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Billet de blog 8 avril 2013

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Notre monde est à nous !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Certains estiment encore que les intellectuels seraient (tous) amorphes et résignés ! Film documentaire, Notre monde veut être, selon son réalisateur Thomas Lacoste, une contribution à un « élan vers un au-delà du privé et du collectif, de l’isolé et de l’embrigadé, dans un effort de dépassement des formes d’État, de société, de communication, de fraternité, de droit, de propriété, de partage ».  Parmi les 35 propos d’intellectuels, Cerises a choisi quelques-uns de ceux qui proposent de se projeter vers un autre horizon tout en formulant des propositions concrètes.

Eric Fassin : « L'inversion de la question immigrée »

Que voit-on, en Europe et au-delà, depuis les années 1990, et plus encore dans les années 2000 ? Les revendications nouvelles, qu'il s'agisse de mariage gai ou d'homoparentalité, soit de conjugalité ou de filiation, ont transformé notre vision de l'homosexualité : l'individu n'est plus seulement défini par ses pratiques sexuelles, mais aussi par ses liens sociaux. L'égalité ne saurait donc s'arrêter à la tolérance ; elle implique aussi le droit à une égale reconnaissance. Désormais, on ne peut plus ignorer que les homosexuels ont une vie sociale, en particulier conjugale ou familiale, et pas seulement sexuelle. Autrement dit, les lesbiennes, les gays, et toutes les autres catégories de l'arc-en-ciel, ne sauraient plus se réduire à des cas. 

L'action politique a donc fait advenir un nouveau sujet social.

Comment sortir du problème de l'immigration ? Comme on est sorti du problème de l'homosexualité. Pour en finir avec la logique du cas par cas, qui individualise les immigrés, il faut penser ceux-ci à partir de leurs liens sociaux - en famille, et non pas sans famille. Par exemple, pourquoi considérer aujourd'hui le nombre élevé de mariages binationaux comme un signe de communautarisme, et non (ainsi qu'on l'avait toujours pensé jusqu'à présent) comme une marque d'intégration ?

 (…) On n'arrêtera pas la xénophobie d'en haut en lui opposant la modération d'une xénophobie raisonnable, mais en lui substituant une autre vision de l'immigration et de la nation - un autre monde.

 Il n'y a donc que deux solutions : soit, en matière de droit, le mariage avec un étranger s'alignera demain sur le regroupement familial, c'est-à-dire qu'à son tour il deviendra conditionnel ; soit au contraire, le regroupement familial se conformera au droit matrimonial, censément inconditionnel. Ces deux options dessinent deux modèles de société radicalement opposés.

(…) notre projet de société ne saurait plus être fondé sur l'opposition aux étrangers - de nationalité, d'origine ou d' apparence. Au lieu d'être nationalisés, les droits humains redeviendraient proprement universels.

Susan George : « Face à la crise financière, socialiser les banques »

Que faire alors ? Évidemment, le contraire de tout ce qui se fait aujourd'hui. Remettre en place la régulation des banques, notamment en mettant la finance sous tutelle, en séparant banques de dépôt et banques d'investissement ; extraire les banques et les banquiers de la direction des affaires publiques ; socialiser totalement ou partiellement les banques et leur donner un cahier des charges les obligeant à consacrer X % de leurs portefeuilles aux prêts aux ménages et aux PME/PMI, en particulier ceux qui ont un projet vert ; interdire certains produits financiers, en particulier presque tous les dérivés et interdire de même les milliers d'échanges instantanés programmés par algorithmes ; fermer une bonne fois pour toutes les paradis fiscaux ou au moins pénaliser les banques et les entreprises qui s'en servent ; taxer les grandes fortunes et l'industrie financière pour qu'elles contribuent leur juste part à la réparation des dégâts. 

Pour faire tout cela, il faudrait construire de vastes alliances des citoyens et de leurs organisations pour mener l'offensive politique.

 Matthieu Bonduelle : « Pour une décroissance pénale et carcérale »




Il est urgent de rompre - et de rompre vraiment - avec cette logique qui ne l'est pas, cette idéologie sans idée, cette doxa extrêmement puissante qui a fini par produire un imaginaire répressif commun - ou du moins largement partagé, bien au-delà des rangs de la droite.

