L’Europe du ciel… ou du mirage ?
Quand Éric Trapier explique que “l’Allemagne veut exclure la France d’un projet d’avion de combat”, il ne cherche pas à provoquer : il constate.
Et sa phrase résonne comme un diagnostic implacable de l’état du continent.
L’Europe rêve de souveraineté stratégique, mais se comporte comme un groupement d’acheteurs.
À Berlin, on planifie.
À Paris, on hésite.
Et à Bruxelles, on rédige.
On en est là : une Europe du texte, pas du moteur. Une Europe du compromis, pas du pilotage.
Le projet SCAF devait symboliser la puissance partagée. Il illustre surtout la naïveté collective : croire qu’on peut faire voler un avion à deux cockpits et trois gouvernails.
La France sait faire. Point.
« Est-ce qu’on sait faire un avion de 6ᵉ génération ? Oui. »
Il fallait oser le dire, dans un hémicycle habitué aux chiffres creux.
Ce n’est pas de l’arrogance, c’est du factuel.
La France a conçu seule le Mirage, le Rafale, le Neuron.
Et si elle a encore des industriels capables d’en rêver, c’est parce qu’ils ont refusé de confondre coopération et abdication.
L’Allemagne veut “l’égalité”. Très bien. Mais l’égalité en compétence ne se décrète pas à coups de réunions interparlementaires.
On ne vote pas la maîtrise d’un moteur à réaction.
On la construit, boulon après boulon, vol après vol.
Et à ce jeu-là, Dassault reste un cas d’école : une entreprise qui n’a jamais vendu son âme ni son capital.
Le Bund, la Bundesbank et le Bundesrat
Trapier le dit avec un calme désarmant : « C’est le Bundestag qui pilote. »
Tout est là.
En Allemagne, le politique protège son industriel.
En France, l’industriel supplie le politique de se souvenir qu’il existe.
Le rapport de force n’est pas une brutalité. C’est une méthode.
Celui qui ne crée pas le rapport de force subit celui des autres.
Et dans ce grand théâtre européen, les naïfs finissent toujours figurants.
Pendant que nous débattons de la forme des tables rondes, les Allemands négocient les places aux commandes.
L’Europe qui protège… les autres
Trapier n’est pas anti-européen. Il est pragmatique.
Il ne conteste pas l’idée d’Europe, il en réclame la cohérence.
Car aujourd’hui, l’Union protège tout, sauf ses propres champions.
Là où les Américains financent, l’Europe réglemente.
Là où les Chinois copient, l’Europe consulte.
Là où la France innove, l’Europe transcrit.
Et quand une directive arrive, Paris en ajoute deux couches “pour être exemplaire”.
Résultat : la surtransposition devient notre sport national.
Le PDG de Dassault l’a résumé d’une phrase :
“Chaque fois qu’il y a une directive européenne, c’est pire en France qu’ailleurs.”
On ne saurait mieux dire.
De la souveraineté à la servitude volontaire
La désindustrialisation française n’est pas une fatalité.
C’est une succession de renoncements polis.
On a remplacé les plans industriels par des plans PowerPoint.
On a troqué l’ambition par la compliance.
Et on s’étonne de dépendre de ceux qu’on copie.
Trapier le rappelle : notre PIB industriel a chuté de 20 % à 10 % en vingt ans.
Derrière ce chiffre, il y a des milliers d’emplois, de compétences, de filières, de vocations perdues.
Et un risque colossal : celui de n’être plus qu’un pays utilisateur de technologies étrangères, même dans la défense.
La souveraineté n’est pas une nostalgie
“Je crois encore à l’industrie française.”
Cette phrase, dans la bouche d’un industriel qui aurait pu tout vendre depuis longtemps, sonne comme un acte de résistance.
Ce n’est pas du romantisme économique.
C’est de la survie stratégique.
Parce que croire à l’industrie française, c’est croire encore en l’idée que notre sécurité dépend de nos mains, de nos cerveaux, et pas d’une autorisation d’exportation signée à Washington.
Ceux qui confondent patriotisme industriel et repli devraient relire Clausewitz :
“Le but de la guerre, c’est d’imposer sa volonté à l’adversaire.”
Et dans la guerre économique mondiale, nous avons désappris à vouloir.
Conclusion : reprendre le manche
Alain Bauer aime rappeler que “la réalité finit toujours par se venger des illusions.”
L’audition d’Éric Trapier en est la démonstration éclatante.
Elle n’est pas un caprice d’industriel.
C’est une alarme.
Une de plus, sans doute.
Mais peut-être la dernière avant que le ciel européen ne se vide de ses pilotes.
Alors, il est temps de redevenir ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être :
un pays de bâtisseurs, pas de sous-traitants.
La coopération, c’est quand deux forces s’unissent pour aller plus loin.
La soumission, c’est quand l’une pilote pendant que l’autre prend des notes.
La souveraineté, c’est quand la clé du cockpit est encore dans la poche du pilote français.
https://www.youtube.com/watch?v=FpbR9wRuHy0