Je ne sais où nos dirigeants européens ont la tête, mais par leur faute l’Europe a la sienne en bas.
Jamais l’Europe n’a semblé si loin des citoyens. Au mieux, on n’y croit pas et on s’en détourne. Au pire, on vilipende l’Union en tant que telle et l’on n’aspire à rien tant que de s’en débarrasser. Or, dans un cas, on laisse le terrain européen aux forces d’argent et de pouvoir qui la dominent ; dans l’autre cas, on penche vers un repli qui pourrait être pire encore que le mal.
Il y a donc une seule voie raisonnable possible : celle qui consiste à tout faire pour que l’Union européenne se réoriente, et de façon sensible. Depuis plusieurs décennies c’est une même méthode qui est appliquée inlassablement, à Bruxelles, à Strasbourg et dans toutes les capitales européennes. D’un côté, l’affirmation selon laquelle, la concurrence libre et non faussée étant la seule force régulatrice possible, la compétitivité et donc la baisse des coûts du travail et la monnaie forte sont une contrainte indépassable. De l’autre côté, la conviction que, la démocratie étant malaisée à contrôler, le pouvoir des "experts" (la "bonne gouvernance") est la seule raisonnable pour gérer le patchwork européen. Détisser l’architecture sociale héritée des années 1930-1940 et contourner systématiquement l’expression populaire directe : telle est la quintessence de la non-démocratie européenne.
N’allons pas par quatre chemins : c’est cette méthode qui est la cause des maux actuels ; si elle a échoué, il faut s’en débarrasser au plus vite pour mettre l’Europe sur d’autres rails. Cela passe par trois pistes simultanées.
1. Pour reconstruire, il faut dire non à tout ce qui se trame. Refuser l’attitude méprisante et indigne des institutions de l’Union à l’égard du peuple grec. Refuser le pacte budgétaire Merkel-Sarkozy qui bâillonne toute expression possible de la souveraineté populaire dans le cadre national, sans la compenser par quelque avancée démocratique européenne que ce soit. Pour dire non, les forces ne manquent ni chez nous ni en Europe. Les peuples, les Indignés, les syndicats sont en train de bouger : ce sont des points d’appui. L’objectif immédiat est ainsi simple à formuler : les peuples doivent se prononcer directement et sur le fond. L’audit citoyen de la dette et le référendum sur le traité Merkozy en sont les passages obligés.
2. Le dispositif actuel des traités européens est obsolète, non pas dans le détail mais dans sa structure même. Le temps des toilettages est forclos. Celui de la refonte est à l’ordre du jour. Mais cette refonte ne doit pas emprunter les voies coutumières. Elle ne relève ni des négociations intergouvernementales, ni des conventions restreintes réservées aux "élites". Ni le processus qui a conduit à Maastricht, ni celui qui a conduit au projet de Traité constitutionnel et à Lisbonne. La méthode acceptable ne peut qu’être constituante : un large débat citoyen, l’élection d’une assemblée chargée de rédiger le ou les nouveaux traités ; une consultation référendaire dans chaque pays sur les textes élaborés.
3. En attendant la refonte, la France n’est pas sans moyens. Elle est la cinquième puissance économique mondiale, la seconde européenne. Ce qu’elle dit et ce qu’elle fait compte et comptera. Pourquoi une France solidement ancrée à gauche ne ferait-elle pas, dans un sens antilibéral, ce que le Royaume-Uni a fait si longtemps dans un sens ultralibéral ? L’Angleterre thatchérisée s’était toujours attachée à ne se sentir contrainte par aucune règle sociale. Pourquoi la France le serait-elle par les stipulations absurdes du Pacte de stabilité ? À elle de dire sans tarder qu’elle n’appliquera pas les décisions européennes qui tourneraient le dos aux engagements pris devant le peuple français.
L’Angleterre a-t-elle été mise à genoux pour avoir tenu sa ligne ? L’Europe en est-elle morte ? En fait, tout laisse à penser que l’exemple français, à condition que la France décide de jouer sa partition démocratique et sociale, serait peut-être la dernière chance d’une Union ambitieuse et viable.
Mais pour que la France parle de cette voix, il faut que les rapports de forces politiques le permettent. La marge de manœuvre se décidera en avril-juin : elle tiendra aux résultats présidentiel et législatif du Front de gauche.
L’action sociale, partout où elle est possible, la bataille immédiate pour un référendum sur le traité Merkozy et la mobilisation électorale jusqu’à l’été : trois facettes d’une même ambition démocratique. Trois actes forts contre la déraison des gouvernants.
* Roger Martelli
Cet article est paru dans la rubrique "Cuisine alternative" de Cerises n°134, du 9/3/2012.