Deux idées pour accomplir cette rupture nécessaire et possible :



1. Entreprendre une véritable décroissance pénale, pour réduire la place de la pénalité dans notre vie sociale : de nombreuses infractions peuvent et doivent être dépénalisées, soit que les comportements visés ne portent pas atteinte à des valeurs fondamentales, soit qu'ils relèvent d'autres réponses (quelques exemples en vrac : le séjour irrégulier, l'usage de stupéfiants, le racolage, l'offense au chef de l'État, la vente à la sauvette, les injures et diffamations non discriminatoires...) ; la justice peut et doit (re)trouver le temps de juger (ce qui passe, notamment, par la suppression de la procédure expéditive de comparution immédiate) ; tout ce qui tend à transformer les juges en automates peut et doit être abrogé (en particulier la loi sur les peines planchers du 10 août 2007).



 2. Abolir la prison à la française, c'est-à-dire d'abord instaurer un numerus clausus pénitentiaire pour mettre fin au scandale de la surpopulation carcérale, mais aussi s'inscrire dans une logique de déflation pénitentiaire : moins d'établissements - qui doivent devenir des lieux de vie et cesser d'être des zones de relégation -, plus d'alternatives à l'enfermement, l'ensemble des droits des personnes privées de liberté enfin respectés (droit au maintien des liens familiaux, droit de réunion et d'association, droits sociaux, exercice effectif de la citoyenneté, etc.).



Etienne Balibar : « Pour une Europe alternative

 »

Je commence à être un peu fatigué ou un peu insatisfait des discours ronronnants sur les méfaits de l'universalisme abstrait, et l'idée que c'est de là au fond que vient tout le mal : l'ignorance des différences qu'il s'agisse des différences culturelles, des différences de sexualité ou de genre etc. Je trouve que c'est un peu insuffisant, et ça finit par camoufler quelque chose, à faire oublier quelque chose qui est très important, c'est que les principes aux noms desquels nous nous réunissons et nous essayons de nous battre sont fondamentalement abstraits. L'égalité c'est abstrait, la liberté, que ce soit celle des hommes ou celle des femmes, c'est abstrait, la fraternité, ça ne l'est peut-être pas tout à fait assez, et c'est pourquoi on peut avoir envie de chercher des termes qui soient plus généraux.



(…) Moi je suis de ceux qui pensent qu'il faut absolument un projet d'Europe alternative, que les populations européennes ne s'en sortiront pas chacune pour son propre compte. J'avais employé il y a quelques temps une expression un petit peu dangereuse en disant il nous faudrait un populisme européen.

 Évidemment, je me rends bien compte que ce populisme est le contraire de celui que nous voyons se développer aujourd'hui dans un certain nombre de pays d'Europe, donc c'est plutôt un contre-populisme. Mais c'est quand même une espèce d'insurrection démocratique, et il faut qu'elle traverse les frontières.

Françoise Héritier : « Vers une égalité des sexes 
»

Les tâches domestiques sont méprisées parce qu'elles n'ont pas de valeur (au sens de valeur marchande) et elles n'ont pas de valeur parce qu'elles sont accomplies par les femmes (sans qu'il y ait aucune logique naturelle à cela). C'est là un parfait cercle vicieux. Pour le briser, je postule qu'il conviendrait d'accorder de la valeur selon l'esprit commun à ce travail toujours recommencé d'entretien du foyer, du conjoint, des enfants. L'idée sous-jacente étant que, si ce travail était crédité de valeur, les hommes considéreraient comme normal de l'accomplir.

 Pour cela, deux moyens. Le premier est d'ordre technico-politique. Il conviendrait de compter le travail domestique et d'éducation des enfants dans l'évaluation du produit national brut. Ce n'est pas très difficile. On connaît de façon statistique le temps moyen que consacrent femmes et hommes au travail domestique et on sait ce que coûtent, prises séparément, les heures d'aide ménagère, scolaire, d'assistance de vie, d'accompagnement. Il est donc possible, même à gros traits, d'évaluer ce montant à l'échelle de la nation, en le comparant à d'autres profits du travail quand il est salarié. Il faut, politiquement, le vouloir. 



