La question artistique semble absente de la campagne électorale ou du moins elle ne semble pas faire débat à gauche, et pourtant..
A Nantes, François Hollande, devant un public de professionnels (venus, semble-t-il, entendre le "prochain" président...) a eu des mots très durs sur la politique culturelle de l'actuel occupant de l'Elysée en dénonçant, notamment, la RGPP et les coupes budgétaires. Quelques "envolées " plus loin, il précisait que la question n'était pas « uniquement » budgétaire et qu'il souhaitait « sanctuariser » le budget de la culture (en clair ne pas l'augmenter.).
Il est temps d'enflammer ce débat et d'en faire un enjeu politique. Les fractures qui traversent notre société, la montée des racismes, des peurs, les tensions multiples appellent une mobilisation populaire en faveur d'une vie digne où le partage et le respect mutuel s'appuient sur une vie culturelle riche. Pour ne pas se tromper d'ennemi, il faut apprendre le monde. Pour lutter pour plus de liberté d'actions, dans l'entreprise comme dans la cité, il faut des projets d'éducation populaire sur tout le territoire. C'est un enjeu de civilisation.
Deux propositions pour ouvrir le débat :
* D'abord il faut finir avec la main mise des sociétés de production sur les programmations artistiques. Dans le secteur théâtral et singulièrement dans le milieu musical, elle se comporte en prédatrice. La loi de l'offre et de la demande n'a aucune limite et rares sont les programmateurs qui osent tenir tête à ces vendeurs d'art d'un nouveau genre. Les prix de vente varient de 1 à 10 et plombent les budgets des salles de concerts et des collectivités. Les prix n'ont plus aucun rapport avec l'économie réelle du secteur. Cette hausse des prix (on parle de 130 000 euros pour un concert de Noah...) ne profite évidemment pas aux intermittents sur le plateau ou en coulisse mais à des têtes d'affiches aux salaires footballistiques et des sociétés de productions aux frais de communication budgétivores. Les grands perdants sont les artistes, les programmateurs, le public... Pour défendre une création vivifiée et vivifiante, il faut libérer des lignes budgétaires pour aider à la création. Pour démocratiser l'accès à la culture, il ne faut pas des marchandises dont la rareté n'a d'égal que leur aspect éphémère. Il faut des lieux culturels qui multiplient les rendez-vous, qui deviennent des lieux de vie où le public apprend à prendre des risques. Alors ? Qui osera remettre les sociétés de production et la loi de l'offre et de la demande à leur place ? Qui ?
* Autre sujet étrangement absent des différents programmes, il faut questionner la gouvernance des lieux culturels ! C'est un sujet d'une opacité sans nom et c'est un véritable tabou à gauche. Qui dirige les lieux culturels ? Qui tire les bilans et sur quels critères ? Tétanisés par la peur de restreindre la liberté de création, les élus des collectivités ne sont pas à l'aise avec ce genre de questions. Les équipements culturels, qu'ils soient associatifs ou gérés par des collectivités, sont pourtant financés par les impôts de tous. L'absence des artistes dans leur gestion est un symptôme de notre époque qui les considère comme des produits et non comme des acteurs potentiels d'une vie artistique largement diffusée au cœur de la société. De la même manière, les citoyens sont devenus des spectateurs/consommateurs et non des spect'acteurs (selon le bon mot de l'ami Lubat). Que risquent les salles de spectacles à faire entrer le public dans la vie quotidienne de leurs lieux ? Comment élargir le public en ne comptant que sur la communication et sans s'appuyer sur la force d'une mobilisation sociale ? De quelle appropriation parlons-nous quand tous les pouvoirs sont confisqués ? Évidemment le public ne peut pas tout faire, c'est pour cette raison qu'il y a une multitude de métiers dans la culture. Mais enfin, comment transformer la société par l'art sans leur faire une place dans la gestion des lieux culturels qui doivent devenir des lieux de vies, de débats, de rencontres tous azimuts ? Qui ouvrira le débat sur le partage du pouvoir dans les lieux culturels ? Qui ?
Prenons le pouvoir ? Chiche !
Laurent Eyraud-Chaume