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Billet de blog 13 octobre 2014

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Saint-Bielsa et les marchands du stade

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En ces tristes temps où les politiques n’arrivent décidément pas à nous réconcilier avec la politique, optons pour un chemin de traverse, une mise au vert-pelouse. L’arrivée d’un nouvel entraîneur à l’Olympique de Marseille est l’occasion de parler mérite et vérité, spectacle et imposture. Bref, de politique.

« Vous avez remarqué que le monde du football ressemble de moins en moins aux supporters et qu’à chaque fois, il ressemble plus aux grands patrons. […] Behakker a dit que les hommes d’affaires qui s’emparent du football pensent que les supporters sont comparables aux trente mille ouvriers qu’ils possèdent. Un supporter n’est pas un ouvrier. Un ouvrier travaille, un supporter sent. Il ne faut pas traiter un supporter avec les mêmes codes que l’on utilise pour les ouvriers. Mais comme le monde du football, comme le reste du monde, appartient aux hommes d’affaires, ils nous traitent seulement en fonction de la productivité que nous sommes capables de fournir. Le gérant dit au chef d’équipe qu’il doit trouver une quantité X de pièces et il doit les trouver. Qu’importe si sa mère est décédée la veille. »

C’est un extrait d’une vidéo qui a ressurgi un peu partout ces dernières semaines. Elle s’intitule « Bielsa, capitalisme et valeurs ». Et l’homme, Marcelo Bielsa en l’occurrence, entraîneur de football à la tête de l’Olympique de Marseille depuis juin dernier, ne s’arrête pas là :

« Mais c’est une logique dangereuse parce que si vous ne récompensez pas un processus qui a obtenu moins que ce qu’il devait avoir, vous ne courez pas de risques. Mais si vous récompensez un processus qui a obtenu quelque chose de manière imméritée, c’est un grand risque. Un homme qui gagne au loto ne fait rien de mal […] mais il ne le mérite pas. Sur une scène aussi importante que le football, récompensons ce qui s’obtient de manière méritée. […] Mais que fait la presse ? Elle valorise le résultat : "ils n’ont jamais attaqué, 100 % d’efficacité, l’autre équipe a toujours eu le ballon mais a manqué 10 buts. Le plus pragmatique a gagné, etc." […] Qu’un processus n’obtienne pas ce qu’il méritait, ce n’est pas grave, l’injustice est commune. Mais récompenser quelque chose qui n’est pas bien, qui est occasionnel, c’est nocif pour tout le monde. Car cela montre à tous ceux qui regardent qu’un raccourci t’amène au but. […] Je parle souvent aux joueurs du jardin et de l’angle à 90 degrés. Celui qui ne respecte pas l’angle à 90 degrés, traverse le jardin plus vite mais marche sur la fleur. […] »

Et de conclure, taquin :

« Bien entendu, je sais que c’est de la philosophie de comptoir d’un Argentin qui a l’occasion de parler. Mais je crois en ce genre de choses, je crois qu’il faut valoriser ce qui est mérité. »

Un attachement à la beauté du jeu offensif et une critique du foot spectacle et de sa marchandisation, voici déjà des constantes de l’homme et de la méthode Bielsa. On peut y ajouter un respect des joueurs et des supporters, une vision critique du football et une communication aussi minimaliste que directe. Un ensemble détonnant. Et qui depuis quelques mois détonne.

Arrivé en juin dernier aux commandes d’une équipe marseillaise aux abois après une saison ratée, l’entraîneur argentin s’est fait précéder d’une réputation sulfureuse où le folklore le disputait aux anecdotes et qui lui valait le surnom d’El Loco, le fou. Quelques mois plus tard, au-delà de l’aspect strictement footballistique, c’est à une forme de révolution culturelle et sociale qu’invite Marcelo Bielsa, autant par son travail strict d’entraîneur que grâce à sa vision du football et, au-delà, de la société.

L’homme est issu d’une famille bourgeoise de Rosario -au nord-ouest de Buenos-Aires- à la solide tradition dans les mondes de la politique et du droit. Il choisira le football ! Sans succès d’ailleurs puisqu’il arrêtera à 25 ans pour devenir éducateur physique et se lancer dans une carrière d’entraîneur, mot auquel il faudrait en accoler un autre dans son cas : bâtisseur. Des Newell’s Boy en Argentine à Bilbao en Espagne notamment, en passant par les sélections argentine et chilienne, il se fait une solide réputation de travailleur acharné et de technicien méticuleux, amoureux de la belle ouvrage. Au point que quelques uns des plus grands entraîneurs ne jurent que par lui ("meilleur entraîneur de la planète", selon Guardiola).

L’homme parle de travail, d’efforts, d’humilité et de beau jeu. Rien de très révolutionnaire dans cette liste convenue de poncifs entendus chez des générations de professeurs d’éducation physique. Il le confirme d’ailleurs lui-même :  En aucun cas, je n’ai la prétention de révolutionner quoi que ce soit. Et jamais, je ne l’ai eue jusqu’ici dans ma carrière. Seulement voilà, et c’est sans doute là sa spécificité, Bielsa est conséquent.

Avant de donner son accord à l’OM, il décortique d’abord la cinquantaine de matchs de la saison dernière. Ses préparations physiques sont dures et ses entraînements très rigoureux : les exercices sont répétés comme des gammes, la pesée pour les joueurs est quotidienne et obligatoire, les séances sont analysées au cours de nombreux points vidéos, une caméra fixée aux montants filme les déplacements du gardien à l’entraînement, etc. Il semble avoir fait siennes les paroles de Boileau (Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, / Polissez-le sans cesse, et le repolissez, / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.)

