La Fête de l'Humanité est un moment immense de rencontres, de joies et d'intelligences. On y trouve un monde en miniature, un village pluriel et en paix.
J'éprouve à présent un plaisir immense à m'y taire. Je sais que certains ne me croiront pas. J'ai eu durant des années la joie communicative de l'action par la parole. J'intervenais à chaque débat, espérant faire bouger les lignes. Bien sûr je ne suis pas devenu autiste, mais enfin quelle nécessité que l'écoute !
Les mots sont des échos profonds des mouvements du monde. Longtemps rabâchés, répétés en formules et en grappes, les mots sonnent souvent creux dans la bouche de nos "dirigeants" syndicaux ou politiques. Je ne sais d'où vient cette impression que ça n'imprime pas. Il y a sans doute la grande spécialisation technique de certains élus. Comment parler de la métropolisation et de l'intercommunalité sans multiplier les sigles et les références techniques ? Il y a aussi une tradition de la forme. Chaque phrase, chaque intervention doit se finir en apothéose par des applaudissements. Il y a aussi sans doute ce fond qui remonte à la surface. Les débats sur la culture "trustés" par une poignée de spécialistes qui confondent souvent revendication professionnelle et vision politique. Cette longue tradition dans le secteur culturel d'en appeler à une "loi d'orientation"». Ah le Parlement, ah l’État !!! Forcément les mots pour mobiliser autour d'un texte de loi sont rapidement vides ou techniques.
Il y a surtout un rapport à la création et à la parole amputée. Le dirigeant, l'élu, l'intellectuel doivent porter une parole exemplaire, rassembleuse et d'excellence. Chaque mot est pesé et s'inscrit dans un temps long. Société du rationnel, l'Occident ne permet pas de failles, de fragilités. On ne parle pas de soi.
Pépito Matteo dit souvent : « Un conteur doit mettre ses tripes en jeu. » L'image est un peu forte et il ne s'agit pas de partager à chaque prise de parole une psychanalyse de comptoir. Ce que dit Pépito, c'est que pour toucher, il faut être touché.
C'est ici que la forme rejoint le fond. J'ai eu la chance d'assister à une partie de la rencontre au stand de la FASE entre le philosophe Jean-Louis Sagot-Duvauroux et l'élue locale d'Aubagne Magali Giovannangeli. C'était un très beau moment simple et optimiste. Ils co-signent un ouvrage autour de la mise en place de la gratuité dans les transports dans l'agglomération d'Aubagne (Voyageurs sans ticket, Éd. Au diable vauvert). C'est une utopie en actes. C'est beau et complexe. On sent que ça frotte, que l'idée ne crée pas d'elle même l'unanimité mais de la politique. Qu'il faut parler, parler, parler : avec les chauffeurs, les commerçants, les jeunes et les vieux... L'idée a transformée le réel, le rapport au territoire, à la distance, à l'autre. Magali ne parle pas d'orientation de congrès, de formule combattantes et conquérantes. Nous sommes loin ici de tout vocabulaire guerrier. Et pourtant, un espace de liberté et d'émancipation est créé. La politique par le local, c'est la politique à échelle humaine. Le territoire est à portée de compréhension et, comble de la réussite, il amène au monde. Le seul modèle qu'apporte Aubagne et ses élus, dans cette complexité du réel, c'est l'idée simple que l'on peut le transformer.
La parole et les mots ici résonnent. Il y a comme un récit retrouvé, un anti-story-telling, une fable humaine qui assume sa fragilité et sa force joyeuse, optimiste. Je vais continuer à me taire dans les débats. Je suis allé à la fête et j'ai trouvé de l'humanité.
* Laurent Eyraud-Chaume
Paru dans Cerises n° 153, rubrique "Cuisine alternative"