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Billet de blog 25 mars 2013

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Pour une bataille de l'information

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De quoi l' "information" est-elle le nom ? Marchandisation, idéologie dominante, uniformisation de l'image et des contenus des "grands médias"... la bataille pour une information outil de l'émancipation est plus qu'urgente. Un plaidoyer prononcé par Jean Gersin, syndicaliste.

L'information est enserrée dans une industrie des biens culturels et de communication de masse, régie par les normes communes aux entreprises à l’ère du libéralisme économique et politique. Y triomphent les gestionnaires qui placent au centre de ces sociétés de production d’informations les normes de rentabilité interne. Tel est le tribut payé à la domination des Bouygues, Dassault, Seydoux, Bolloré, Bernard Arnault, Crédit Mutuel, Crédit agricole, Niel, mais également des géants du Net, Google, Facebook, Apple, Yahoo…

 La production de l’information ne saurait être réduite, pour autant, au seul point de vue de sa rentabilité immédiate. Bien sûr que l’information est ravalée au rang d’une "marchandise ordinaire", selon l’expression mille fois répétée. Mais l’aspect le plus remarquable, c’est qu’elle est surdéterminée par l’idéologie propre à glorifier les propriétaires de cette industrie, et par dessus tout à conforter un système global fondé sur une mondialisation libérale spécialement destructrice. Ce système d’une froideur crépusculaire et d’un égoïsme himalayen, plus que jamais, a un impérieux besoin de contrôle des médias pour fabriquer les artifices de sa légitimité défaillante.

« ...un passé ripoliné, devenu lui-même marchandises débitées en tranches de séquences nostalgie... »

L’information a comme fonction d’installer les consommateurs dans un présent perpétuel, qui élimine toute capacité de projection dans un futur alternatif. Elle établit un rapport obsessionnel à un passé ripoliné à sa mesure, devenu lui-même marchandises débitées en tranches de séquences nostalgie, de commémorations convenues, de bréviaires perpétuels des idées reçues, d’obligations mémorielles calibrées. L’information, en plus de fournir un véhicule à l’émotion immédiate, affirme jour après jour que TINA, There Is No Alternative. Tout au plus conviendrait-il de réformer, savoir réformer, lever les obstacles aux réformes, mot magique pour dire qu’en somme il n’est envisageable que de corriger à la marge le seul système possible. Voilà pourquoi l’histoire est évacuée, le temps de l’information s’accélère pour jouer un rôle hypnotique, à l’instar des lasers et des spots des boîtes de nuit.

Le principe entrepreneurial de la compétitivité, c’est-à-dire la nouvelle raison du monde, a saisi le langage de l’information. Les écoles de journalisme ont intégré les cours de gestion, et les universités sont sommées de répondre elles-mêmes aux injonctions de la rentabilité, tant pour leurs propres comptes que pour leurs contenus. Si le point de vue critique n’est pas totalement évacué des lieux de formation, les mass médias font, elles, la part belle aux experts.

Les figures du journaliste indépendant, engagé, ou de l’intellectuel critique ont cédé le pas à une théorie d’experts en tout genre, qui, au gré des événements, sortent des placards et font la tournée des médias pour y dispenser quelques banalités bien senties.

« Les experts distillent leur savoir supposé au service de l’espace marchand de l’information, excluant tout point de vue critique. »

Ainsi l’espace public, qui au XXe siècle conférait au journaliste et à l’intellectuel la possibilité de jouer un rôle intermédiaire entre la société civile et l’État, est réduit au marché. Les experts, qui peuvent être parfois des spécialistes par ailleurs respectables, voient leur rôle prédéfini et intangible : ils distillent leur savoir supposé au service de l’espace marchand de l’information, excluant tout point de vue critique. Les sociétés d’information attendent d’eux une posture équilibrée, pesant savamment les patates dans un commentaire érigé en neutralité de principe et de façade. L’expert est le savant de la cour du prince.

Les politologues, une espèce très en vogue d’experts, scrutent à loisir les paroles, les votes, les soubresauts des partis comme s’ils étaient des naturalistes disséquant des batraciens. Ils occupent la place de commentateurs s’estimant mieux avisés que les militants, espèces à exclure, à fustiger ou à moquer, au nom de l’idéologie de la fin des idéologies. Il en va de même pour les experts sociaux, issus des cabinets d’expertise comptable ou des officines sociales des ministères et des entreprises. En météorologues autoproclamés du monde du Travail, ils arrosent de leur eau tiède la moindre lutte, le moindre fait social. Au sein d’un ensemble déterminé par le périmètre suivant : comme il va de soi qu’il ne peut y avoir de solution alternative, il convient de conforter le meilleur des mondes possibles, celui que nous subissons. Alors subissez-le !

« Le moindre son, la moindre image, toutes paroles passent par la communication officielle de l’armée de métier. »

L’autre membre du couple à l’honneur dans l’industrie de masse de l’information est facile à identifier, ce sont les services de communication. De la star du sport à l’état major des armées en passant par l’Elysée et le groupe industriel, les agents de communication dessinent un écran sur lequel ils projettent les vérités concoctées dans leurs officines. Allez donc voir au Mali pour vous faire une véritable opinion indépendante sur la guerre. Le moindre son, la moindre image, toutes paroles passent par la communication officielle de l’armée de métier. Le Vatican, les produits William Saurin ou Areva procèdent de la même manière. Les mass médias attendent de l’expert un ton bien tempéré, qui au fond n’est qu’un bavardage superficiel et de diversion sur des événements complexes.