Le deuxième moyen est prospectif. Comment donner aux yeux d'une moitié de l'humanité qui jusqu'à présent a été aveugle, de la valeur à ce travail invisible ? Dans le modèle préhistorique dont nous avons hérité, dès le temps des chasseurs et des collectrices, le prestige et la valeur étaient du côté du gibier, rare, même si la nourriture quotidienne provenait à 80 % de la cueillette, féminine. Dans les temps modernes et contemporains, c'est le salaire, les émoluments, le revenu monétaire qui remplacent le gibier et à qui on donne de la valeur. Que faire en conséquence ? Je propose que les congés de paternité / maternité soient partagés obligatoirement et de manière égale entre le père et la mère.

Luc Boltanski : « À bas l'excellence ! »

Dans un monde social où chacun est sans arrêt sous la menace de l'épreuve et est incité, à son tour, à mettre les autres à l'épreuve, pour les récompenser, les sélectionner ou les éliminer, la vie sociale devient simplement intenable et parfois infernale.

 Des mesures concrètes doivent et peuvent être appliquées pour mettre fin à la tyrannie de l’"excellence", au sens où cette qualification est appliquée par les instances de management. Elles sont multiples. Parmi les premières à mettre en œuvre, on peut mentionner la suppression des systèmes de mise en concurrence des personnes au travail reposant sur l'octroi de primes individuelles, indexées sur des objectifs, fixés arbitrairement par les hiérarchies, en fonction d'exigences bureaucratiques et / ou politiques.

 Et aussi, plus généralement, l'abandon des procédures qui, sous prétexte de responsabiliser les acteurs de la vie sociale, visent, en fait, à les culpabiliser en leur faisant endosser la cause des maux qui les accablent. Cela, selon une modalité consistant à blâmer les victimes, mise, de longue date, au service de la justification de l'exploitation. Il faut, également, donner la préférence au long terme sur le court terme, ce qui aurait pour effet d'ajourner le moment de l'épreuve. On peut relativiser l'évaluation, et en atténuer la violence, par la prise en compte de l'incertitude, qui est toujours le lot commun. Et aussi par la reconnaissance de la pluralité des manières d'être au monde et d'y jouer sa vie. Il n'y a pas de vie réussie ni de vie ratée. Personne n'est inutile, personne n'est de trop. À bas l'excellence !


Laurent Bonnelli : « Réencastrer la sécurité dans la question sociale


 »

(…) compte tenu de la défiance dont elle fait l'objet, il est nécessaire que la police soit contrôlée par des institutions externes, comme ça existe dans la plupart des pays européens et occidentaux et qui soient dotées de pouvoirs effectifs.

 Enfin, il faut bien sûr revenir sur l'ensemble des lois qui pénalisent les petits comportements liés à la misère.

 Mais tout ceci ne suffira pas. Un des effets de la politisation de la question de la délinquance, à partir du milieu des années 1990, a été de désencastrer, d'autonomiser la sécurité de la question sociale. On fait comme si la sécurité était une question à part, qui existerait en elle-même et pour elle-même. Or, là, il y a sans doute une immense naïveté, car il y a un certain nombre de choses qui relèvent de la police et de la justice, comme la criminalité organisée, mais on mélange tout sous ce label sécurité. De nombreux problèmes qui sont rangés aujourd'hui dans cette catégorie renvoient à du vivre ensemble, à des tensions entre des groupes sociaux sur un territoire, ce genre de choses. Et cela appelle évidemment d'autres solutions que des solutions policières ou judiciaires.

Gérard Noiriel : « N'enterrons pas la « culture populaire »




(…) ce sont aujourd'hui les gouvernements de droite et les penseurs libéraux qui invoquent la culture populaire pour refonder la politique culturelle. La gauche, qui a pourtant joué un rôle moteur tout au long du XXe siècle dans la démocratisation de la culture, semble tétanisée. Ses représentants préfèrent ne pas voir qu'il existe aussi des formes de domination sociale au sein de cet univers.

