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Billet de blog 6 janvier 2009

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« Il ne s'agit plus de vivre, il faut régner ». A propos de « Entre les murs » ; Sarkozy/Cohn-Bendit ; Julien Dray

 Il s'agissait au départ d'une contribution consacrée au seul film de Laurent Cantet. La paresse aidant, voici le propos rattrapé par certaine actualité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il s'agissait au départ d'une contribution consacrée au seul film de Laurent Cantet. La paresse aidant, voici le propos rattrapé par certaine actualité.

Entre les murs, pas assez de murs

Demandez-vous, demandez à quiconque ayant vu « Entre les murs » de Laurent Cantet : quel est le moment fort du film ? Parions que la réponse sera la même : le prof traitant les deux élèves de « pétasses », la situation dégénérant jusqu'à l'exclusion d'un élève.

Dans cette chronique d'une année type d'un prof de français dans ce qu'il est convenu d'appeler « un lycée difficile », voici donc un incident somme toute anodin ailleurs que dans une classe prendre ici une dimension telle qu'il en finit par donner au film son sens. Au risque d'en pervertir la portée.

Car, revue sous cet angle-ci, cette chronique se transforme en une machine infernale et les multiples petits incidents, dans et en dehors de la classe, en signes annonciateurs d'une inexorable explosion finale. Bref, toutes les apparences, tous les ressorts d'une tragédie. Autrement dit, le contraire de ce que le film et ses corollaires (roman de François Bégaudeau, articles, interviews, etc.) semblent vouloir dire. Ce n'est là qu'un des paradoxes que recèle ce film, comme si, contaminé par son propre héros, Laurent Cantet avait fini par abandonner son poste de metteur-en-scène pour suivre François dans ses déambulations, ses joutes verbales, un flot de paroles souvent intempestives de part et d'autre, presque toujours irréconciliables.

Le parti-pris de suivre le professeur et de coller à son point de vue aurait pu pourtant faire éviter au film une telle aphonie. L'unité de lieu, la caméra ne quittant jamais l'établissement, l'unité de temps, une seule année scolaire, auraient également pu être les garants d'une rigueur dans le traitement du récit. Loin s'en faut. Soucieux de vérité « documentaire », Cantet oublie de faire film. Cédant à la tentation de la dramatisation, il dénie à sa fiction toute crédibilité documentaire. Le résultat est un film bancal, entre téléfilm « social », calibré pour soirée France 3 et plaidoyer pour quelque chose, peut-être l'école, sans doute la diversité, façon Libé ou les pubs Benetton.

Concentrons nous ici sur François, le personnage principal ! Principal, car le plus vu, le plus suivi par la caméra de Cantet ; il est le point de vue au sein de l'établissement. Qui est-il ? Que fait-il ? Il est prof de français. A défaut de faire prof.

Attention, on ne met nullement en cause ici ses qualités intrinsèque d'enseignant. On ne les connaît pas, on ne les voit. De toute façon, il ne semble pas que le projet de Cantet fut de filmer un cours. Dans le dispositif mis en place dans le film, ce personnage semble tenir le rôle de prof. Il se présente comme tel dans la salle des profs. Il accueille les nouveaux profs. Il est debout en classe, les élèves sont assis. Il les tutoie, ils le vouvoient (tiens, d'ailleurs, pourquoi ? On y reviendra).

Bref, il a les attributs extérieurs du prof.

Fait-il pour autant prof ?

La réponse dépend de l'image que chacun se fait d'un prof, dirait-on. Certes.

Il n'empêche que tout au long du film, c'est moins un prof que nous voyons qu'un homme visiblement mal dans sa peau, promenant dans les couloirs de son établissement une sorte d'indécision doublée de mélancolie. Un enseignant exigeant de tutoyer des adolescents ou pré-adolescents tout en attendant qu'ils n'en fassent pas de même ; parlant en classe exactement de la même façon qu'il parle avec ses collègues ; répondant aux interrogations de ses élèves comme un gamin crâneur répondrait dans une cour d'école ; cédant à l'injonction tyrannique de transparence d'un élève et révélant son hétérosexualité (et le faisant, cautionnant ainsi l'homophobie inhérente à la question) ; renonçant (tout comme le principal du collège d'ailleurs) en Conseil de classe face aux deux délégués des élèves à tenir son rôle d'adulte et d'éducateur, avec ce que cela suppose d'autorité ne serait-ce qu'à des doses homéopathiques, pour les traiter ensuite de pétasses en public ; oubliant ses cours de psychopédagogie et le simple bon sens et préférant insister pour qu'une jeune fille s'excuse selon la formule et dans les termes qu'il aura imposés (avec le succès que l'on a vu...), etc.