Le couple experts+officines de communication a réussi à brider depuis des années tout débat économique, alors que le système est en proie à des convulsions sans fin. Les économistes attitrés du pouvoir ont évacué les économistes atterrés, ou tout autre voie émanant d’une école un tant soit peu contestatrice de l’ordre marchand. C’est certainement sur ce terrain que l’imposture médiatique est la plus pernicieuse. La corporation des communicants et la guilde des experts participent à la même chorale, au même unisson : « Que voulez-vous Madame Michu, c’est comme ça, faut y passer, y a rien d’autre à faire… »

L’industrie de l’information de masse joue sur l’intériorisation de la défaite. Dans les rangs du mouvement qu’on nommait naguère ouvrier, partis, associations et syndicats, la figure du militant "en prise" avec son environnement social se doublait d’un journal, quotidien de préférence. Mais aujourd’hui, toute une génération de militants du mouvement ouvrier peine à envisager l’avenir, tant elle a intériorisé les défaites du XXe siècle. 1989, bicentenaire de la Révolution, a été l’année de l’effondrement du mur de Berlin. 10 ans auparavant, en 1979, celles et ceux, ivres de bonheur à la vue de l’entrée du char du Vietcong dans l’enceinte de l’ambassade US de Saïgon (1975), ont découvert les charniers de Pol Pot et des Khmers rouges. Sans parler de la disparition dans les sables mitterrandiens de l’espoir de l’Union de la gauche et du Programme commun. Pour beaucoup d’autres, toutes les révolutions du XXe siècle se sont retournées en leur contraire.

D’ailleurs, la lucidité commande de discerner parmi les experts ceux - ils sont nombreux - qui ont tourné casaque, à la faveur des désillusions dont ils ont fait commerce.

 « Comment oser parler d’avenir dans les médias avec ce passé-là ? », se demande-t-on. Comme si l’histoire s’était vraiment arrêtée avec la fin du XXe siècle ! Comme si le livre noir du capitalisme s’était refermé sur un happy end !

En ces temps incertains où l’avenir se dérobe, l’industrie des biens culturels et informatifs de masse propulse sur le devant de la scène les personnages habilités à obtenir "une visibilité médiatique". Et assassine les autres. Dès lors, dans les partis traditionnels, les communicants prennent la place des militants, les think tanks celle de l’intellectuel collectif que devrait être l’organisation, du moins celle du mouvement ouvrier.

La neutralisation de la pensée politique s’opère par la réduction de tout programme à une somme de tactiques électorales calibrées pour le passage dans les médias. Les think tanks rivalisent de platitudes, d’abandon de toute audace, et fournissent le terrain le plus fertile à l’extrême droite, c’est-à-dire le conformisme le plus plat de la pensée de l’establishment.

Ainsi s’opère une mutation des partis dans leur attitude à l’égard de l’information. Ils calculent la visibilité dont ils pourraient profiter, le buzz qu’ils pourraient déclencher. Comme but en soi. Comme existence médiatique substitut de l’existence réelle, de l’espérance de peser dans les choix de la cité.

Il n’y a pas de neutralité ni des technologies numériques ni du Net. Le capitalisme d’après les Trente Glorieuses abandonne l’organisation fordiste du travail et privilégie la structure en réseaux globalisés. S’établissent des affinités électives entre le mode de production et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, qu’il affectionne de présenter comme sa création, son génie en marche.

En fait le Net ne représente ni l’enfer ni le paradis. Terre de merveilles comme le Lot, il élargit à une masse considérable de gens l’accès à des biens culturels autrefois hors de portée. De façon incontestable, les générations du Net en savent plus, d’autant qu’elles connaissent en même temps l’accès à l’université de masse. Elles considèrent à bon droit le Net comme un espace de liberté et d’accès garanti à la culture et à l’information. Le Net est le support d’un renouveau de la bataille de l’information, en témoigne Médiapart et quelques autres initiatives éditoriales.

Dans le même temps, le World Wide Web charrie une quantité sans précédent de scories de la société globale. Rumeurs, calomnies, racisme et homophobie, fausses nouvelles, opérations publicitaires cachées et permanentes, tous les coups sont permis dans la partie sombre du Net.

C’est dire qu’en soi le Net n’est pas une utopie créatrice, mais seulement le vecteur possible d’une nouvelle espérance. À condition de la façonner.

 Conclusion:

L’uniformisation de la forme marchande de l’information offre à ses producteurs la possibilité de masquer les rapports sociaux de domination tout en pratiquant cette domination. Voilà qui à nos yeux valide la critique de l’idéologie qui y transite. C’est pourquoi la bataille de l’information est un des débouchés naturels d’un discours de l’espérance et de l’émancipation sociale. Mener cette bataille revient à poser l’affrontement idéologique en d’autres termes que la manière de conquérir une exposition médiatique de porte-paroles, si talentueux soient-ils. Il s’agit moins de recettes d’utilisation des tuyaux que d’affrontements idéologiques. Et tant pis si nous nous trouvons dans la position fameuse du pot de terre contre le pot de fer. Du temps de la Ronéo et du stencil, nous disposions de bien moins de moyens, mais de bien plus d’espoir. C’est par ce bout-là, l’espoir, qu’il faut recommencer. Et nous ferons des étincelles médiatiques…

 Jean Gersin syndicaliste, 22 mars 2013

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