Ce spectacle, dont Hamma Meliani est à l’origine, revient sur la bravade du couvre-feu édicté par Maurice Papon, le 17 octobre 1961. En nuançant son registre pathétique par des saccades de gymnastique électrisantes mêlées parfois de chants, les six comédien‧nes y interprètent tout à la fois des témoins directs des massacres, des gens du voisinage, des enquêteurs et des bourreaux, des victimes des pressions policières et des résistant‧es à l’infamie de la spoliation, des crimes de guerre et du racisme.
Dans une boucle sans fatalisme aux allures de ruban de Möbius, on passe ainsi de l’ignorance à la connaissance grâce au faisceau des séquences qui s’entrecroisent et se recoupent. Les différents points de vue essaimés nous transportent de la sorte du Constantinois aux berges de la Seine, puis de Philippeville à Barbès et, savamment, d’El Djazaïr aux bidonvilles de Nanterre et de la ceinture rouge de la capitale de l’empire colonial, tout en évoquant l'indigénat, les chibanis et les chibanias.
L’un des apports fondamentaux de la démarche du spectacle résonne d’ailleurs sans conteste dans l’écho des voix féminines placées au-devant de la scène. Leurs confessions et leurs poussées exclamatives, surgissant coup par coup de la pénombre de ce labyrinthe de razzias et de lynchages, affrontent singulièrement les diverses exactions et autres vociférations sexistes et racistes des exécutants des forces de l’ordre. On y perçoit l’ébauche d’une sororité amenée à perdurer, là où l’aliénation policière rappelle à juste titre les méthodes de la Gestapo.
Sous l'action de cette coercition, ces trois formes d’oppression simultanées – liées au genre, à l’origine et au groupe social – font en fait que les corps paraissent puis s’invisibilisent et reparaissent tantôt terrés, tantôt dissimulés, tantôt embastillés. Autant battus et torturés que ceux des hommes, ils disparaissent de nouveau, mais parfois définitivement.
En fin de compte, dans l'ensemble, la chorégraphie de ces masses corporelles saisit bien le regard de celles et ceux qui « ont des yeux mais ne voient pas », quand le texte, exigeant, rend audible toute la polyphonie des vécus qui s’entrechoquent à celles et ceux « qui ont des oreilles mais n’entendent pas ».
17 OCTOBRE 1961, LAMENTO POUR PARIS
Écriture : Hamma Meliani ; Mise en sène : Victor Quezada-Pérez ; Interprète(s) : Myriam Allal, Théa Anceau, Adel Beddiar, Salvatore Caltabiano, Valentin Madani, Sebastien Lanz, Aylal Saint Cloment ; Chorégraphie : Gregory Prudent ; Régisseur : Anys El Harnane ; Chargé de Diffusion : Grace Dogo ; Stage Manager : Semsari Marie ; Stagiaire : Hugo Lamy ; Sparing partenaire : Sacha Guitton ; Production : Collectif Bleu, Moai production, avec le soutien de la ville de Colombes et du Ministère de la Culture.
1h15
07.07.2022 → 30.07.2022 (19h)