Où est la frontière entre François et François le prof ? Où est le mur qui devait, qui aurait dû séparer l'enseignant, l'éducateur et l'adulte du jeune homme visiblement peu sûr de lui (en témoignent ses différentes prises de positions, ses revirements, son souci de ménager la chèvre des convenances professorales et le chou de la réalité du terrain, excusant beaucoup, sanctionnant paradoxalement, (ou du moins, acceptant la sanction) la seule réaction finalement « compréhensible » d'un élève ?

La nature même de la fonction aurait dû permettre la distanciation, cette capacité de transcender l'être pour habiter la fonction et devenir ainsi un peu plus hermétique, un peu moins sensible aux provocations, somme toute logiques, prévisibles, voire nécessaires, d'adolescents en mal d'affirmation.

Sarkozy/Cohn-Bendit: partout comme chez soi

le 16 décembre dernier donc, devant le Parlement européen en réunion à Strasbourg, Daniel Cohn-Bendit a dressé un bilan négatif de l'action du président français, dont le pays présidait l'Europe depuis janvier 2008. Venu prononcer un discours bilan, Nicolas Sarkozy s'est vu reprocher ses changements de position : « La présidence française, c'est une girouette qui dit à un moment une chose qui est vraie, et à un moment dit une chose qui est fausse. » Réagissant à l'aveu de l'Elysée d'avoir utilisé la pression des eurodéputés lors des négociations autour du plan climat pour convaincre les 26 autres Etats membres d'y souscrire, l'eurodéputé et leader du groupe des Verts a accusé M. Sarkozy de réduire « le Parlement européen à un viagra pour gouvernements. Ce n'est pas notre rôle d'être utilisés pour que les autres fassent ce qu'ils ne veulent pas faire ».

« Vous n'avez pas humilié les Chinois, ce sont les Chinois qui vous ont humilié », a encore critiqué M. Cohn-Bendit faisant référence à la rencontre discrète entre Nicolas Sarkozy et le Dalaï Lama le 6 décembre dernier à Gdansk (Pologne), en marge des cérémonies commémorant le 25ème anniversaire de la remise du prix Nobel de la paix à l'ex-président polonais Lech Walesa. Et ce, après que le président français eut évité cette rencontre lors de la visite du leader tibétain en France.

L'eurodéputé a enfin reproché à M. Sarkozy d'avoir réduit la « Commission en secrétariat du Conseil » européen des chefs d'Etats.

Réponse de M. Sarkozy lors de la conférence de presse : « Vous êtes une personne courtoise, tolérante, sympathique lorsqu’on vous invite à dîner, lorsqu’on vous invite à déjeuner, mais dès qu’il y a une caméra de télévision sous votre nez, on a l’impression que vous devenez comme fou. » Ajoutant : « Je vous connais depuis longtemps, on se téléphone souvent, vous êtes venus trois fois à l’Elysée ». Précisant même que M. Cohn-Bendit n’avait pas refusé l’escorte de motards la dernière fois qu'il avait été invité.

Au delà de la malhonnêteté de ce dernier détail, M. Cohn-Bendit ayant déclaré sur France Inter, comme l'a relevé Le Monde, qu'il n'était pas invité à l'Elysée et qu'il s'y était rendu en tant que leader du groupe Verts au parlement européen, ce qui frappe c'est le choix du président français de traiter l'affaire en termes de courtoisie, voire d'ingratitude supposée et sous-entendue de M. Cohn-Bendit.

Que nous dit le président français ?

M. Cohn-Bendit aurait craché dans la soupe et trahi le geste de son hôte qui lui avait ouvert sa porte. Ce qui signifierait, si on poursuivait le raisonnement, qu'une fois invité à l'Elysée, on serait tenu d'observer un sorte de devoir de réserve. Car on ne peut manger à la table de M. Sarkozy le soir et le critiquer le lendemain.

Or, ce faisant, qu'oublie M. Sarkozy ?

Que l'Elysée, ce n'est pas chez lui. Qu'inviter quelqu'un à l'Elysée, serait-ce à titre privé, ne peut équivaloir à l'inviter chez lui. Qu'inviter quelqu'un en tant que président élu de la République française ne peut être réduit à un geste d'amabilité du seul M. Nicolas Sarkozy. Et, osons aller plus loin, que tant qu'il est M. Sarkozy, président de la République, il ne peut ni ne doit être Nicolas, simple citoyen.

« Pirouette », « coup sous la ceinture », « vif débat », voire « échange caricatural », c'est en ces termes que la presse a rapporté ces faits. Ne manquant pas de donner également la parole à M. Martin Schulz, président du groupe socialiste au parlement, qui a ironisé sur la conversion de l'ancien leader de Mai 68 aux escortes policières.

