Austérité généralisée, crise économique, climat d’impuissance collective… où l’Union européenne emmène-t-elle les peuples qui la composent ? Révolution démocratique et nouvelle espérance commune sont à l’ordre du jour. Parce que des colibris peuvent faire le printemps, Cerises s’envolera tous les quinze jours dans un pays européen. Aujourd’hui : la Finlande.
La première fois que j’ai entendu parler de la Finlande, c’était à la radio. Accords d’Helsinki par-ci, accords d’Helsinki par-là. Giscard d’Estaing comme-ci, Léonid Brejnev comme-ça. Les fameux accords de 1975, signés par 35 États, dont l'Union soviétique, les États-Unis, le Canada et les États européens mettaient le pays sur le devant de la scène. J’ai compris plus tard qu’ils marquaient la fin de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) et tentaient d'améliorer les relations entre le "bloc communiste" et l’"Occident". Bref, de sortir de la guerre froide.
Depuis, la Finlande (4,5 millions d’habitants) semble un pays si discret dans l’Union européenne qu’on se demande si elle en fait partie. Quelle importance La Norvège, autre pays scandinave, qui penserait qu’elle ne fait pas partie de l’Union ? Dans le genre harmonisation par le haut en Europe, la Finlande mérite cependant le détour et devrait nous donner des idées.
En matière de féminisme par exemple. Quand au XIXe siècle, le code Napoléon faisait de la femme française « un être de second rang si elle n’(était) pas mariée, un être mineur et incapable si elle (était) mariée », ne lui « (accordait) nuls droits politiques ou civils », la Finlande se distinguait par des mesures autrement plus progressistes : 1re femme bachelière et ouverture des études de médecine aux femmes en 1870, majorité légale avancée pour les célibataires. La Finlande fut la première nation européenne à donner aux femmes le droit de vote et d’éligibilité aux élections générales (1906). La France, elle, attendra 1944… Le pays affiche aujourd’hui la 6e place mondiale pour la proportion de femmes parlementaires (85 femmes sur 200 député-e-s, soit 42,5 %).
La Finlande est-elle pour autant un paradis blanc ? Non. Sur le plan de l’égalité salariale, tout reste à faire. Quand un salarié du privé touche 3 600 €, une femme dans le même secteur touchera 600 € de moins. Inégalités épinglées par le Comité des droits de l’homme (cela ne s’invente pas !) de l’ONU en 2004. Et soulignées par la chercheuse Anna Rotkirch de la Väestöllitto (Finnish Population and Family Welfare League) : « On assiste à un envol du travail précaire, qui concerne surtout les femmes, et entraîne une polarisation croissante entre celles qui poursuivent leur carrière et les autres, qui ont des enfants. Comme s’il fallait choisir entre les deux. »
"Epävarmat kaikkien maiden, Unite !" (Précaires de tous les pays, unissons-nous !), a-t-on envie de répondre.
En matière d’éducation, le système finlandais est lui aussi stimulant pour qui cherche à transformer l’école dans un sens différent de celui imprimé par le libéralisme. Tiens ! La mienne d’école ne m’a jamais appris qu’en 1944, après la défaite finlandaise (Guerre d’Hiver), l'essentiel de la Carélie a été rattaché à l'URSS, induisant le plus grand mouvement de population jamais connu par la Finlande. Une Carélie très présente dans la vie politique finlandaise et source de tensions avec la Russie. Mais parlons d’autre chose…
L’éducation donc. À laquelle la Finlande consacre à peu près la même part de son budget que la France. Mais, selon Mediapart (mars 2012) « sur l’échelle des enquêtes Pisa, qui mesure l’acquisition des savoirs et des compétences dans différents pays1, la Finlande affiche des résultats exceptionnels. » J’entends d’ici des commentaires. Par exemple : « Évaluer l’éducation des enfants est une folie.|» Mais si je m’y réfère, je m’interroge : « D’où provient la réussite finlandaise ? »
« Dans de longues journées d’écoles suivies de devoirs interminables à la maison ? Dans la sélection précoce des élites ? Dans la concurrence entre écoles ? En réalité le système finlandais repose sur l’égalité d’accès de tous à l’école, un soutien scolaire massif auprès de chaque élève, des enseignants hautement qualifiés, une utilisation efficace et cohérente des ressources|», analysent les invités de Médiapart.
