Même avec un gouvernement directement issu de l’appareillage du capital, les Grecs refusent le plan d’austérité exigé par Angela Merkel et ses satellites. Les Belges ont délaissé un marasme "linguistique" pour refuser l’austérité. Les Espagnols ne désarment pas, les Italiens continuent leur combat, - les Indignés américains sont de plus en plus nombreux à s’identifier comme "anticapitalistes" et une de leurs revendications est l’instauration d’un revenu maximum - en France, il devient de plus en plus difficile de justifier le capitalisme.
Je ne cherche pas à annoncer la Révolution mondiale. Mais je me pose deux questions.
Pourquoi les forces du capital auraient-elles le monopole de convergences et d’un projet européens ? Est-il impossible pour les mouvements populaires de dépasser leurs frontières ? Évidemment, tous les calendriers institutionnels ne marchent pas au même rythme. Mais ce n’est pas moi qui écris si souvent qu’il faut subvertir ce cadre, qui vais aujourd’hui dire que c’est là un obstacle. Le capitalisme rend l’Europe invivable : elle est transformée en champ de guerre économique, elle encadre la loi du plus fort au détriment de la coopération ; elle devient le lieu de coups d’États permanents pour empêcher l’expression des peuples. Le résultat ne se fait pas attendre, ici et là pousse le chacun pour soi" et de ce "chacun pour soi" renaissent des volontés impérialistes fortement critiquées outre-Rhin. L’ambiance est, en gros, au refus de ces dérives. Ne devrait-elle pas pousser à se rencontrer et à s’interroger sur la part commune de nos sorts ? Il ne s’agit pas de se faire soutenir en vue d’une élection par un tourisme politique de mauvais aloi mais d’interroger comment les étapes qu’affrontent chaque peuple pourraient être autant de tremplins à un mouvement populaire de type inédit.
Seconde question : pour envisager de telles rencontres, cela suppose à la fois d’interroger comment le peuple ou les peuples peuvent-ils devenir lieu d’un "pouvoir accomplir" jusqu’à présent inégalé ? Et n’est-il pas temps de poser comme une colonne vertébrale à ce cheminement qu’un tel pouvoir passe par une maîtrise populaire des leviers de l’économie ?
La seule dénonciation de l’austérité ne permet pas une telle dynamique. Réclamons de tout remettre à plat, de redéfinir le fonctionnement de la société. C’est même là et seulement là que peuvent s’opérer toutes les convergences.
Une société fondée sur l’exploitation est indissociablement fondée sur une cascade de discriminations : elle veut pouvoir surexploiter les femmes, les migrants, à la fois pour faire davantage d’argent et tenter d’apaiser les colères des "Français-hommes-de souche" en les consolant : « Vous n’êtes pas au plus bas de l’échelle ». Cette division est intrinsèquement liée à l’exploitation. Dissocier exploitation et domination conduit à l’impuissance. Quant à l’écologie, les délocalisations et les transports d’importations qu’elles génèrent, les gaspillages qu’entraîne la militarisation de l’économie, la course au rendement du transport routier, d’une agriculture maltraitée témoignent du caractère identique du comportement à l’égard de la nature qu’à l’égard des humains. Les tentatives d’auto-lib ou de gratuité des transports en commun disent combien tout ne va pas obligatoirement de pair avec la propriété et que la société n’en a pas fini avec l’extension du service public. C’est à partir des besoins et non de la rentabilité financière que peut se développer une production industrielle correspondant aux enjeux planétaires du siècle. Mais allez demander cela aux détenteurs du CAC 40 !
En fait tout se tient : la conception de la société, la place de l’égalité et de la liberté, la manière par laquelle on situe le centre de gravité du pouvoir et la crédibilité pour penser l’émancipation et la socialisation des individus.
Pierre Zarka