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Billet de blog 27 avril 2013

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Impressions du Forum social mondial

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un FSM riche en rencontres, marqué par les mouvements populaires au Maghreb et leurs répercussions. Et l'affirmation d'une nécessaire convergence pour « défaire le système capitaliste ». Gérard Badeyan nous livre ses impressions.

J'ai participé au Forum social mondial de Tunis qui s'est déroulé du 26 au 30 mars dernier. Le FSM, ce sont plusieurs dizaines de milliers de participants et plus de 1 000 débats.  Autant dire que la notion de compte rendu n'a pas de sens et qu'il s'agira simplement ici de fournir quelques impressions personnelles.  D'autres parmi les organisateurs ayant une vue d'ensemble et surtout historique tireront des enseignements plus généraux et politiques sur sa portée et les perspectives  nouvelles qu'il est susceptible d'ouvrir.

Dès l'arrivée à l'aéroport on est dans l'ambiance car l'agent du contrôle des passeports vous demande si vous venez participer au forum.  Les rues sont bordées de banderoles de bienvenue et ensuite, à l'hôtel, on s'aperçoit au petit déjeuner qu'il est complet du fait des participants. L'avenue principale Bourguiba, lieu emblématique de tous les rassemblements, est transformée en lieu de déambulation des altermondialistes, reconnaissables au sac en bandoulière et au carton d'inscription passé autour du cou.

L'appel des mères et familles des migrants tunisiens disparus

Ma première rencontre, dans l'avenue Bourguiba justement, est lourde de sens et d'émotion : il s'agit des mères et familles des jeunes partis en mer et disparus, pour beaucoup malheureusement certainement noyés, mais pour certains ayant donné des signes de vie par téléphone ou encore ayant été reconnus à la télévision mais impossibles à joindre néanmoins. Les familles supposent qu'ils se trouvent en détention, quelque part en Italie. Les autorités italiennes refusent toute information et enquête et les autorités tunisiennes font la preuve de leur mépris de leur propre peuple et de leur soumission à l'ordre néolibéral en n'entamant aucune démarche de soutien aux familles ni de recherche de leurs ressortissants. Les familles ont fait un travail considérable d'enquête et connaissent les dates et lieux de départ, de quels bateaux il s'agissait, le nombre de passagers, tous les renseignements concernant les appels émis durant la traversée. Les familles disent aussi qu'elles savent très bien à quel point et avec quels moyens sophistiqués la mer est surveillée par les puissances européennes, et que les informations sont archivées. Elles réclament donc une commission d'enquête qui utiliserait tous ces éléments pour enfin les faire sortir de cette incertitude insupportable.

Une représentation française importante

Les participants français sont nombreux, plus de 500, reflet probablement de la proximité géographique et historique entre la France et la Tunisie, mais probablement aussi de la vivacité de la sensibilité altermondialiste. Les bonnes nouvelles sur la situation en France sont suffisamment peu nombreuses pour ne pas faire la fine bouche! Les délégations du Crid et d'Attac sont particulièrement fournies, ce qui est naturel, mais il est remarquable de voir la diversité des associations representées, depuis des organisations chrétiennes actives dans le domaine de la solidarité avec le Tiers monde à de petites structures  développant des projets d'agriculture solidaire.

Climat, santé publique, science citoyenne, dette, et....Thomas Sankara

Comme indiqué au début, le spectre des activités est vaste et n'étant pas moi-même organisateur d'une activité, je n'ai que l'embarras du choix. Je participe à deux ateliers sur le climat. Ce FSM est le premier qui  comporte un espace spécialement consacré au climat, ce qui caractérise bien les progrès dans la coordination des organisations agissantes sur le sujet. L'atelier sur ce que l'on dénomme la géo-ingénierie alerte sur les dangers d'apprentis sorciers qui, incapables de prendre les mesures connues et nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique, seraient tentés de  se livrer à des tentatives de manipulation du climat telles que l'augmentation artificielle d'aérosols dans l'atmosphère pour limiter l'éclairement en surface de la terre ou encore le déversement de sulfate de fer dans les océans  pour développer le plancton qui absorbe le CO2, sans préoccupation pour les effets induits non connus et non maîtrisables qui en résulteraient.  Les organisateurs insistent sur le fait que de telles idées, qui apparaissent à juste titre farfelues au profane, sont à prendre au sérieux car le prochain rapport du GIEC prévu pour l'an prochain mettra clairement en évidence que le point de non retour vers un emballement du réchauffement approche et que certains politiques pourraient être tentés dans ces conditions d'y chercher une échappatoire.

L'atelier sur le thème de Notre santé n'est pas à vendre permet le renforcement des liens déjà existants entre les nombreux collectifs agissant dans les différents pays contre les mêmes effets dévastateurs des politiques libérales dans le domaine de la santé des populations.

