Drôle de pays, franchement, que la France, dont le comportement civil semble induit par le chef de l’État. Avec Sarkozy, dont le nom était moins celui d’une dépression, comme l’avançait naguère un philosophe, que celui d’une anormalité, on a finalement eu de la part de la société un comportement normal. En revanche, un Président qui se déclare normal semble engendrer immédiatement une vague d’anormalité dans le champ social.
C’est ainsi que, durant la trêve des confiseurs, on a pu vivre une séquence médiatique complètement folle. Depardieu annonce son départ en Belgique. Cet exil est immédiatement qualifié de "fiscal", ce qui n’est pas certain : "La France, tu l’aimes ou tu la quittes", ce vieux slogan du FN, semblant être aujourd’hui devenu un slogan… purement national. Puis le premier Ministre s’en mêle en qualifiant ce comportement de minable (ce qu’il n’aurait certainement pas dit publiquement à propos de l’exil fiscal de Bernard Arnault, par exemple). Là-dessus, un distributeur de cinéma, Vincent Maraval, publie dans Le Monde une tribune intitulée "Les acteurs français sont trop payés" qui va faire beaucoup de bruit. À noter que Depardieu ne fait pas partie de la liste de dix noms des acteurs trop payés… Ce que ne nous dit pas Le Monde, mais que va révéler l’excellent journaliste média du Point, Emmanuel Beretta, c’est que Vincent Maraval est le producteur de Gérard Depardieu, et que tous les deux cherchent à monter un film d’Abel Ferrara librement adapté de l’affaire DSK, dans lequel Gégé interpréterait le rôle de l’ancien président du FMI. Le point le plus intéressant ici c’est : "trop payé". Pas assez payé, cela se comprend largement. Mais trop payé ? Par rapport à quoi ? À qui ? Personne pour se le demander. En revanche, on remet en cause le rôle du CNC, vieille institution protectionniste dont la France est fière. Là-dessus, Poutine (que ce monde est petit !) accorde un passeport russe à Depardieu, lequel déclare que la Russie est une grande démocratie. On se gausse. On évoque les Pussy Riots. Mais "grande démocratie", c’est comme "trop payé". Une dictature, on sait largement ce que c’est, mais une grande démocratie ? La France, tiens, par exemple, est-elle une grande démocratie ? Ou sommes-nous pas assez payés pour les uns, ou trop payés pour les autres, afin se prononcer ?
Arnaud Viviant, 11 janvier 2013
Paru dans Cerises N° 165