Au soir du 3 février 1965, les équipes de sauveteurs du Pas-de-Calais remontent un vingt-et-unième et dernier cadavre de mineur du puits 7 de la veine Marthe, après un coup de grisou survenu quelque part dans les profondeurs des mines de charbon du groupe de Lens-Liévin. Comme « l’explosion les a horriblement déchiquetés », sans doute parfois carbonisés, l’identification de ces hommes d'une moyenne d'âge de 33 ans « n'a pu se faire que grâce aux plaques métalliques rivées sur leurs ceinturons », comme l’indique le chapeau de l’article que publie Le Monde le lendemain matin.
Une demi-dizaine parmi eux sont d'origine polonaise. Une petite communauté dans un groupe social hétérogène qu'incarne sur scène Stéphane, le Porion. L'accompagne et le devance un visiteur de grisou maghrébin – Ahmed – un Français d'Algérie devenu Algérien quelques années auparavant, au sortir de « la guerre », après « les attentats de l’OAS et du FLN ». Descendu dans la galerie pour remplacer Larbi, un collègue marocain d'Oujda qui avait besoin de repos, il y raconte leur histoire, forcément un peu la nôtre.
La sienne, selon lui, c’est celle d’un professeur de lettres qui est vite devenu « Algérien parmi les Marocains » dans le Bassin, « des paysans qu’on est venus chercher », qu’on a un beau jour « alignés » dans un village pour en faire des Gueules noires, quelques décennies après les Kabyles, au XIXème siècle. Puis le clair-obscur de la cavité, où quelques codes cinématographiques rythment parfois la scénographie du huis-clos, devient rapidement propice à un échange intimiste avec « le Polak ».
Autour d’une berline et d'une pioche, chacun évoque ainsi ses coutumes familiales et culinaires, ses goûts musicaux, ses souvenirs marquants d'avant les corons et les briques rouges... même si la précarité de leur condition n'a de cesse de hanter Stéphane, conscient que l'appât du gain, à mesure qu'il gagnait toujours un peu plus les esprits de leurs exploiteurs, les a exposés sans défense à cette insécurité croissante qui logiquement a conduit à l'accident de travail.
GUEULES NOIRES – Création, conception, interprétation et écriture : Hugues Duquesne et Kader Nemer ; Mise en scène : Ali Bougheraba ; Musiques : Franck Lebon ; Lumières : Thomas Rizzoti ; Décor : Olivier Hebert ; Régisseur : Mehdi Belharizi ; Production, diffusion : Boulegue production avec le soutien du Centre Historique Minier de Lewarde ; Compagnie Rentrez dans l’art.
1h15
07.07.2022 → 30.07.2022 (13h50)