La Finlande a donc fait le choix de ne pas préparer des élites ciblées, mais l’ensemble de ses citoyen-ne-s aux défis d’un monde en mutation. Ici, le classement des écoles n’existe pas. Il n’y a pas d’écoles privées. Les parents sont libres de choisir leur école, dans laquelle les options de base sont les mêmes partout. L’égalité des chances signifie ici école publique gratuite, repas gratuits, allocation de transports… Quant au métier d’enseignant, il est valorisé, voire prestigieux. La formation initiale et continue, exigeante, y est notamment source de reconnaissance et de motivation. Alors qu’en France, l’idée de rémunérer au mérite des profs mal payés a fait son chemin et des dégâts. Un abaissement.
Derrière ses acquis en matière féministe, son haut niveau d’éducation, la Finlande a aussi ses soucis. La xénophobie augmente. Umayya Abu-Hanna, immigrée d’origine palestinienne, première personne issue de l’immigration2 à présenter une émission de télévision en Finlande, a décidé de quitter son pays d’accueil et de s’installer à Amsterdam. Dans une chronique (décembre 2012) publiée dans le quotidien finlandais Helsingin Sanomat, l’élue Verte au Conseil municipal d’Helsinki (et ex-candidate aux élections européennes) explique que, comme mère adoptive d’une fillette à la peau noire, elle ne pouvait plus supporter les brimades et insultes racistes, la xénophobie d’un nombre croissant de Finlandais. Avec plus de 400 000 visites, sa chronique est devenue la plus lue du journal. Les internautes l’ont diffusée sur les réseaux sociaux, avec encouragements ou injures. Anecdotique ? La formation populiste Les Vrais Finlandais, hostile à l'immigration, opposée à l’Union européenne et soutenue, hors de Finlande, par des partis d'extrême-droite, représente aujourd’hui la première force d'opposition depuis 2011. Ce parti se définit comme « ouvrier sans socialisme|» et défend, au sein de "l’État-providence" et de la social-démocratie finlandaise, les thèses de la préférence nationale.
L’autre sujet de préoccupation en Finlande est la presqu’île d’Olkiluoto, où des ouvriers s’affairent à creuser un trou de 450 mètres de profondeur, parcouru par 5 kilomètres de route. Lorsqu’il sera terminé en 2020, l’industrie nucléaire finlandaise commencera à y stocker les déchets radioactifs produits par ses centrales… De quoi susciter quelques débats politiques sur la place du nucléaire dans le paysage énergétique.
Philippe Stierlin, 27 septembre 2013
1) Évaluations réalisées depuis 2000 et tous les 3 ans sur des élèves de 15 ans.
(2) 5 % des citoyens finlandais sont nés à l’étranger.
L'Alliance de gauche de Finlande:
Formation à la gauche du Parti social-démocrate, créée par la fusion du Parti communiste de Finlande (SKP), des Ligues démocratiques du peuple finlandais (SKDL) et des femmes finlandaises (SNDL).
Lors du congrès fondateur (1990), les trois partis ont exprimé la nécessité d’un nouveau parti pour promouvoir les idéaux de la Révolution française, la paix et l'environnement.
L’Alliance a été marquée par des luttes internes, des départs vers le Parti social-démocrate ou le nouveau Parti communiste de Finlande (Unité). Aux européennes de 2009, l'Alliance (5,9 % soit – 3 %) a perdu son siège d'eurodéputé au profit des démocrates chrétiens, alliés au parti populiste "Vrais Finlandais".
1) Évaluations réalisées depuis 2000 et tous les 3 ans sur des élèves de 15 ans.
(2) 5 % des citoyens finlandais sont nés à l’étranger.
Paru dans Cerises n°189