
Clémentine Autain, animatrice de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE), coordonne au niveau national les fronts thématiques de la campagne du Front de gauche. Elle fait ici le point sur l’actualité politique, les potentialités et les conditions d’une percée de la gauche d’alternative en mai et juin 2012.
Commençons par la situation politique générale, comme on dit. Quel est ton diagnostic, à grands traits ?
Nous vivons un moment de bascule. La situation de crises produit à la fois de la peur, du repli, et de la dynamique de contestation porteuse de refondation politique. « Il y a crise quand le jeune ne veut pas naître et que l’ancien ne veut pas mourir », disait Gramsci. Nous y sommes. Les grands choix se redessinent. Allons-nous plonger dans une récession plus grande emmenée par l’oligarchie ou changeons-nous de braquet à la faveur de mobilisations populaires pour un partage des richesses, des pouvoirs, des savoirs et des temps ?
Les périodes de choc, comme l’a montré Naomi Klein, peuvent être propices pour que les tenants du système passent un cran supplémentaire dans leurs solutions néolibérales. Autrement dit, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la crise sert de prétexte pour aller plus loin dans la dérégulation, le démantèlement des services publics, le recul de la démocratie et le creusement des inégalités. L’idéologie dominante est un puissant moteur de résignation. En face, la colère monte. Le mouvement des Indignés comme les révoltes du monde arabe sont des symptômes du refus qui s’énonce. Le plus grand nombre ne veut pas payer leur crise et aspire à être acteur de l’histoire. Une brèche s’ouvre pour nous : il faut s’y engouffrer.
Et sur la situation en France ?
Nous entrons maintenant activement dans la campagne présidentielle, même si les Français ne sont pas encore passionnés par elle… Nicolas Sarkozy s’agite beaucoup, dans tous les sens, mais le cap est maintenu : réduction des dépenses publiques, chasse aux sans-papiers, stigmatisation des plus pauvres. Les ingrédients d’une politique au service des rentiers et des puissants sont connus. Le rejet du sarkozysme est puissant. Suffira-t-il à faire gagner la gauche ? La ligne de François Hollande qui veut « donner du sens » à la rigueur est préoccupante. Au Front de gauche, nous pensons que c’est un projet politique en rupture avec le néolibéralisme et le productivisme qui est de nature à remobiliser les catégories populaires et donc à porter la victoire. L’heure n’est pas aux discours à l’eau de rose mais à la mise en mouvement de solutions radicales, qui prennent le mal à la racine. Il faut combattre le pouvoir du capital et de l’oligarchie.
Comment sortir de ce paradoxe où, malgré les évolutions dont tu parles, le débat politique porte essentiellement sur la possibilité que succède à l’austérité de droite une rigueur de gauche ?
La pression du "vote utile", ou supposé l’être, est très forte. La mémoire collective de 2002 pèse, ce qui se comprend. Surtout quand les sondages indiquent un vote pour Marine Le Pen avoisinant les 20 %. Mais ne nous méprenons pas : le PS porte en germe un accroissement potentiel du ressentiment à l’égard de la politique, qui nourrit l’abstention et le vote FN. En effet, la rigueur n’est « ni de gauche, ni de gauche ». La réduction des dépenses publiques proposée dans le projet socialiste ne permettra pas de sortir de la récession par le haut. Les exemples grecs, espagnols et portugais sont malheureusement là pour le démontrer : les gouvernements sociaux-démocrates ont d’ailleurs été battus dans les urnes. Ainsi, pour que la gauche gagne durablement et soit utile au plus grand nombre, il faut qu’elle prenne un tout autre chemin que celui de la capitulation devant les marchés financiers. Le Front de gauche est aujourd’hui la meilleure réponse pour que ne succède pas à l’austérité de droite une austérité de gauche : c’est le vote le plus utile. Pour sortir du paradoxe évoqué, il faut donc que la dynamique autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon s’amplifie. C’est nous, et seulement nous, qui pouvons faire dérailler ce scénario mortifère dans lequel l’alternative à la droite n’en serait pas véritablement une.
La crise financière et la dette vont à l’évidence être au cœur de la campagne. Comment faire pour que les autres enjeux – démocratiques, écologiques, sociaux, sociétaux… - ne passent pas à la trappe ?
Le débat sur la crise financière et la dette s’est élargi à la question démocratique. Au fond, qui décide de ces choix qui s’abattent sur le plus grand nombre ? Qui a le pouvoir politique : les peuples ou une oligarchie qui ne rend des comptes qu’aux actionnaires ? L’interrogation grandit comme l’exigence de pouvoir peser sur les orientations de notre pays, de l’Union européenne et du monde. Pour sortir de la nasse actuelle, la mise en place d’une nouvelle République est une condition sine qua non du changement au service du progrès humain. Car c’est par l’appropriation populaire des débats et des décisions publiques, et seulement par elle, qu’une issue émancipatrice est possible. En outre, nous ne sommes pas dans un débat sur les meilleures réponses technocratiques, ni seulement sur les réponses économiques, mais sur le sens profond de la marche de nos sociétés contemporaines. C’est pourquoi la réponse n’est pas d’abord une histoire d’addition ou de soustraction dans les comptes publics. C’est une affaire de conception de l’avenir commun, de remise en marche des énergies collectives et individuelles, d’imaginaire, de projection.
