Je me souviens d’une lettre de Georges Valbon appelant à voter à une présidentielle pour son « ami Robert Hue », choisi par Georges Marchais pour le remplacer. Connaissant le dessous de quelques cartes, l’expression m’avait fait doucement sourire. C’est, de fait, une prose plus sincère qui anime la Lettre à mes petits enfants de l’ancien président du Conseil général du 93, qui nous a quittés en 2009.
Je dis "nous", car au-delà des divergences, des déchirures au sein de la famille communiste, Georges Valbon et les "communistes unitaires" ont une histoire commune, mêlant l’idéal communiste, le PCF et la Seine-Saint-Denis. Georges Valbon nous transmet sa vérité, avec subjectivité et honnêteté. J’ai mesuré dans ce récit l’intransigeance de l’auteur vis-à-vis de l’injustice.
Fils d’immigrés italiens antifascistes de la vallée d’Aoste, Georges Valbon acquiert la nationalité française grâce au Front populaire, s’engage, manifeste, est réfractaire au STO avec l’aide d’un ouvrier allemand, participe à 20 ans aux combats de la Libération, adhère au PCF. Ces pages-là sont passionnantes. Considérant la guerre terminée, il refuse de partir en Indochine en 1946. « Nous avons besoin d’officiers communistes », lui intime André Marty, qui l’a convoqué au Comité central. Georges Valbon maintiendra sa décision.
C’est qu’il avait ses lignes rouges. En 1983, en désaccord avec les orientations gouvernementales de la gauche, il démissionnera de la Présidence des Charbonnages de France. Le BP du PCF n’assumera pas ou pas tout de suite : le départ des ministres communistes du gouvernement aura lieu l’année suivante.
« Rien de ce qui pouvait porter préjudice à son parti n’était accepté », lit-on dans la postface. J’ai retrouvé dans ce livre une certaine conception du parti, faite aussi de discipline. Je crois que pour Georges Valbon, mettre en cause l’appareil, c’était toucher à l’idéal, ce qui est un point de vue, même si ce n’est pas le mien. Quant à la stratégie, la lettre va peu sur le terrain de ce qu’a représenté, pour le PCF, la tenaille "programme commun - mur de Berlin."
Avec d’autres élu-e-s communistes du 93, Georges Valbon impulsera une politique d’élévation par la culture, le sport et le bien-être pour tous dans "son" département. À la pointe du social : campagnes de prévention bucco-dentaire, colonies de vacances, actions éducatives, maillage serré des centres de protection maternelle et infantile, cités aujourd’hui comme exemplaires. Avec de l’écologie avant l’heure : espaces verts, eau et assainissement… Il fallait que la banlieue ait tout. Que ses acteurs, professionnels et associatifs, soient puissamment soutenus.
La lecture de ces « strophes pour se souvenir » (Aragon) me donne l’idée que chez Georges Valbon, l’adhésion au communisme mêlait dans un même élan généreux un idéal d’affirmation de la classe ouvrière, un désir d’élévation dans la société et une admiration pour les "réussites" – grandes écoles, haute administration, bâtiments modernes… – que la bourgeoisie avait su créer et s’arroger.
« La banlieue veut tout », clame Jack Ralite. Comme l’inaccompli bourdonne d’essentiel, il nous reste donc à poursuivre et à inventer.
Philippe Stierlin, 16 novembre 2012
Georges Valbon (1924-2009), lettre à mes petits-enfants
Introduction d’Elio Riccarand (175 p, -20 €, avec DVD) – Postface de Catherine Valbon
Édité par l’Association Valdôtaine des Archives Sonores - Commande : cvalbon[@]wanadoo.fr
Cet article est paru dans la rubrique "Délicieux" de Cerises, n°159