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Billet de blog 19 octobre 2012

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Pierre Laurent : entre intelligence de la raison et timidité des intentions

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Dans son livre Maintenant Prenez le pouvoir, Pierre Laurent s’attache à la fois à valoriser l’implication du PCF dans le Front de gauche et à aborder, sans strass et sans paillettes, avec pragmatisme, les questions posées à son parti pour l’avenir.

Éditions de l’Atelier 144 p. - 10 €

« Nous souhaitons littéralement faire "place au peuple" afin qu’il sorte de l’invisibilité dans lequel il a été plongé durant trente années de politiques néolibérales », souligne à plusieurs reprises le secrétaire national du PCF, marqué par le succès du slogan "Prenez le pouvoir" pendant les dernières campagnes électorales. Le propos porte loin : il s’agit de « changer les finalités même de l’exercice du pouvoir tel qu’il a été organisé depuis maintenant vingt ans ». L’auteur précise : « La première des questions posées aux forces de gauche est donc de récupérer du pouvoir pour le restituer à la collectivité. La question essentielle est en fait celle-ci : la gauche va-t-elle se servir du pouvoir dont elle dispose dans les différentes institutions pour permettre à la société, aux citoyens, de reprendre le pouvoir sur les choix vitaux dont ils sont dépossédés. »

Récupérer - redonner le pouvoir ?

On est loin des formes passées où le PCF était censé incarner les espoirs du mouvement populaire et où le rôle des citoyens était borné à manifester et à voter pour envoyer un maximum d’élus estampillés dans les institutions. Mais une limite pointe : faut-il, en premier lieu, que les "forces de gauche" récupèrent du pouvoir, pour, en second lieu, le redonner aux citoyens ? Ou faut-il changer la nature même de l’action politique, dépassant le rôle actuel des forces politiques (relais des attentes populaires dans les institutions) au profit d’une fonction d’éducation populaire (qui fut celle du PCF dans ses périodes de puissance) et de stimulation de l’appropriation citoyenne des pouvoirs (fonction à inventer, pour la plus grande part). Contrairement à ce que craignent les sensibilités orthodoxes du PCF, ces fonctions ne seraient-elles pas en définitive beaucoup plus larges et plus profondes que le rôle actuel des partis, dans la mesure où serait considérablement revalorisé le lien entre le poids culturel des idées (la recherche d’une hégémonie idéologique) et le rôle de l’organisation politique ? Le livre a le grand intérêt de nourrir le débat.

Pierre Laurent poursuit sa réflexion sur un autre registre : celui de la nécessaire « combinaison entre la mobilisation sociale et un travail d’élaboration et de conquêtes politiques au sein de tous les lieux de pouvoir : entreprises, collectivités territoriales, régions, Parlement, jusqu’à l’échelle européenne ». En ramenant les enjeux de fond au concret, il marque un point. Mais dans le même temps il survole le problème de l’épuisement des formes traditionnelles de représentation.

Le problème sera cependant effleuré plus loin dans l’ouvrage : « L’abstention s’accompagne d’une distorsion de la représentation politique : des groupes sociaux entiers (…) sont fortement minorés au sein de la représentation politique nationale et locale. (…) Nous ne sommes pas confrontés à un problème de désinvestissement politique, mais bel et bien à la permanence de logiques de domination de classe ou de genre. » Et d’évoquer le cas du PCF : « Nous rencontrons au Parti communiste des obstacles sérieux dans la mise en œuvre de cet effort. La cause en est simple : nous ne sommes pas épargnés par les rapports sociaux et culturels de domination. » Mais comment se fait-il qu’une organisation dédiée au combat pour l’émancipation soit donc tellement conforme au fonctionnement de la société qu’elle combat ? Et aussi : quelles sont les logiques spécifiques à l’œuvre au sein du PCF qui, même lorsque la volonté existe, l’empêche d’avancer (comme c’est le cas sur la parité depuis des années) ? Quelles pistes nouvelles pour en sortir ? Au moins, P. Laurent souligne-t-il la nécessité de « briser le vase clos des débats entre militants des partis ».

Quel avenir pour le PCF ?

P. Laurent valorise l’engagement du parti dans la stratégie du Front de gauche, qui, selon lui, montre que « les communistes » (lire : les membres du PCF) « ont repris confiance en eux et fait au même moment un pari sur leur avenir ». On lui donne acte que maintien du PCF et lancement du Front de gauche sont allés de pair, mais l’idée même ressemble au Front de gauche "bouée de secours du PCF" souvent présente dans la presse, tandis que l’image du PCF n’a pas changé en profondeur pour le plus grand nombre. Dans la même veine, pour l’auteur, la « refondation communiste » (clin d’œil aux refondateurs, qui ont quitté le parti par vagues successives ?) est aujourd’hui « fondamentalement engagée ». Sans doute le diagnostic est-il "fondamentalement optimiste", mais c’est le dirigeant du PCF qui parle : « Le Parti communiste a repris son développement en se transformant profondément », et, avec la prise en compte de la question écologique, il est désormais « en phase avec le moment historique ».

