J'ai raconté mon héritage au séminaire Communisme. Les salles du lieu inter-associatif l'Ageca sont un monde en miniature. Français de toutes origines s'y croisent avec simplicité. Assurément dépaysé, moi le "paysan de Paris", l'alpin pur sucre, je déambule de l'Asie enfantine à l'Afrique en réunion. Les mots du séminaire, qui tentent de se frayer un chemin d'émancipation où le pouvoir et l’État seraient à pervertir et partager, résonnent avec un écho étonnant ici, dans ce déjà-là communiste. À la prochaine séance, trompons-nous de salle de réunion, mélangeons-nous et la révolution sera en marche !
Je cherche avec un plaisir d'enfant les trouvailles du net, les alternatives inventives, les projets progrès qui changent le réel. Je flaire le positif dans les réseaux sociaux, les avancées qui ne pourront plus reculer. Qui interdira le F bleu et le petit oiseau ? Personne assurément : ces réseaux sociaux sont des acquis, des terres libérées sans trop le vouloir par l'oppresseur lui-même. « Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci ». Il faut conquérir ces terres vierges, les humaniser, les sortir des mythes marchands, les rendre au buen vivir.
Une idée qui m'effraie avec le réchauffement climatique, c'est l'obligation-évidence des transports en commun. J'aime le train et je survie en bus... mais j'adore ma voiture, cette sensation toute individualiste de liberté qu'elle procure. Alors, honteux, j'ai rejoint docile les rangs des militants du rail et de la gratuité. Seulement voilà depuis peu, j'ai découvert covoiturage.fr ! Je peux assumer politiquement mes contradictions. C'est un site extraordinaire où passagers et conducteurs se rencontrent pour partager leurs itinéraires. C'est un concept gagnant / gagnant, où le passager paie une partie des frais de route. Le site a un succès grandissant qui se nourrit de quelques valeurs simples : certains ont peu d'argent, pas de voitures, d'autres de long trajets en solitaire, des fibres militantes (écolos ou solidaires...). Conjuguez tout ceci avec quelques inventions informatiques astucieuses (trajets, lien avec les téléphones, etc.) et ça marche. Les rencontres se multiplient, on s'échange les mails, on murmure plusieurs mariages. La dernière trouvaille est la dématérialisation des échanges financiers. Je ne rentre pas dans les détails mais en gros, on paie le trajet via internet et le conducteur débloque le versement après le trajet effectué. Tout ceci évite les fraudes et simplifie les relations. La mauvaise nouvelle est que le service est devenu payant pour couvrir les frais de fonctionnement du site qui emploie une quarantaine de salariés en Europe. Cette invention, qui préserve la planète et le portefeuille, deviendra t-elle une multinationale sans cœur ? Je plaide pour que l’État soutienne cette entreprise afin de favoriser des déplacements partagés et écolos, sans frais autres que les trajets. Ou alors on nationalise... mais c'est un autre débat !
Le constat du livre d'un collectif de chercheur L'envers de la fraude sociale (éditions La Découverte), qui détaille les multiples non-recours aux droits sociaux (RSA, CMU...), est que le seul point commun de tous ces "non-recourants" est l'isolement. La complexité des dispositifs augmentant avec leur niveau de précision, les personnes isolées n'ont personne pour les conseiller... Elle ne pensent plus faire partie de la société, la honte se mêlant à la précarité, elles ne se soignent pas, ne cherchent pas de logements dignes, ne font pas valoir leurs droits ! La lutte contre l'isolement devrait être une affaire politique, pas une charité, un dispositif de plus... non, un combat contre les solitudes serait comme la première pierre d'un communisme de la relation. On devrait rendre gratuit le co-voiturage pour les personnes isolées, elles feraient des rencontres, comprendraient leurs droits, viendraient en séminaire à l'Ageca, chanteraient en chinois et auraient de nouveaux amis pour tchatter sur le F bleu. La révolution est en marche !
Laurent Eyraud-Chaume, 4 avril 2013
Paru dans Cerises n° 174