Si quelques grands patrons, tel Louis Schweitzer (ex-dirigeant de Renault), sont réticents à réclamer un “choc de compétitivité”, l’essentiel du patronat français - Association française des entreprises privées et Medef en tête - se mobilise pour une révolution conservatrice. La crise de légitimité du capitalisme les contraint à une fuite en avant dangereuse pour la société. Mais leur radicalité ne pourrait-elle se retourner contre eux ?
Il faut lire les propos patronaux pour avoir une idée précise du niveau de cynisme atteint par l’essentiel des dirigeants des grandes entreprises françaises. 98 patrons viennent ainsi de lancer un appel poignant. Une fois passé la prétendue prise en compte de l’intérêt de la société, leur ultimatum au gouvernement relève en fait d’une déclaration de guerre au monde du travail.
Si le ton virulent change de celui des salons feutrés des hôtels de luxe où l’on discute “liberté économique”, les exigences sont vieilles comme le capitalisme. Tout se tient : la revendication d’une nouvelle baisse des cotisations patronales, celle du démantèlement du droit du travail, celle bien sûr de l’austérité pour les salariés et pour les services publics.
Quel est l’intérêt, si l’on peut dire, que ces patrons manifestent ensemble leur exaspération devant un monde si injuste à leur égard - ils n’ont pas honte d’emprunter la posture de victime de la crise ! -, crient leur haine du droit et leur mépris des filets sociaux ? C’est peut-être qu’ils expriment rien moins que le retour de la lutte des classes acharnée, dans laquelle ils sont totalement investis. Si la gauche molle continuait à en nier la réalité crue, si la gauche d’alternative ou les syndicats issus du monde ouvrier n’osaient plus s’y référer et l’assumer, au moins l’adversaire l’aura-t-il remise à l’ordre du jour !
L’offensive patronale est-elle preuve de force ou aveu de faiblesse ?
Si la meilleure défense est l’attaque,
la légitimité de leurs exigences est déjà fortement affaiblie.
Il faut aussi lire Denis Kessler, auquel Le Monde du 1er novembre offrait une demi page de plaidoyer pour l’abolition non pas des privilèges, mais pour l’abolition des 35 heures. L’ancien vice-président du Medef exposait ainsi son mépris de ceux pour qui les 35 heures sont un instrument de conquête du temps libre : « Grâce à la réduction du temps de travail, les Français allaient avoir du ‘‘temps pour bricoler et jardiner’’. Sur ce point, l’Insee confirme que toutes les prévisions ont été battues : entre 1996 et 2006, le chiffre d’affaires du secteur du bricolage a été presque multiplié par deux. (…) En somme, par l’effet des 35 heures, les Français ont davantage bêché que bûché ».
Au-delà du mépris de classe, on entend surtout combien est étrangère à l’auteur l’idée que gagner du temps libéré du travail salarié est un véritable enjeu d’émancipation, pour bricoler et cultiver la terre si l’on le souhaite, ou pour se cultiver… surtout pour faire ce que l’on veut sans qu’un patron vienne le contrôler.
5 novembre 2012
Dossier spécial gallois de Cerises
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