Cependant, P. Laurent ouvre un débat stratégique, qui fait écho aussi bien au plaidoyer d’Edgar Morin qu’à la stratégie fédérative qui anime la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE) : « Des conditions de convergence nouvelle apparaissent entre des citoyens et des forces inspirées par trois grandes traditions politiques » (communiste, socialiste, écologiste). Et d’aborder l’émergence de nouveaux espoirs politiques dans plusieurs régions du monde ainsi que la naissance et le développement d’une « gauche d’alternative ». Après des années où il ne fallait pas parler de deux gauches, et où parler d’une gauche polarisée entre deux options principales (adaptation ou transformation) était mal vu, les termes changent. En tous les cas, les années Jospin sont vitriolées, après le rappel - cruel pour aujourd’hui - de l’épisode où le premier ministre, de retour de la conférence du sommet d’Amsterdam, dès juin 1997, avait affirmé avoir obtenu un pacte de croissance : « Le pacte fera long feu. Les logiques libérales entérinées par ce sommet balaieront tout. Le gouvernement de gauche se pliera pour l’essentiel à la vague de fond néolibérale qui submerge alors l’Europe. »

 Reste les points en suspension du livre, auquel on ne reprochera cependant pas de ne pas déjà déterminer la feuille de route du PCF alors que s’amorce seulement la préparation du congrès. « Le Front de gauche est aujourd’hui un espace politique inédit où cohabitent des formations politiques et leurs adhérents, et une dynamique citoyenne beaucoup plus étendue. Pour faire vivre cet espace inédit, des formes vont devoir être inventées. » Oui, mais lesquels ? « On doit pouvoir se joindre aux activités et prendre part aux décisions sans être membre d’un parti. » D’accord à 100 %, mais comment ? Quid des adhésions directes au Front de gauche et de ses assemblées locales ? Vient l’idée : « Si l’association des citoyens doit être poussée, c’est dans une démarche beaucoup plus globale qu’il faut se lancer. Le travail d’élaboration des propositions, le choix des candidats, le contrôle des élus : tout doit irriguer et rénover en profondeur la vie démocratique. » Encore une fois très bien, mais si l’on porte un regard sur la séquence électorale 2011-2012, par exemple sur la manière dont le Front de gauche a construit ses candidatures aux législatives, ne peut-on constater qu’il y a loin de la parole aux actes ? De fait, l’intention est explicite mais jusqu’à présent les faits sont têtus.

Au cœur du projet : l’égalité et les libertés

Sur l’analyse de la société et la question du projet, certaines pages donnent une vision un peu unilatérale du tsunami libéral : « Tout ce qui pouvait freiner la libre circulation des capitaux et des marchandises a été littéralement balayé pour laisser place à la loi de la concurrence. » Mais n’y a-t-il pas, tout de même, encore beaucoup à défendre, en France notamment ? N’y-a-t-il pas de nombreuses résistances, sous des formes très variées, des mouvements populaires à l’action de certains organismes internationaux onusiens ? Plus loin, l’auteur formule d’ailleurs l’idée que « les fondamentaux de notre société restent la solidarité » : contradiction ? Par contre, l’auteur parvient à la fois à reprendre à son compte des expressions clefs d’une approche radicale - notamment celle de la lutte des classes -, tout en soulignant que le combat pour l’égalité réelle a longtemps considéré les libertés comme secondes et qu’un enjeu déterminant pour la suite est de considérer que la démocratie est une condition de l’émancipation.

Le livre finit sur le rapport au gouvernement actuel, balançant entre l’idée d’une « victoire de la gauche » (« on en fait quoi, tout de suite ? ») et la nécessité de batailles à mener contre le nouveau traité européen, contre la règle d’or, sur le budget et face aux plans de licenciements. Ainsi : « Le pouvoir socialiste ne sera pas imperméable à ces mobilisations si elles sont importantes, argumentées et populaires. » Un vœu qui convient comme posture immédiate – les luttes sont utiles, on peut changer le cours des choses -, mais tout de même assez éloigné d’une stratégie d’émergence d’une nouvelle gauche, de transformation.

 Au total, si l’on donne gage à Pierre Laurent de creuser le sillon d’une démarche politique et d’un PCF en évolution, on s’interroge : vu l’ampleur des enjeux actuels et vu ce que sont ses ressources internes, tenant compte de l’éparpillement et d’une motivation ténue des communistes - membres ou non du PCF -, faut-il rechercher une refondation du PCF sur lui-même ou, d’une manière ou d’une autre, ouvrir le champ d’un nouvel espace communiste au sein d’un Front de gauche transformé ?

Gilles Alfonsi, 19 octobre 2012

Article paru dans Cerises N°156, rubrique les Gateaux

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