Je participe à un autre atelier organisé par la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques sur le thème de la responsabilité citoyenne des travailleurs scientifiques (1). Comme pour le climat, les progrès dans la construction progressive d'un réseau mondial rassemblant scientifiques qui se veulent citoyens et citoyens interrogeant le rôle social de la science sont mis en lumière ; depuis 2009 un Forum mondial sciences et démocratie (FMSD) se tient à la veille du FSM ; ce fut le cas pour le FSM précédent de Dakar et la troisième édition s'est tenue à Tunis juste avant ce FSM-ci. Il est intéressant de savoir que le secrétariat international chargé de la coordination du FMSD est composé de deux organisations françaises : l'association française des Petits Débrouillards et la fondation Sciences citoyennes, avec le soutien d'une association sénégalaise. Le rapprochement avec l'atelier sur la géo-ingénierie est intéressant sur le plan de la transversalité des débats au sein du forum. En effet, dans cet atelier une tendance était perceptible à imputer les dérives technicistes à la science en général et non à une utilisation dévoyée de celle-ci, et une confrontation, que je n'ai pas eu l'opportunité d'engager personnellement, aurait pu être utile avec cet atelier sur la science citoyenne.

L'atelier sur la dette, très suivi, a donné lieu à une conférence remarquable d'Eric Toussaint, fondateur du Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (2) à partir de son expérience au sein de la Commission présidentielle de l'Equateur pour l'audit de la dette publique qui a abouti au non paiement d'une partie substantielle de celle-ci et, du coup, à la réouverture de marges de manoeuvre pour le gouvernement socialiste de Rafael Correa. Eric Toussaint a ainsi mis en évidence, à partir de cette expérience positive, à la fois la nécessité impérieuse d'être offensif sur cette question et les possibilités réelles existantes alors que souvent le sentiment prévaut que s'attaquer aux marchés financiers serait suicidaire, sans masquer les contradictions qui ne sont parfois pas là où on les attend. Ainsi le gouvernement du Paraguay de Fernando Lugo, avant son éviction par un coup d'État institutionnel, n'a pas mis en place de commission présidentielle d'analyse de la dette analogue à celle de l'Equateur par suite de pressions du Brésil qui est un de ses principaux créanciers. L'aspect nouveau et décisif en termes de convergences est évidemment que la question de la dette n'est plus simplement une question du Tiers monde comme à la fondation du CADTM mais  est désormais au cœur des luttes des peuples européens.

Je participe également à un atelier organisé par l'association Survie (3), dont un des objectifs est de de soumettre aux règles de la démocratie et aux principes de l’équité la politique de la France en Afrique. Elle milite ainsi pour le démantèlement de la "Françafrique" et vient en particulier de protester contre la réception récente par François Hollande du dictateur congolais Denis Sassou Nguesso qui le légitimise ainsi, bien qu'il fasse partie des chefs d’État visés par  une procédure judiciaire sur les "Biens mal acquis". L'atelier se donne pour but de populariser la pensée politique de Thomas Sankara (4) par des exposés  et sous une  forme originale d'ateliers qui permettent à un petit groupe de participants de mieux se connaître et mieux discuter. Ainsi, dans le mien, je fais la connaissance de deux jeunes participants français militant dans des associations de banlieue, autre signe de la richesse de la participation française.

L'atelier était aussi un lieu de soutien à la demande d'enquête pour faire la lumière sur l'assassinat de Sankara. En effet de nombreux témoignages mettent en cause Blaise Compaoré, chef du Burkina Faso depuis cet assassinat, avec la complicité d’Houphouët Boigny, mais aussi de la France, de la CIA et d’autres personnalités africaines. Un premier succès a été obtenu quand, en avril 2006, le Comité des droits de l’homme de l’ONU, saisi par le collectif juridique de la Campagne internationale Justice pour Thomas Sankara (CIJS) au nom de la famille, donnait raison aux plaignants et, demandait à l’État burkinabé d’élucider l’assassinat de Thomas Sankara, de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale, de rectifier son certificat de décès (qui mentionnait  initialement un décès de cause naturelle !), de prouver le lieu de son enterrement, de compenser la famille pour le traumatisme subi, et de divulguer publiquement la décision du comité... Cette décision était une première. Pourtant le 21 avril 2008, le Comité des droits de l’homme de l’ONU, en contradiction totale avec la décision précédente, a clos le dossier sans qu’une enquête ait été diligentée. Suite à cette décision, un collectif international soutenu par de nombreuses ONG a lancé, en décembre 2009, une pétition réclamant une enquête internationale indépendante et l’ouverture des archives, en France notamment, qui pourraient amener des éléments nouveaux sur cette affaire qui illustre l’histoire de ce qu’il est convenu d’appeler la "Françafrique", ce mélange de réseaux français et africains occultes.  Puis douze députés du Burkina Faso ont écrit en avril 2011 aux parlementaires français pour demander l’ouverture d’une enquête parlementaire en France sur l’assassinat de Thomas Sankara. Cette demande a été répercutée par une proposition de résolution déposée en juin 2011 par 21 députés écologistes et du Front de gauche, renouvelée dans la nouvelle législature par le groupe du Front de gauche.

