Questions à Elisabeth Ronzier, présidente de SOS homophobie.
Face à l’offensive des milieux conservateurs et réactionnaires, la mobilisation engagée suffira-t-elle ? Comment renforcer la convergence entre forces associatives, syndicales et politiques pour mieux faire avancer la lutte contre l’homophobie ?
Il est difficile de deviner si cela suffira. Mais je rappelle que le projet de loi figurait clairement dans les engagements de campagne de François Hollande, qu'il a été élu en connaissance de cause, que l'Assemblée nationale et le Sénat sont à gauche, que les sondages font régulièrement état d'une majorité de la population en faveur du mariage pour toutes et tous, que la France a déjà 12 ans de retard sur les Pays-Bas et presque 9 sur l'Espagne en la matière.
Cette manifestation a su mobiliser les personnes bien au-delà du milieu associatif, et des citoyennes et citoyens LGBT ou supporters, car il s'agit d'un sujet de société, d'une question d'égalité et de justice sociale. C'est ce qu'ont compris les autres forces ayant contribué à cette marche, car tout le monde ressent la fierté que la France aurait à retirer de cette avancée. Il faut rappeler que c'est par l'inclusion et en réduisant les divisions de la société que notre pays marquera l'Histoire. "Liberté, égalité, fraternité." « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Dans le pays des Lumières, se rejoindre autour de cet objectif devrait être une évidence.
On note d’une part une faible transversalité entre des mouvements en faveur des droits de personnes (précarité au travail, droits des migrants, droit à la santé…), d’autre part une coupure entre les revendications sociales (emploi…) et sociétales (droits LGBT, des femmes, lutte contre le racisme...). Comment ces luttes pourraient-elles s’aider mutuellement ?
Comme je viens de le dire, il ne faut pas rechercher ce qui divise ou ce qui particularise les luttes, mais bien ce qui les rassemble.
En l'occurrence, il s'agit notamment de l'égalité et de la dignité humaine.
Les revendications en faveur des droits des personnes, sociales et sociétales, participent toutes à ce même objectif, avec des approches complémentaires. Mettre en œuvre la transversalité ne peut se faire qu'en communiquant, en mettant en lumière les rôles respectifs de chacune et chacun, et à condition que chaque composante investisse pleinement son rôle et y reste. La question des LGBT-phobies au travail en est un exemple type : son traitement nécessite que les associations de défense des victimes et de droits LGBT, l'État, ses services déconcentrés ainsi que les partenaires sociaux œuvrent ensemble, et non en silo.
La reconnaissance et la promotion de la ligne d'écoute de SOS homophobie ont été annoncés récemment dans le cadre du Plan gouvernemental de lutte contre l'homophobie et d’un partenariat. Comment concevez-vous ce partenariat institutionnel et l’évolution de votre rôle ?
Ce partenariat constitue, pendant la durée de celui-ci, une belle reconnaissance de l'utilité et du sérieux de notre travail, ainsi qu’une opportunité de défendre encore mieux les victimes. C'est la ligne d'écoute de SOS homophobie en tant que telle qui est reconnue. Ce partenariat se fera dans le respect de notre indépendance et du caractère non partisan de notre association. Nous sommes en train d'échanger avec les équipes de Najat Vallaud-Belkacem sur les modalités précises de ce partenariat, visant notamment à mieux faire connaître notre ligne d'écoute et à la rendre encore plus accessible. Fondamentalement, cela ne représente pas une évolution de notre rôle. Nous pouvons en revanche nous attendre à une augmentation du nombre d'appels suite à cette visibilité accrue.
Quelle appréciation portez-vous sur le plan en question et sur les moyens qu’il faudrait y consacrer ?
La constitution de ce plan est la synthèse d'un travail très dense et ce projet est porté au plus haut niveau. Le gouvernement l'assume et communique dessus. Par ailleurs, il couvre plusieurs axes complémentaires et nécessaires. Ce sont autant de points très encourageants. Evidemment, SOS homophobie l'aurait souhaité plus étoffé, allant quelques pas plus loin. Mais il ne faut pas oublier que ce plan est inédit et qu'il représente avant tout une base. La question des moyens s'examine principalement avec un filtre : quelle priorité donnera le gouvernement à la mise en œuvre de ce plan GBT-phobies devient accessoire, il faudra s'alarmer sur la pérennité de ce plan. C'est pourquoi SOS homophobie demeurera vigilante et rappellera régulièrement ses constats et analyses sur les violences et discriminations LGBT-phobes.
Si les trois volets ‘‘mariage pour tous, adoption et PMA’’ étaient adoptés par le Parlement, quelles orientations futures allez-vous donner aux revendications de SOS homophobie ?
Avant tout, je rappelle que ces revendications, davantage médiatisées actuellement, constituent une partie de ce que nous portons, mais pas l'exclusivité. À l'occasion de la campagne présidentielle, nous avons posé douze questions aux candidates et candidats. (1)
Ainsi, il reste notamment à modifier le critère de discrimination "identité sexuelle" en "identité de genre", à revoir les critères d'accès au don du sang pour réfléchir en termes de pratique à risque et non pas de population à risque, critère excluant de facto les hommes homosexuels ou bisexuels, à demander officiellement aux entreprises de mettre en place des formations de lutte contre les discriminations LGBT-phobes au travail, à former les agents de la fonction publique contre l'homophobie et la transphobie, à mettre en place un plan national de prévention spécifique sur la santé sexuelle des lesbiennes, etc.
Nous avons également intégré à notre corpus revendicatif cinq revendications pour lutter contre la transphobie. L'objectif est d'alléger la procédure de changement d'état-civil, de remettre les personnes trans au cœur du choix concernant un éventuel parcours médical, de respecter le genre choisi des personnes trans pour les conditions de détention et de retirer la transidentité de la liste des troubles mentaux de l'OMS.
Et il ne faut pas oublier que le cœur de notre action réside dans le soutien aux victimes et dans la prévention. Or, notre activité sur ces sujets nous fournit régulièrement d'autres sujets d'indignation et d'autres avancées à porter.
Entretien réalisé par Philippe Stierlin, 18 janvier 2013
Paru dans Cerises N° 166
(1) /www.sos-homophobie.org/presidentielle.