En choisissant ce traitement, la presse ne passe-t-elle pas à côté du plus important ? N'opte-t-elle pas pour le traitement anecdotique au détriment de l'analyse de fond qui, elle, aurait fait ressortir le rôle dangereux que M. Nicolas Sarkozy fait jouer à la table de l'Elysée et, partant, à la fonction même de l'institution présidentielle ?

Car, plus qu'à une confusion certes devenue habituelle, voire caractéristique de l'actuel président, nous avons bien affaire ici à une annexion des attributs d'une fonction au service d'un homme, de l'expropriation de la République d'un de ses lieux emblématiques au profit de l'ambition d'un individu. Loin d'habiter sa fonction, M. Nicolas Sarkozy la vide de sa substance en exigeant d'être l'individu qu'il est, avec tout ce que l'ambition individuelle peut avoir d'incompatible avec une mission collective, dans l'exercice de cette fonction-même. Loin d'humaniser l'institution, il en dévoie le principe et en dépossède la souveraineté populaire.

Julien Dray : le grand écart

Le 19 décembre dernier, on apprenait que le député de l'Essonne était visé par une enquête préliminaire sur des mouvements bancaires litigieux dont il aurait été le bénéficiaire. A ce stade de l'enquête, il n'est pas permis ni souhaitable de se prononcer sur cette affaire. C'est un détail connexe qui nous intéresse ici.

En effet, la presse révélait dans le même mouvement que M. Julien Dray était, semble-t-il connu (par qui? On ne le saura pas) pour ses goûts du luxe et nous apprenait qu'il avait déjà dû, en 1999, justifier l'achat en partie en liquide d'une montre coûtant 250 000 francs, soit près de 40 000 euros (38112.25 euros exactement).

Arrêtons nous sur ce « point de détail »!

Voici donc un député de gauche, figure éminente du parti socialiste, longtemps membre de la garde rapprochée de Ségolène Royal, ex-candidate à l'élection présidentielle. Voici un homme qui a un long passé de militant de gauche au sein de SOS Racisme et de l'UNEF avant de devenir porte parole du PS. Voici un homme qui, avec d'autres, vient défendre une politique plus sociale, une plus grande égalité entre les citoyens, la régulation du capitalisme, etc. Voici un homme qui vient sans doute défendre la revalorisation du SMIC et une meilleure indemnisation du chômage.

Question : quelle est la portée de cette parole lorsque la main qui lui sert de porte-voix arbore une montre de la valeur de trente-six (36) SMIC?

Cette question en amène une autre : peut-on être de gauche et arborer une montre de cette valeur?

On nous objectera ici que c'est sa vie privée.

Ce qui amènera encore une troisième question : qu'en est-il de l'idée même d'exemplarité et de responsabilité politique et morale ?

Il faut imaginer M. Dray convaincu que la dichotomie est totale entre sa montre à 40 000 euros et sa défense des démunis.

Il faut imaginer M. Dray convaincu que sa voix ne perd nullement de sa portée et de sa crédidibilité bien qu'elle soit étouffée par la symbolique spectaculaire de la contradiction.

Bien sûr, il est possible de défendre cette dichotomie. De dire que l'on n'est pas jugé, que l'on ne doit pas l'être, sur ce qu'on est, plutôt sur ce qu'on fait.

Mettre l'action politique en avant. S'élever à juste titre contre la politique de l'action d'éclat. Rappeler le respect de la vie privée. Refuser la transparence intrusive. Etc.

Mais cela peut-il également valoir pour la politique justement? Pour une fonction publique ?

Comment en est-on arrivé à ne plus considérer l'exemplarité et le sens de la responsabilité publique comme le prix à payer, le juste prix, proportionnellement à la charge que l'on prétend assumer ?

Comment en est on à ne plus oser demander cette exemplarité à celui qui nous demande, en plus de nos voix, notre consentement à la règle implicite du vote majoritaire: accepter que le vainqueur applique son programme et ait à sa disposition tous les leviers de l'Etat pour ce faire?

Comment en est on à ne plus oser cette exigence d'exemplarité, aussi injuste puisse-t-elle paraître, pour signifier aux postulants que prétendre aux plus charges publiques ne pouvait être que sacerdoce ?

Dans Bérénice, la pièce de Racine, à laquelle cet article emprunte son titre, le tragique ne naît pas seulement de l'impossibilité de vivre leur amour à laquelle se sont trouvés confrontés Titus et Bérénice. Il naît également du sentiment d'injustice et de colère contre cette masse sombre (le peuple, les dignitaires de Rome) qui refuse Bérénice, l'étrangère, comme reine.

Mais la grandeur de Titus et de son amante, c'est justement de se résoudre à la séparation. Pour la gloire de Rome.

La grandeur du politique et de toute personne assumant une charge publique devrait être de favoriser, au moins pendant l'exercice de sa charge et sur les lieux de cet exercice, l'intérêt général au détriment des désirs et des ambitions individuelles.

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