modifiant.
Si, aujourd’hui, il a obtenu de le compléter, il ne l’a pas encore modifié, et c’est ce pourquoi j’appelle à voter contre la ratification, pour qu’on renégocie le pacte budgétaire européen. Par ailleurs, je pense que la renégociation est d’autant plus possible aujourd’hui, pour François Hollande, que tout le monde se rend compte que la spirale de l’austérité et de la réduction budgétaire ne fait qu’accroître les déficits et plomber la croissance européenne. »
Jérôme Guedj, député de l’Essonne : « Ce traité est une mauvaise réponse à la crise que traverse l'Europe. Le TSCG tourne le dos à l'origine des maux. Il dit que le seul mal dont nous souffrons est l'endettement trop important des États, et la mauvaise gestion des dépenses publiques. Il ne dit pas un mot sur la responsabilité des marchés financiers dans cette crise et sur l'absence de régulation. Il ne dit pas un mot non plus sur le rôle de la BCE qui doit soutenir les États, et sur la gouvernance au service de la croissance que doit adopter l'UE.
Sur le traité, c'est un non de soutien de la politique de Hollande. Pour le reste je fais partie de la majorité. Je voterai donc la déclaration de politique générale de Jean-Marc Ayrault, car je veux apporter mon soutien aux avancées de la politique de François Hollande, comme la taxation des transactions financières, la supervision bancaire, ou les project bonds destinés à soutenir la croissance. Je voterai également la loi organique sur la règle d'or, bien que je ne sois pas fan du principe. (…) Je ne suis pas sûr que le calendrier qui prévoit les 3 % de déficit dès 2013 soit souhaitable ou même réaliste. Il ne faudrait pas que le remède tue le malade. »
Nathalie Chabanne, député des Pyrénées Atlantiques : « Les parlementaires nationaux sont dessaisis de leurs pouvoirs : un parlement national ne pourra plus voter de budget de relance volontariste sans se voir sanctionné par les instances de l’Union Européenne. Ainsi, ce traité rend impossible une autre politique que celle de l’austérité budgétaire qui ne fonctionne pas et que je refuse de valider. C’est la spirale infernale de la récession et de l’explosion du chômage qui s’est engagée. L’urgence, c’est au contraire d’enrayer ce cercle vicieux et de relancer l’économie européenne. »
Pascal Cherki, député de Paris : « Lors du Conseil européen en juin dernier un compromis a été élaboré qui tient en ceci : on ne touche pas au traité tant dénoncé, on ne modifie pas le rôle de la BCE, on ne met pas en œuvre les euro bonds mais, en contrepartie, on fait un pas en avant vers l’union bancaire, on accepte un geste supplémentaire en direction de l’Espagne et de l’Italie, on accepte enfin le principe de la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières et on établit un premier plan de relance européen destiné à soutenir l’affaissement de la croissance en dégageant 130 milliards environ d’euros. (…) Pour autant ce compromis pose problème. Il pose problème non pas en raison de la volonté politique de François Hollande qui n’est pas discutable mais en raison du caractère inchangé du TSCG qui représente un obstacle majeur vers le retour de la croissance en Europe. »
Dossier établi par Gilles Alfonsi et Michèle Kiintz
Dossier de Cerises n°154