(…) On ne cesse de nous répéter que la finalité civique de la culture est de renforcer le lien social, mais les professionnels du monde culturel donnent chaque jour l'exemple du contraire. L'étatisation de la culture a donné naissance à de petits milieux institutionnalisés qu'il est extrêmement difficile de faire travailler ensemble. Les logiques de financement public viennent même dissuader ceux qui veulent œuvrer dans ce sens.

 Si la gauche ne prend pas ce problème à bras le corps, c'est parce qu'il l'affecte de l'intérieur. Le financement des activités culturelles est assuré aujourd'hui par les collectivités locales qui sont en majorité de gauche. Lancer un débat sur la crise de la culture publique nécessiterait donc un examen auto-critique de leur part.

(…) Défendre l'idéal de la culture pour tous nécessite aujourd'hui de combattre les effets négatifs de l'étatisation de la culture. Plutôt que de laisser ce rôle au marché, l'État doit montrer qu'il peut aussi agir contre lui-même pour résoudre ses crises internes. Le meilleur service qu'un gouvernement de gauche pourrait rendre aujourd'hui à la culture populaire serait d'œuvrer au renforcement des liens entre les différents acteurs institutionnels de la sphère culturelle, en faisant en sorte qu'ils aient intérêt à travailler ensemble.



Monique Chemillier-Gendreau : « Appliquer et développer le droit international


 »

La France traverse depuis quelque temps un moment de surenchère nationaliste et passe donc à côté de la dimension internationale des problèmes. Et pourtant, nous ne pourrons lutter contre les atteintes à l'environnement porteuses de catastrophes, contre la militarisation des économies facteur mécanique de guerres, contre les trafics illicites déclencheurs de violences ou contre la crise économique et financière qui conduit à l'aggravation des inégalités et au développement de la misère dans le monde, que si nous disposons d'une norme du juste de portée mondiale.

(…) Nous avons besoin d'un effet d'entraînement de la société mondiale vers plus de justice, plus de respect du droit, plus de développement de celui-ci, notamment dans tous les domaines encore en friche comme celui de la protection de l'environnement, de l'interdiction de certains moyens de guerre ou de la régulation économique et financière. Nous devons nous mobiliser pour l'application exigeante du droit international et son développement. Sans doute formons-nous une communauté politique nationale et les solidarités à ce niveau sont importantes. Mais cette communauté nationale est partie prenante d'une communauté politique mondiale. Une part importante de notre destin et de la construction de notre avenir résulte de choix que nous ne pouvons faire seuls. Pris dans des solidarités plus larges, nous devons chercher avec les autres comment tracer des possibilités d'avenir pour tous, à travers un droit commun.

Jean-Luc Nancy : « Pour une commune pensée »

Je propose ce que vous voudrez et ce que vous saurez entendre dans l’expression suivante : la commune pensée.

 J’y entends pour ma part et pour commencer ceci : d’abord une pensée commune à tous - non pas, pourtant, comme une pensée banale (par exemple celle d’un bonheur, celle d’une santé, celle d’une peur de la mort) mais une pensée telle que, commune à tous, elle soit non banale mais singulière à chacun. Autrement dit, pas le même sens pour tous mais que chacun comprenne qu’il partage avec tous le fait même du sens (sensation, sentiment, signification).



Ensuite, j’inverse les rôles de substantif et d’adjectif et je mets une majuscule à "Commune". La commune pensée devient un penser la Commune - au sens de cela qui, dans la libération de la féodalité d’abord, puis dans la libération du second Empire et de l’ordre bourgeois, a été le nom d’un élan vers l’au-delà du privé et du collectif, de l’isolé et de l’embrigadé. Une forme d’État, de société, de communication, de fraternité, de droit, de propriété, de partage, je ne sais pas comment il faut le dire - et c’est pourquoi je vous demande de vous approprier tous et chacun les façons possibles de dire, d’imaginer, de projeter la commune pensée.

Propos choisis par Cerises, 4 avril 2013

Lire aussi sur ce site...

Une commune pensée pour confronter  et agir

Propositions pour faire monde ensemble

Dossier de Cerises n° 174

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