L'étude de la ressource en vent du Parc Eolien en mer de St Nazaire (présentée par son Maître d'Ouvrage) reconnait, dans son tableau des pertes techniques, que dans le sillage d'une éolienne " la vitesse moyenne du vent est diminuée car l’éolienne a capté une partie de l’énergie cinétique du vent", et plus loin que " l'effet de sillage dû aux autres centrales éoliennes à proximité " provoque des pertes. La captation est une réalité. Le potentiel de captation (détournement) est fonction de la puissance des machines installées: pour un vent de 10 m/s (force 4/5), 500 MW d'éolien détournent 500 MW du flux énergétique incident. Qu'en reste-il à l'aval? Il n'est pas irrationnel de s'interroger sur l'impact d'une succession de grandes installations offshore le long des côtes atlantiques (et ailleurs!) avec les puissances projetées de plus de 10 voir 20GW.
Dans Ouest-France du 20 janvier 2021, Robert Vautard, directeur à l'Institut Pierre-Simon Laplace, confirme que "dès que l'on touche à quelque chose, il y a un impact. La question c'est son amplitude". Il rappelle que Marc Jacobson, de l'université de Stanford, a mesuré les effets de grandes fermes éoliennes offshore sur les cyclones: "avec 800GW on pourrait drastiquement baisser la puissance de ces phénomènes dévastateurs". En Europe de l’ouest, les évènements météorologiques les plus fréquents sont le passage de perturbations associées à des dépressions s’évacuant vers la Mer du Nord et la Baltique. Les vitesses habituelles au cœur de ces systèmes atmosphériques sont 2 à 3 fois inférieures à celles observées dans un cyclône et donc des puissances induites 8 à 27 fois inférieures. Les installations éoliennes autour de la mer du Nord et de la Baltique dépassent aujourd'hui les 100 GW. Ne va-t-on pas modifier « drastiquement » l’évolution de ces systèmes : dépressions plus actives plus longtemps aves des trajectoires nouvelles, des anticyclones plus stables? La question mérite d'être posée. Des premières réponses sont données. Elles confirment que l'amplitude qu'évoque Robert Vautard n'est plus négligeable. Qu'en sera-t-il quand les objectifs actuels de développement seront réalisés, avec les 200GW (ou plus) d'installations éoliennes, en mer du Nord et Baltique, qui viendront encore plus « drastiquement » réduire les grands échanges atmosphériques?
Les études d'impacts pour les projets éoliens en mer suivent un guide très détaillé établi par l’Etat[1]. Aucune démarche d'évaluation des impacts des prélèvements énergétiques des champs éoliens offshores et de leurs trainées, n'est requise. Le document fourni par le Maître d’Ouvrage du projet éolien en mer de St Nazaire intitulé « Enjeux et Etudes » fait la liste des études entreprises, et aucune étude n'a été faite sur cet aspect, alors que sous le vent de cette installation immense, on trouve les marais de Guérande et la Grande Brière dont les équilibres fragiles dépendent beaucoup des conditions atmosphériques. Aucun état des lieux détaillés sur les régimes locaux n'a été réalisé. Aucun modèle physique de corrélations entre vent, températures, pressions, humidité au large d’une part et au dessus des marais et à l'intérieur des terres d’autre part n'existe. Lorsque le parc éolien de St Nazaire sera en exploitation, il ne sera plus possible de quantifier son impact réel sur les vents côtiers, sur les températures, les taux d'humidité induits par les trainées, faute de cet état initial.
Et pourtant, les alertes se multiplient:
- Selon une étude norvégienne, les grandes installations éoliennes offshore auraient la même influence sur l'environnement et la trajectoire des vents que des petites montagnes.
- Sur l'ensemble de l'Allemagne, une diminution significative des vents est observée et quantifiée. Le lien est aujourd’hui clairement établi entre cette diminution et le « siphonnage massif par l'éolien offshore et terrestre ». L'affaiblissement du vent, à son tour, exacerbe le changement climatique en libérant de l'espace pour les zones de haute pression statique et les sécheresses de plusieurs semaines.
- Aux Etats-Unis, des observations indiscutables ont montré une tendance significative au réchauffement (supérieure aux tendances terrestres moyennes globales!) sur les régions disposant d'installations éoliennes par rapport aux régions voisines non éoliennes, et que ce réchauffement, par sa configuration spatiale et sa magnitude, se superpose parfaitement avec la répartition géographique des éoliennes.
Alors que les projets se multiplient, il est temps de prendre ce risque au sérieux. Le tabou doit être levé. Les milieux scientifiques internationaux s’accordent d'ailleurs à penser à la nécessité de faire des études plus approfondies sur l’impact de l’Eolien sur le climat.
Il faut accepter que l'impact des prélèvements énergétiques d'un Eolien à grande échelle, tel que projeté, doit être totalement appréhendé et que des campagnes de mesures physiques pour décrire indiscutablement l'état actuel des corrélations entre vent, températures, pressions, humidité au large et à l’intérieur des terres (jusqu'au niveau régional) soient menées. Il faut prendre en compte le risque que l'Eolien soit un remède pire que le mal, ou tout du moins qu'il y participe gravement.
Il faut enfin accepter l'idée que l'Eolien n'est pas cette panacée idéale (et idéalisée!) qui nous autorise à continuer de profiter impunément du miracle énergétique.
[1] A compter de 2017, la règle est précisée dans le document : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/guide_etude_impact_eolien_mer_2017_complet.pdf.