Le voile et... la burqua

Venant de France avec le débat incessant sur le voile et sa signification, la vue de cette multitude de participantes le portant permet de relativiser la question et de se fortifier dans l'idée de son aspect fortement culturel dans la société tunisienne. J'ai ainsi de nombreuses photos de participantes le portant dans des groupes progressistes, y compris, par exemple, dans les groupes réclamant la vérité sur l'assassinat du dirigeant progressiste Chokri Belaïd.

Pour autant, on rencontre aussi des groupes de femmes, mais pas d'hommes, distribuant du matériel de propagande pour l'Islam dans une atmosphère bon enfant. Par contre, c'est avec surprise  que l'on découvre un emplacement dans un bâtiment occupé par un groupe de femmes portant la burka provenant de la faculté de la Mannouba, lieu d'un affrontement sérieux avec les groupes salafistes avec, en particulier, un procès intenté au doyen pour prétendue violence sur une étudiante, sur le thème du droit aux études pour les femmes faisant ce choix de porter la burqa. Pour les forces progressistes, le doyen est une figure de proue de la résistance à l'offensive de ces groupes, ce que m'avait rappelé un ami tunisien que j'avais rencontré lors de la marche d'ouverture lorsque, par hasard, nous y avons vu le doyen dans un groupe.  On peut dire que cet espace, qui n'est pas un stand homologué, suscite la curiosité de quelques participants étrangers et l'indifférence, ou l'évitement, des Tunisiens. Comme je lisais les textes affichés, l'un deux m'aborde pour m'expliquer leurs provocations à l'université.

Chine et Vietnam sont absents

Peu de participants viennent d'Asie : quelques  Japonais, Indiens et Philippins. Par contre, absolument aucun de Chine, du Vietnam ou encore du Cambodge. Libre à chacun de tirer ses propres conclusions politiques de cet état de fait

Exercices de libre parole

Le dernier jour, j'assiste avenue Bourguiba à un exercice de libre parole :  un groupe assis, les autres debout autour, un maître d'oeuvre qui note les demandes de parole et tend le micro, une étudiante qui traduit en français quand l'intervenant s'exprime en arabe.  De manière générale les interventions suscitent des applaudissements. Un jeune garçon exprime son soutien à la jeune Femen tunisienne qui s'était postée seins nus sur youtube pour affirmer qu'elle a le droit de faire ce qu'elle veut de son corps qui lui appartient et, depuis, vit calfeutrée chez elle du fait des menaces reçues. Cette intervention provoque des protestations qui sont elles-mêmes fortement contestées, de façon significative non pas par rapport au contenu de la discussion mais sur le principe même de la liberté d'expression.

Comment transformer en force politique ?

En conclusion, je pense qu'il y a accord pour considérer ce FSM comme un succès et un signe que cette forme de rassemblement est toujours utile alors que la crainte existait d'un essoufflement. L'idée de l'organiser dans un pays qui venait de se libérer d'une dictature s'est trouvée validée. Le forum a été investi en masse par des jeunes Tunisiens heureux de participer aux activités ou à l'organisation. Le gouvernement a compris son intérêt en termes d'image à ce que la sécurité  soit assurée et, pour tout dire, le retour en ville le soir par la ligne de bus spécialement affrêtée  avait pour moi un petit air de Fête de l'Huma. Et, comme dit plus haut, la forte et diverse présence française est réconfortante, même si la question de la convergence politique demeure posée.

Gérard Badeyan

dossier établi par Michèle Kiintz, 26 avril 2013

Ce dossier comporte également un encadré des extraits de la déclaration finale de l'Assemblée des mouvements sociaux, à lire directement sur le site (article 12973, lien ci-dessous)

(1) FMTS : voir lien ci-dessous

(2) CADTM : voir lien ci-dessous

(3) Survie : voir lien ci-dessous

(4) Site dédié à Thomas Sankara : voir lien ci-dessous

Liens externes

  • http://fmts-wfsw.org/
  • http://cadtm.org/Francais
  • http://survie.org/ et http://survie.org/mot/biens-mal-acquis
  • http://www.thomassankara.net/
  • http://www.fsm2013.org/fr/node/12973

Dossier de Cerises n° 177

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