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Billet de blog 11 avr. 2022

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Il y a quand même des raisons d’espérer

Il y a des raisons d’espérer. C’est sûr, on est tristes, on est frustrés, de voir se reproduire cette sinistre affiche de deuxième tour entre l’extrême droite et un libéralisme autoritaire.

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La première stigmatise et exclut, prépare un futur de cauchemar, le second se caractérise par son mépris social, sa brutalité, sa politique éhontément favorable aux plus riches et destructrice des acquis sociaux, tout en n’hésitant pas à faire intervenir conjoncturellement l’Etat (le « quoi qu’il en coûte »). Le régime présidentiel a encore fait des ravages démocratiques. On a des regrets de voir que ça s’est joué à peu, la gauche au deuxième tour, 500 000 voix, encore moins que la dernière fois. On ne la voyait pas à ce niveau-là, la gauche, dans un univers médiatique droitisé, zemmourisé, alors qu’elle était complètement divisée, que la campagne a paru atone. Pourtant, il y a eu une véritable mobilisation populaire en faveur de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Apparaissent clairement aujourd’hui trois pôles : un pôle libéral autoritaire, un pôle d’extrême-droite, et un pôle populaire de gauche. Si on n’avait guère de doute sur les deux premiers, la persistance du troisième n’était pas gagnée d’avance. Les 22 % de Mélenchon reposent sur la participation dans des endroits où on ne l’attendait pas : dans la ville où j’habite, par exemple, Noisy-le-Sec dans le 93, la participation a été plus importante que nationalement et Mélenchon a obtenu plus de la moitié des suffrages exprimés. Il y avait des files d’attente pour voter, ce que je n’avais pas vu depuis longtemps. Les travaux des sociologues Cécile Braconnier et Jean-Yves Dormagen ont déjà démontré que l’abstention populaire n’est pas une fatalité, quand il y a des enjeux et des espoirs. La Seine-Saint-Denis, le département où j’habite et je travaille, où mes enfants vont à l’école, stigmatisé, ensauvagé, pendant ces élections présidentielles, a placé en tête Jean-Luc Mélenchon et l’Union populaire. Il a été préféré aux candidats qui y projettent leurs fantasmes, en font une zone de non-droit, de séparatisme, par ceux aussi qui détruisent méthodiquement les services publics, en premier lieu l’école et l’hôpital, pourtant indispensables.

Malgré toutes les critiques sur les attitudes et positions passées de Jean-Luc Mélenchon, sa campagne a été très forte et digne. Surtout, l’Union populaire a porté un programme radical, sérieux, crédible, et une ligne politique. Elle a su mettre au premier plan les questions sociales, retraites, services publics, salaires, temps de travail, pouvoir d’achat. Elle a fait le lien avec les questions qui émergent des mobilisations les plus récentes : écologie, droits des femmes et des LGBTQI +, antiracisme. Quartiers populaires, DOM, jeunesse, monde ouvrier, classes moyennes malmenées et précarisées : une jonction a été faite, pour la première fois depuis longtemps à une telle échelle de masse, au niveau électoral. La défense des classes populaires est apparue aussi clairement que la défense des riches par Macron ou celle des seuls nationaux par Le Pen. Bien sûr, l’extrême-droite se taille une bonne part de l’électorat ouvrier : mais là encore, pas de fatalité et des contre-exemples qui donnent de l’espoir. Le pôle populaire qui a réussi à émerger s’est constitué sur des bases de classe qui n’excluent pas d’autres questions fondamentales comme l’écologie, le féminisme, les droits des minorités, l’antiracisme (et notamment le refus de la stigmatisation des musulmans). On est proche de cette « coalition arc-en-ciel » qu’appelle de ses vœux Aurélie Trouvé dans un livre récent. Le sentiment de classe, les aspirations à l’égalité sous toutes ses formes, aux droits sociaux, n’ont pas disparu et sont compatibles plutôt que contradictoires, comme un certain discours « race contre classe » le laissait entendre.

A gauche, la déconfiture des partis traditionnels est flagrante. Celle du PS est logique : ce que fait Macron s’inscrit dans une radicalisation de la destruction sociale entreprise sous le quinquennat Hollande, notamment à partir du gouvernement Valls et des lois Travail. Ceux qui ont rejoint Macron ne s’y sont pas trompés. Il n’y a plus de place pour une critique timorée de sa politique. La social-démocratie d’adaptation au libéralisme a été aspirée par Macron, celle qui souhaite des réformes véritables pour changer le monde est largement compatible avec Mélenchon. On peut regretter l’obstination de Roussel et Jadot, alors que leurs programmes ressemblaient par de nombreux points à celui de l’Union populaire, à avoir maintenu leurs candidatures, face à l’urgence sociale et écologique. Comme le résume avec humour mon ami Emre öngun, est-ce que ça valait la peine de faire passer Le Pen pour des histoires de charcuterie ? Quant aux organisations révolutionnaires comme le NPA et LO, elles ont estimé que leurs candidatures étaient nécessaires. J’ai le plus grand respect pour elles, mais quelle est leur crédibilité si elles estiment que quelques bribes de pourcentages pour leurs candidats pèsent plus sur la lutte des classes qu’une présence de Mélenchon au second tour ?