On le voit, la révolution ici ne se mesure pas à l’aune de l’innovation mais à celui de la constance. Constance et persistance obstinée également dans une forme de droiture et d’intransigeance. Un épisode et un style l’illustrent.

L’épisode d’abord. Il a lieu le 4 septembre dernier. A un moment où l’équipe enchaîne les succès et où la sérénité est de retour sur une Canebière où tout va (un peu mieux) quand l’OM va, l’Argentin convoque une conférence de presse exceptionnelle et s’en prend en des termes durs à sa direction, accusant le président du club, Vincent Labrune, de lui avoir menti et de n’avoir pas tenu ses promesses.

Stupeur et tremblement dans le landernau footballistique où commentateurs, experts et acteurs vont y aller de leurs critiques unanimes, leurs condamnations et leurs appels à la destitution de celui qui était déjà l’idole du Vélodrome. Pour eux, Le Loco justifiait son surnom et démontrait son incompétence, notamment en critiquant le recrutement d’un jeune espoir du football brésilien, Matheus Doria Macedo, présenté à la presse avec fierté par le président du club.

Mais Bielsa n’en a cure : le recrutement s’est fait sans qu’il puisse superviser le joueur, condition qu’il avait posée dès le début et qui fut acceptée. A l’idée de « bonne affaire », il opposait travail de longue haleine et professionnalisme. ET malgré la satisfaction des supporters et de la direction d’avoir réussi ce « bon coup », il faisait le rabat-joie et s’accrochait au respect de la procédure et de la parole donnée. Fou pour la majorité des commentateurs, l’homme justifiait pour ses défenseurs sa réputation de droiture et de rigueur. Avec constance.

Bielsa, un Théorème à Marseille

Le style ensuite. Dès le début, Bielsa s’était attiré l’inimité des journalistes sportifs en refusant de les rencontrer. Ils ne le verront qu’à la veille de la première journée de championnat. Pire, ce mêmes journalistes n’avaient plus accès aux entraînements qui se déroulaient à huis clos. Habitués à avoir leurs entrées au Centre Robert-Louis Dreyfus où ils pouvaient glaner quelques petites phrases, saisir quelque info au vol, négocier telle interview ou échanger quelques mots avec tel agent ou responsables du club, les journalistes vont quand même produire des articles consacrés à l’OM et à Bielsa. Rappel des anecdotes passées, interviews avec des joueurs qui l’ont connu, spéculation sur ses méthodes, etc.

Quand arrive la première conférence, l’Argentin est attendu au tournant. Il ne décevra pas. Flanqué de son traducteur, il ne lèvera jamais les yeux, répondra lentement et d’une voix posée, presque inaudible, reprendra son traducteur et osera même lancer vers la fin de la conférence : « je parle peu, mais voilà 45 minutes que l’on parle pour ne rien dire », critiquant ainsi les questions des journalistes présents, plus portés sur les à-côtés que sur le jeu et la tactique qu’affectionne Bielsa.

Ce dernier a fini par conquérir le respect au-delà des supporters marseillais, ravis de voir leur équipe caracoler en tête du classement, qui plus est, avec la manière. Discret, presque timide, annonçant lui-même dès la première conférence que s’il acceptait de répondre à une question, ce serait pour dire la vérité, Bielsa vient à point nommé dans un championnat de plus en plus surclassé sur la scène européenne et qui avait voulu se croire sauvé grâce à l’argent d’un prince du Qatar qui a racheté le club parisien et celui d’un milliardaire russe qui a repris l’équipe monégasque.

Le pari du club marseillais à travers son entraîneur est tout autre : miser sur la formation et sur de jeunes joueurs prometteurs à forte et future valeur ajoutée en cas de revente. Mais c’était sans compter sur la baguette magique de son sorcier argentin. Reprenant le même groupe en échec l’an dernier, il a réussi à faire se transcender les joueurs, désormais invaincus depuis neuf rencontres.

Le symbole saute aux yeux : d’un côté le bling-bling (l’argent des princes du Qatar et des milliardaires russe, les stars achetés à coups de dizaines de millions d’euros), de l’autre la modestie et la vertu de l’effort alliés à l’honnêteté d’un coach philosophe qui rappelle par son discours l’engagement d’un Socrates au Brésil.

Face à ce succès, que fut la réaction du landernau ?

Passant de l’hostilité et du ressentiments des débuts, journalistes, commentateurs et experts auto déclarés finissent par reconnaître les mérites de la méthode, presque à contre cœur. Mais commentant ses sorties médiatiques et dépités de ne pas voir sa direction le sanctionner après sa charge contre elle, ils proclament l’Argentin grand communicant (génie de la com pour l'Equipe ; le site Le10sport mobilise des experts pour décrypter la communication de Bielsa jusqu'à Libération, qui au détour d'un portrait dévoile le côté "impur" car communicant de l'Argentin). En résumé, un vrai malin qui a su manipuler par une communication intelligente. Bref, comme habituée à l’imposture, la famille médiatique semble prise de court face à quelqu’un qui parle travail, effort et qui dit priser la vérité. Pire, il fuit caméras et micros. Le proclamer « communicant malin », permet de se rattraper et, surtout, de se raccrocher aux branches des mêmes schémas de pensée qui ont fait les beaux jours de la société du spectacle : tout ne pouvant être que posture et imposture, l’honnêteté et le dire vrai sont décrétés un formidable « coup de com ». Ainsi relue après correction, la réalité redevenait rassurante. Ouf !

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