Fralib, Goodyears, Pétroplus, PSA... Propriété privée de l’outil, captation de la décision, détournement des produits pour les profits des actionnaires et mépris des femmes et des hommes qui, par leur labeur, ont construit ces fortunes.
Bertolt Brecht, dans ses Histoires d'almanach (1949), interpelle ses contemporains :
"Questions que se pose un ouvrier qui lit"
Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des rois.
Les rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, détruite plusieurs fois,
Qui tant de fois l'a reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent ce soir-là les maçons ? Rome la grande
Est pleine d'arcs de triomphe. De qui
Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée,
N'avait-elle pour ses habitants
Que des palais ? Même en la légendaire Atlantide,
La nuit où la mer l'engloutit, ils hurlaient
Ceux qui se noyaient, ils appelaient leurs esclaves.
Le jeune Alexandre conquit les Indes.
Seul ?
César vainquit les Gaulois.
N'avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier ?
Quand sa flotte fut coulée, Philippe d'Espagne
Pleura. Personne d'autre ne pleurait ?
Frédéric II gagna la guerre de sept ans.
Qui, à part lui était gagnant ?
À chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins ?
Tous les dix ans un grand homme.
Les frais, qui les payait ?
Autant de récits,
Autant de questions.
Paul Éluard et André Breton, en 1936 - un hasard ? -, plaçaient en exergue de leurs Notes sur la poésie cette phrase : « Il faut prendre à César tout ce qui ne lui appartient pas. »
Et si, toutes et tous ensemble, nous faisions de cet exergue une réponse aux questions posées par l’ouvrier de Brecht, pour reprendre avec toutes celles et ceux dont les fruits usurpés de leur travail, jusqu’au label même qui, finalement, n’appartient pas vraiment à César ?
15 février 2013
Paru dans Cerises n°170