Pour autant, il ne faut pas oublier les responsabilités de la FI dans cette situation. Le score de Mélenchon en 2022 ne lui appartient pas totalement, tant ont été nombreux les votes de responsabilité : beaucoup avaient des réserves sur le vote Mélenchon mais voulaient voir la gauche au deuxième tour. Depuis 2017, les manifestations de sectarisme, de verrouillage politique et d’arrogance de LFI ont été nombreuses, et elles expliquent aussi la multiplication des candidatures et les réticences qui ont subsisté. Heureusement, la campagne et notamment le parlement de l’Union populaire ont dessiné une autre tendance. Sur ce point, le discours de Jean-Luc Mélenchon au soir du premier tour a été très bon, à des années-lumière de celui de 2017. Il faut espérer que, loin de tout triomphalisme, la FI persiste dans cette volonté d’ouverture, avec des perspectives immédiates dans le cadre des législatives. Pour autant, le chantier reste vaste et l’édifice reste fragile.

D’abord parce que nous allons subir pendant cinq ans la politique antisociale de Macron, s’il est réélu. L’autre hypothèse, celle d’une élection de Marine Le Pen, serait encore pire, il faut l’éviter absolument. Dans tous les cas, la seule issue est de continuer à construire ce qui vient d’être initié, notamment au niveau local où LFI ne saurait se suffire à elle-même. L’abstention, et plus largement le désintérêt pour la politique de larges fractions de la jeunesse et des classes populaires, reste un problème qui ne peut se résoudre qu’en donnant des perspectives et en remportant des victoires, à la fois électorales et sociales. Ça n’est pas gagné. Depuis vingt ans, les mouvements sociaux ont subi de nombreuses défaites. Le dernier mouvement social victorieux remonte à 2006, lors du mouvement contre le CPE. Les grèves contre la réforme des retraites, en 2019 et au début de 2020, ont été massives. Il est difficile de savoir ce qui se serait passé sans la pandémie, mais le gouvernement ne semblait pas prêt à céder. Depuis le début des années 2000, les gouvernements qui se sont succédé se servent des manifestations pour mettre en scène des postures d’autorité et nient la légitimité des mouvements sociaux. Un paroxysme a été atteint sous Macron avec de nombreux blessés et une doctrine du maintien de l’ordre qui vise à la confrontation. C’est une donnée lourde qui pèse sur notre camp social. Ces politiques ont obtenu ce qu’elles recherchaient : un profond découragement. Le sentiment, pour une majorité, que ça ne sert à rien, la volonté, pour une minorité, d’en découdre et l’idée que la violence seule permet de se faire entendre. Sortir de ce piège, de cette division et de cette démoralisation n’est pas simple. La conjonction sur le vote Mélenchon de situations sociales éclatées, de secteurs de luttes diversifiés, est encourageant, mais n’est pas une assurance que ces convergences puissent se poursuivre au-delà. Le travail politique qui a permis la convergence électorale doit continuer, lier luttes sociales, échéances électorales, exercice du pouvoir dans une perspective de rupture à tous les niveaux où c’est possible.

Enfin, les questions internationales sont à prendre très au sérieux. Elles constituent une part non négligeable des réserves à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon. La guerre en Ukraine précipite l’Europe dans une instabilité inédite, fait peser de nouvelles menaces (déjà perceptibles avec ce qui s’était passé en Tchétchénie, en Géorgie ou en Syrie). La pression va être lourde sur l’augmentation des budgets militaires. Les inquiétudes sont vives et ne doivent pas être balayées sous couvert d’anti-militarisme ou d’anti-atlantisme. Ces questions nécessitent une nouvelle réflexion sur l’Europe et sur le monde, de nouvelles solidarités, et ne pas se reposer sur les acquis, faire place à la nouveauté des situations et des dangers.

Jean-Luc Mélenchon a parlé de Sisyphe et de son rocher. On n’est pas complètement au fond du trou, comme on aurait pu le craindre. Le pôle populaire (c’est une belle dénomination) qui a émergé était inespéré quelques semaine plus tôt, quand dominaient l’émiettement et le découragement. Le préserver, le consolider, l’étendre, n’est pas un combat gagné d’avance. Mais la convergence des catégories sociales et des combats qui s’est manifestée est une lueur d’espoir dans un présent et un avenir très inquiétants.  

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