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Billet de blog 13 octobre 2011

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Guerre des mémoires sur fond de passé colonial en Allemagne

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L’Allemagne a sans doute raté là une nouvelle occasion pour solder un passé qui ne passe décidément pas. Le vendredi 30 septembre, une délégation de Namibiens devait se voir remettre à l’hôpital La Charité de Berlin vingt crânes Héréro et Nama (deux des principales composantes ethniques de la Namibie) datant du début du siècle dernier et provenant des victimes de l’armée coloniale allemande.

Malgré la demande pressante du Conseil de l’Héritage national namibien, la représentante du gouvernement allemand, présente lors de la cérémonie, a refusé d’évoquer le sujet d’éventuelles compensations pour les descendants des victimes. Ce qui a soulevé la colère de Johanna Kahatjipara, chef de la délégation namibienne. Dans un entretien à Deutschlanradiokultur, elle a dit ne pas comprendre cette différence de traitement face à l’histoire : « l’Allemagne s’est excusé auprès des Juifs et a payé des milliards en compensation. On peut se demander pourquoi les Hereros ne sont pas traités de la même façon. »

L’étonnement de madame Kahatjipara est d’autant plus fort qu’elle met en avant les travaux de différents historiens allemands qui considèrent aujourd’hui le drame des Namibiens au début du siècle dernier comme une ultime répétition avant l’holocauste.

En 1904, les Namibiens s’étaient soulevés contre l’occupation allemande qui avait pris possession plus de vingt ans plus tôt de ce territoire, appelé à l’époque le Sud-Ouest africain. La réponse allemande à ce soulèvement qui avait fait 120 morts civils ne s’est pas faite attendre. Le général Lothar Von Trotha attaque les Hereros, l’ethnie majoritaire, les acculant dans le désert où la plupart meurent de soif. Sur un total de 65000 Hereros, seuls 15 000 vont survivre. 10000 membres de l’ethnie Nama, en majorité des réfugiés fuyant les exactions, vont également périr de famine. Des milliers de prisonniers vont se retrouver à la fin de la campagne de Von Trotha parqués dans des camps de concentration.

Classé par les Nations Unies en 1985 comme une tentative d’extermination contre les peuples Herero et Nama et décrit depuis comme la première tentative de génocide du 20e siècle, cet événement était resté absent des manuels d’histoire en Allemagne comme en Afrique, masqué par les atrocités de la première puis de la seconde guerre mondiale.

Parallèlement aux massacres, un nombre indéfini de morts avaient été de 1904 à 1908 décapités et leurs crânes emportés en Allemagne, officiellement à la demande des scientifiques en vue de recherches anthropologiques. C’est une partie de ces crânes qui ont été restitués à la délégation namibienne par l’hôpital berlinois, la première grande institution allemande à prendre une telle initiative. Ils provenaient de victimes Herero et Nama ; quinze hommes et quatre femmes âgés entre 20 et 40 ans ainsi qu’un enfant de trois à quatre ans. Lors d’un inventaire en 1990, la Charité s’était trouvée en possession d’une cinquantaine de crânes. Dix autres sont toujours inventoriés à l’Université de Fribourg. Mais d’autres universités, en auraient également un nombre indéfini, faute d’inventaires précis, dans leurs archives. En 2008, après la diffusion d’un documentaire de la première chaîne de télévision ARD évoquant ce macabre héritage, l’ambassadeur de Namibie en Allemagne, Peter Katjavivi, avait demandé la restitution des restes des victimes.

En 2004, lors des cérémonies commémorant en Namibie le centenaire du soulèvement et des massacres qui s’ensuivirent, la ministre allemande de la coopération, Heidemarie Wieczorek-Zeul, présente sur place, avait certes reconnu la responsabilité allemande et présenté des regrets au gouvernement namibien, mais avait exclu toute indemnisation financière. La même année, l’ambassadeur d’Allemagne en Namibie avait même insisté auprès des autorités locales pour que les Hereros retirent trois plaintes déposées trois ans plus tôt devant la cour de Colombie aux Etats-Unis et portant sur des réparations d’un montant de 4 milliards de dollars (près de 3 milliards d’euros) ; la moitié exigées du gouvernement allemand en compensation des atrocités commises en 1904. L’autre moitié de firmes allemandes telles que la Deutsche Bank ou la compagnie minière Terex.

Selon Madame Kahatjipara, le gouvernement allemand a toujours exclu toute indemnisation financière au prétexte que l’Allemagne, à l’époque des faits, n’avait pas encore ratifié la convention de Genève. Or cette ratification ne s’est faite que dans les années 50, bien après le génocide des Juifs. « Je me demande quelle est la différence. Est-ce parce que nous sommes noirs ? », ajoute celle dont la grand-mère fut une des victimes des camps de concentration allemands dans le Sud-Ouest africain.

Alors que des historiens tels que Helmut Walser Smith démontrent de plus en plus la continuité historique entre ce génocide des Hereros et celui des Juifs, d’autres voix s’élèvent depuis une vingtaine d’années pour contester de plus en plus souvent toute « spécificité » de l’holocauste. En mars dernier, réagissant aux déclarations de l’ancien chancelier allemand, Gerhard Schröder, refusant de reconnaître le génocide des Arméniens, l’auteur et journaliste Henryk M. Broder, lui-même fils de survivants des camps et membre du SPD, lui avait lancé dans le journal Die Welt un cinglant « Monsieur Schröder, y a-t-il une marque déposée « Holocaust » ? »

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