On a connu plus glorieux retour au pays ! Six ans après le titre en une du Bild Zeitung "Wir sind Papst" (nous sommes Pape), le troisième voyage de Benedict XVI à son pays natal depuis le début de son pontificat a surtout été l'occasion d'entendre les voix des députés hostiles à son intervention au Bundestag et les critiques quant au coût de la visite.
La visite qui débute ce jeudi à Berlin et se terminera dimanche à Fribourg passera également par Erfurt. Sont prévus 17 discours, cinq grandes messes dont un grand service religieux et eucharistique dès ce jeudi soir au stade olympique de Berlin devant 70 000 personnes, mais surtout une intervention solennelle devant le Bundestag, le parlement fédéral allemand. C'est ce discours qui ne passe pas pour une partie des parlementaires de la gauche (die Linke), ce qui était attendu, mais aussi des sociaux démocrates (SPD) et des Verts. C'est d'ailleurs l'un de ces derniers, le député Hans-Christian Ströbele qui a été un des plus critiques. S'exprimant sur les ondes de Deutschlandradio Kultur, il a déclaré trouver "inapproprié et usurpé" l'honneur fait au pape par ceux qui l'ont invité à venir s'exprimer devant les "parlementaires élus par tout le peuple allemand". Expliquant ne voir absolument "aucun mérite politique chez ce père saint", il a rappelé son passif lourd, citant notamment "une longue liste de cas" où le pape a fait des déclarations "irresponsables, notamment à propos du planning familial en Afrique, du préservatif, des homosexuels, mais aussi au sujet de l'exorcisme." Sans oublier ce qu'il avait fait "lorsqu'il n'était pas encore pape, plutôt cardinal, quand il avait notamment fait tomber l'Eglise de Libération en Amérique latine".
Tout en niant rompre par ces critiques avec la longue tradition de tolérance religieuse des Verts allemands, Ströbele a insisté sur l'absence de tout échange lors de l'intervention prévue du pape, rejoignant ainsi les réserves du théologien évangélique Friedrich Schorlemmer, membre du SPD, qui condamnait dès mardi dans les colonnes du Lepziger Volkszeitung le discours de Benedict XVI, en rappelant que le parlement était "un lieu où on débat et non un lieu où on décrète". A l'objection consistant à dire que le pape n'intervenait pas en tant que souverain pontife, mais en tant que chef d'un Etat, le député vert a ironisé sur le nombre d'habitants du Vatican et sur le caractère non démocratique de la désignation de ce chef d'Etat. "Nous pourrions aussi honorer de la même manière le prince du Lichtenstein ou d'autres micro-Etats".Dans le même entretien, le politicien a rappelé avoir quitté la salle du Bundestag lorsque Vladimir Poutine ou Georges Bush y étaient venus s'exprimer.
Cette visite du pape, placée sous le signe de la modernité de la foi et de la religion comme recours, a été intitulée "Là où il y a Dieu, il y a de l'avenir". Mais malgré une visite prévue au Cloître augustin d'Erfurt et une rencontre avec les protestants allemands, Friedrich Schorlemmer espère de plus forts signaux oecuméniques, à commencer par la levée de l'anathème de l'Eglise catholique qui pèse sur Martin Luther depuis 500 ans.
Ces critiques n'ont pas l'heur de plaire à Wolfgang Thierse qui a dit sur la radio Deutschlandfunk ne pas comprendre "cette agitation". Le député SPD et membre du Comité central des catholiques allemands ne cache pas son irritation et insiste sur le fait que chaque "député est libre et aucun député n'est obligé d'approuver les vues du pape". Il a également rappelé que l'invitation avait été lancée au pape par le président du Bundestag et avec l'approbation des représentants de toutes les fractions politiques qui y siègent. Balayant les soupçons de prêche du pape au Bundestag, il a dit voir là au contraire l'occasion d'écouter des mots de "solidarité, de justice et d'égalité" dans une période de crise mondiale. Appelé à commenter la désaffection que connaît l'Eglise catholique allemande, il a dit espérer voir le Vatican moins "frileux face aux évolutions et aux pluralismes" du monde.
Le coût des quatre jours de la visite du pape est estimé à 30 millions d'euros, "un euro par catholique allemand" comme le fait remarquer perfidement Deutschlandfunk. C'est d'ailleurs la stricte séparation entre l'Etat et l'Eglise que revendique le BfG, le Bund für Geistsfreiheit (Union pour la Libre Pensée). Mercredi, un de ses membres a fait sensation en se promenant en faux pape dans les rues de Berlin. La chose aurait pu faire sourire tout au plus. Sauf que le faux souverain pontife était au bras d'un faux Hitler. Allusion claire au "Reichskonkordat", le concordat du 20 juillet 1933 entre l'Eglise et le Reich hitlérien, toujours en vigueur en Allemagne malgré un jugement de 1957 de la cour constitutionnelle de Karlsruhe qui l'a partiellement limité.
Ce jeudi, le service religieux à Berlin sera d'autant plus un test important que la capitale allemande est loin d'être un fief pour l'église du pape : la Süddeutsche Zeitung rappelait qu'on n'y comptait que 390 000 catholiques sur les trois millions et demi d'habitants, dont un quart composé de Polonais, de Croates et d'Italiens. Le pape a ensuite prévu de visiter l'église d'Eichsfeld en Thuringe. Nul doute qu'il y trouvera un accueil plus enthousiaste. La contrée est une véritable enclave enclave catholique au milieu de la Thuringe protestante. Au temps de la RDA, elle était même la seule à compter une majorité de catholiques.