La campagne avait jusqu’à il y peu endormi la gauche tous courants confondus dans la certitude d’une victoire. La remontée actuelle du Président-candidat dans les sondages est peut-être salutaire pour les responsables politiques de gauche dans les trois semaines qui viennent.
Elle peut notamment leur permettre de signifier à leurs électeurs la puissance des idées de droite dans le pays et, parfois, leur justesse.
L’antisarkozysme largement partagé à gauche a ceci de curieux qu’il a caché depuis cinq ans dans ce camp les motivations et valeurs des électeurs de droite et d’extrême-droite. À assimiler « Sarkozy-dans-l’exercice-du-pouvoir » et idées de droite, les gens de gauche ont souvent acquis la certitude que celles-ci ne pouvaient être que détestables ; ce qu’une part non négligeable d’entre eux pensaient déjà avant, il est vrai… Mais le quinquennat a très largement renforcé ce sentiment, Mediapart en étant le symptôme le plus « abouti » sur le plan journalistique.
La droite – et donc son candidat – continue pourtant d’incarner des valeurs qui sont enracinées très profondément chez de nombreux Français, y compris d’ailleurs dans nombre d’esprits et de coeurs à gauche : le travail et l’effort sont les sources légitimes de la prospérité ; l’État doit assurer la sécurité des citoyens par l’application du droit pénal, et par la force matérielle si besoin est ; la communauté nationale, dans ses frontières réelles, est légitime pour en réguler les entrées et les sorties.
Dans ce cadre, pour de nombreuses personnes, il importe modérément que le pouvoir actuel soit sans doute plus ou moins sous l’influence de ceux qui n’ont plus besoin de travailler pour faire prospérer leur fortune, sinon de travailler leurs relations avec ce pouvoir.
Même chose pour la « sécurité » : les résultats pour le moins ambiguës du pouvoir en la matière n’empêchent en rien son candidat de continuer à demander la confiance de ceux qui, avant tout, ont peur. Faut-il dire, au risque d’enfoncer une porte ouverte, que l’offre sécuritaire prospèrera plutôt mieux sur l’insécurité ?
Enfin, la question des frontières, n’en déplaise à ceux qui détestent Patrick Buisson, est fondamentale. Il a tort – et il le sait, en stratège et communiquant politique de très haute qualité qu’il est – de les présenter scientifiquement comme l’élément qui protège les plus faibles. Il s’agit d’une proposition politique, mais pas d’une vérité scientifique. Pour autant, les frontières – et donc la définition de la communauté nationale, de son territoire, de ses membres et de ceux qu’elle accueille ou pas – sont une réalité indépassable, indéniable. Pas d’élection d’ailleurs, sans définition de qui vote et dans quels endroits.
La première victoire de Sarkozy en 2012 est d’avoir réinvesti ces sujets avec la compétence politique nécessaire pour rendre impensable désormais son absence du second tour et rendre pensable sa victoire le 6 mai. Il lui a fallu un culot qu’il a de toute façon hors norme : mise en cause indistincte des chômeurs eu égard à leur situation, mépris et violence pour l’Europe tant vantée depuis cinq ans, instrumentalisation tout azimuts de la tragédie toulousaine…
Et de fait, au gré de ce bagout sans égal et de l’actualité à son service, tout lui semble permis désormais, sans que ses propos - plus que limite - ne le desservent, au moins dans l’immédiat (et contrairement à ce qui fut observé pendant une bonne partie du quinquennat) : les « musulmans d’apparence », l’insulte systématique faite aux syndicats et nommément à l’égard de la CGT, le lien (fait à Nantes mardi soir) entre les crimes toulousains et l’immigration « incontrôlée » (ce qui a introduit, toute honte bue, ses propositions de limitation de l’aide sociale en direction des étrangers), la présentation ahurissante des chiffres du chômage de février… Sans doute n’a-t-on pas encore tout vu ni entendu !
Cela fonctionne. Non pas seulement parce qu’il sature les médias, est iconoclaste et bruyant dans ses propositions (référendums, chantage au changement avec nos partenaires européens…) ; il ne fait au fond que parler des valeurs ci-dessus présentées, très largement majoritaires dans le pays. Ces valeurs qui font se déplacer l’électeur que l’on appelle « de droite » jusqu’à l’isoloir pour y accomplir son devoir. Ces valeurs peu ou prou partagées par l’électeur de gauche, mais qui ne sont pas prépondérantes, ou pas de la même façon, à l’heure du choix.
Si j’ai le temps, bientôt, j’écrirai ma perception des enjeux à gauche face à cette réalité qui resurgit presque brusquement, à l’occasion précisément d’un débat (qui vaut ce qu’il vaut mais qui a le mérite d’exister en ce moment) sur les valeurs.