Mais il est vrai que les questions écologiques, sociétales et une partie des questions sociales sont minorées par la focalisation sur l’enjeu de la dette. Or, une majorité de citoyens et citoyennes sont intéressés par différentes questions, comme en témoigne les enquêtes d’opinion. Au-delà des réponses purement programmatiques, la question est de proposer une orientation générale, des repères culturels, c’est-à-dire de produire de la novation aussi par les thèmes que nous abordons, et les formes que nous utilisons pour le faire.
La perte de crédibilité des politiques et la défiance envers les institutions font couler beaucoup d’encre. Comment y faire face ?
En redonnant du sens à la politique. Il faut qu’elle soit porteuse d’une vision du monde et qu’elle apporte des solutions concrètes au plus grand nombre. Il y a aussi une crise de la représentation et des formes classiques de la politique qui atteint aussi la gauche, y compris notre gauche. Dans ce domaine, les ruptures doivent être franches. Le FN surfe là-dessus, alors qu’il est en réalité profondément conservateur. C’est à nous d’incarner ce besoin de changement profond dans le fonctionnement institutionnel, dans la façon de produire de la politique.
Où en est la campagne du Front de gauche ?
Elle est en marche ! Notre candidat se démène pour porter notre voix avec talent. Les Assemblées citoyennes prennent vie sur tout le territoire, nos premiers meetings font salle comble, le front des luttes se démène, les fronts thématiques dont j’assure la coordination se développent et travaillent à de nombreuses initiatives, la campagne sur le net est l’une des meilleures qui soit… Nous avons de véritables atouts. Le plus important, c’est sans doute la clarté de notre positionnement politique : nous sommes les seuls à dire qu’il existe une vie en dehors des plans de rigueur. Nous sommes dans une course de vitesse, car nous ne pourrons réaliser une percée que si nos intentions d’élargissement passent l’épreuve de la réalité. L’un des aspects cruciaux concerne la valorisation de la diversité et le pluralisme de la campagne. Je regrette de ce point de vue que nous patinions sur les législatives pour permettre à des candidatures issues d’autres composantes du Front de gauche que le PCF et le PG d’être portées et à des figures du mouvement social d’être visibles. Nous devons sortir de ces échanges par le haut pour que toutes les énergies disponibles soient au service de la campagne. J’espère que chacun et chacune mesure l’enjeu.
Quel est l’apport de la FASE dans cette campagne ?
Nous avons fait le pari de participer au Front de gauche car il faut qu’une gauche digne de ce nom investisse les urnes. Nous cherchons maintenant à créer des ponts entre les luttes sociales dans lesquelles nous sommes présents et la campagne… Nous portons l’idée qu’il y a besoin à la fois de luttes, de mouvements et de perspectives politiques. S’indigner c’est bien, mais donner à son indignation un sens politique, de la voix et du poids au moment des élections, c’est déterminant pour que le rapport de force change. Nous sommes donc investis dans cette campagne unitaire avec enthousiasme et détermination.
Certains évoquent déjà les suites de la campagne des présidentielles et des législatives, notamment la question de la création d’une nouvelle force politique.
D’abord, notre priorité doit être aujourd’hui de donner plus de forces à notre campagne. La situation ne sera pas la même si nous réussissons ou pas une percée. Ensuite, la question de la dynamique politique ne se confond pas avec l’enjeu de se doter d’un outil politique large et rénové, qui fait aujourd’hui encore défaut. Cependant, nous portons l’idée de la création d’une nouvelle force depuis la création de la FASE. Il faudra un processus large, ouvert, permettant de donner confiance à ceux et celles qui seront prêts à se rapprocher, et de dialoguer avec eux qui ne sont pas encore prêts mais pourraient être intéressés d'une manière ou d'une autre par un tel processus. A Europe Ecologie et au NPA, nous savons que des militants et sympathisants déçus regardent de notre côté. Nous devons dialoguer avec eux, développer des passerelles. Nous savons également que, dans la société en général, dans le mouvement social ou encore chez les militants socialistes, de nombreuses personnes se posent des questions et sont tentés par notre construction politique. A nous de leur faire envie. A nous de leur proposer une construction politique commune. Plus notre score sera élevé en avril prochain, plus nous serons attractifs, en dynamique, et donc capable d’aller encore plus loin dans la logique de rassemblement au service d’une gauche de transformation sociale et écologique.
Entretien réalisé par Gilles Alfonsi et Michèle Kiintz